Pour quelles raisons les femmes des pays les plus pauvres sont-elles visées par la microfinance ?
par Michel J. Cuny et Issa Diakaridia Koné

Selon le Comité d’Échanges, de Réflexion et d’Information sur les Systèmes d’Épargne-crédit (plus couramment appelé Cerise), il paraît que ce qui a vraiment donné la force financière, qui lui était nécessaire, au projet d’abord énoncé par l’association de l’INERA burkinabé et du CIRAD français de dynamiser des micro-entreprises sur la ruine, par la sécheresse, d’une partie de l’économie agricole du Burkina Faso a été fourni par la CFD, c’est-à-dire par la Caisse française de développement.
De quoi s’agit-il ? Allons directement sur le site qui lui est consacré par l’Agence française de développement qui lui a succédé en 1998 (afd.fr/fr/notre-histoire)… Caisse ou Agence, elle est très fière d’elle-même :
« Créée en 1941, l’AFD est la plus ancienne des institutions de développement au monde. »
D’où vient-elle ? Du grand maître de l’impérialisme français pour ce qui concerne la seconde moitié du XXème siècle : Charles de Gaulle… En effet – et c’est bien toujours le site de l’AFD qui nous le dit :
« En 1941, alors que sévit la Deuxième Guerre mondiale, le général de Gaulle crée à Londres la Caisse centrale de la France libre (CCFL). Cette institution financière est à la fois un Trésor public, une banque centrale et une banque de développement des territoires ralliés. Très vite, sa zone d’influence s’étend, en Outre-mer comme en Afrique, et son rôle monétaire s’amenuise pour s’orienter vers le financement de projets. »
De projets… coloniaux…
« Installée à Alger fin 1943, puis à Paris à partir de septembre 1944, la CCFL devient la Caisse centrale de la France d’Outre-mer (CCFOM). »
S’il quitte le gouvernement dès janvier 1946, quand il revient au pouvoir à travers un coup d’État militaire en 1958, De Gaulle s’inscrit immédiatement dans le camp d’un impérialisme occidental qui redoute, par-dessus tout, que la marche des anciennes colonies vers l’indépendance ne se traduise par l’extension irrésistible du socialisme…
« Sur fond de guerre froide et de vague d’indépendances, la France veut maintenir une relation privilégiée avec ses anciennes colonies. En 1958, La CCFOM devient la Caisse centrale de coopération économique (CCCE) et son rôle s’affine : financement, prêts, émissions d’emprunts, conseil. »
Après l’élection de Valéry Giscard d’Estaing à la présidence de la république en 1974, les intérêts du secteur privé obtiennent d’être intégrés dans le système public d’aide au développement :
« En 1977, afin de soutenir les entrepreneurs locaux, nationaux ou français, qui souhaitent porter des projets dans des pays en développement, notamment africains, la filiale Proparco, dédiée au secteur privé, est créée. »
Un an après l’implosion de l’Union soviétique (fin 1991), la Caisse centrale de coopération économique reçoit le nom sous lequel nous avons fait sa connaissance grâce à Cerise :
« Le 30 octobre [1992], elle devient la Caisse française de développement (CFD), et sa mission consiste dès lors à financer le développement économique et financier de plus de 60 pays – africains, méditerranéens, asiatiques ou insulaires du Pacifique – et des DOM-TOM. »
Ce qui montre bien l’importance stratégique attribuée à cette Caisse qui deviendra l’Agence française de développement en 1998, c’est qu’elle va désormais intervenir à la charnière de l’économie et de la politique étrangère. En effet, précise son site :
« Dans le cadre de la réforme de la politique de coopération de la France, elle est désignée comme opérateur principal de l’aide française au développement, sous la double tutelle du ministère des Affaires étrangères et de celui de l’Économie et des Finances. »
C’est donc cet instrument – dont on voit qu’il n’est pas peu de chose – qui a choisi de prendre une place déterminante – grâce à ses importantes capacités financières – dans le projet porté, au départ, à la fois par l’INERA burkinabé et le CIRAD français.
Or, au départ, ce que la population burkinabé ne paraît pas avoir su, c’est que le PPPCR (Projet de Promotion du Petit Crédit Rural) ne serait finalement destiné qu’aux femmes… Selon Cerise :
« Initialement, la population-cible du PPPCR n’était pas limitée aux femmes, bien que le « modèle » d’inspiration du projet ait été la Grameen Bank. » (Idem, page 34)
Cette dernière initiative financière avait été développée au Bangladesh… où, dès le départ, elle avait effectivement été réservée aux femmes … Pour quelle raison ? Il paraît qu’il ne faudrait surtout pas le dire… C’est tout au moins l’impression que nous laisse un mémoire réalisé dans le cadre de l’Université du Québec à Montréal (Canada) et présenté en janvier 2009 par Valérie Gilbert sous le titre : Étude de la Grameen Bank – le microcrédit au Bangladesh comme moyen d’empowerment.
Il s’agit de l’empowerment… des femmes… Quel peut donc être le sens de ce mot qui appartient à la langue anglaise ? Si Valérie Gilbert l’utilise dans le titre et si elle y consacre un peu plus d’une centaine de pages, sans doute est-elle sûre de ce que cela peut signifier… Ainsi, qu’est-ce donc que l’empowerment des femmes ?…
Voici donc le cadre général de l’étude réalisée par Valérie Gilbert sur l’empowerment des femmes :
« Il est question d’étudier la Grameen Bank, première banque spécialisée pour les pauvres qui émet des microcrédits à des femmes (97%) pour que celles-ci l’investissent dans une activité rémunératrice et qu’elles se hissent au-dessus du seuil de pauvreté. »
Ce n’est évidemment pas dire qu’il s’agit là d’une révolution… Il s’agit uniquement de « se hisser » un tout petit plus haut… pour échapper à la pauvreté… Pourquoi limiter cela aux femmes ? Eh bien, tout simplement pour obtenir leur empowerment… Espérons que Valérie Gilbert sait effectivement de quoi elle parle… lorsqu’elle utilise ce mot-là… En tout cas, elle insiste :
« L’hypothèse de départ est que grâce à ces prêts, les femmes acquièrent un pouvoir économique qui leur permet de sortir leur famille de la pauvreté et les mène sur le chemin de l’empowerment. »
Très curieusement, ce n’est que par une note de bas de page que nous allons apprendre dans quel embarras se trouve la rédactrice de ce texte qui s’appuie d’un bout à l’autre sur l’empowerment qu’il faudrait obtenir un peu partout dans le monde pour les femmes… pauvres, et même très pauvres :
« Nous avons préféré conserver le terme anglais d’empowerment plutôt que la traduction française pour deux raisons majeures. D’abord, parce qu’il n’y a pas d’unanimité sur la traduction, certains auteurs le traduisent comme « autonomisation », tandis que d’autres utilisent des termes tels que « renforcement du pouvoir d’action ». Enfin, le terme même d’empowerment (en anglais) n’a pas non plus de définition claire et unanime. Les auteurs traitant de la question ne font pas consensus sur sa définition. Pour éviter la confusion que les termes peuvent semer, nous avons gardé l’expression anglaise. » (page 4 du document papier repris sous ce lien :
http://www.ieim.uqam.ca/IMG/pdf/Collection_memoire_VGilbert.pdf)
Ainsi plus personne ne pourrait rien y comprendre… Curieusement, il suffit de demander à cette machine en quoi consiste le traducteur automatique de Google de nous proposer sa propre traduction d’empowerment… Il nous répond aussitôt : responsabilisation. Voilà donc ce qu’il faut obtenir des femmes les plus pauvres au monde : leur responsabilisation… Qu’elles se sentent responsables de quoi ? De ce que la misère les condamne à subir : tout simplement de tenter – en enfantant massivement – de remédier aux ravages que la mort fait parmi les enfants qu’il leur est donné d’avoir, en raison même de cette pauvreté..
Ainsi, que la pauvreté persiste, cela ne paraît pas être un problème pour les Occidentaux. Il faut seulement que cela serve de leçon aux femmes qui trouveront à se hisser tout juste au-dessus de cette pauvreté en freinant leur propre cycle de reproduction autant que faire se peut…
NB. La suite immédiate est accessible ici :
https://remembermodibokeita.wordpress.com/2020/05/28/des-que-thomas-sankara-a-ete-assassine-la-microfinance-occidentale-a-essaye-de-se-jouer-des-femmes-travailleuses-du-burkina-faso/
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