Pour un autre nom que le journalisme
La question se pose souvent. A l’occasion d’une émission telle que Les infiltrés. A l’occasion des critiques acerbes lancées par Mélenchon contre les journalistes. A l’occasion des multiples confusions que certains médias que l’on dit journalistiques font. Ainsi se pose souvent, à ces occasions, la question de la qualification de ce métier. Ne faut-il pas un autre nom pour qualifier ce qui fait honte au journalisme ?
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH200/cb977924807a27f3905b8066ae06e037full-ed144.jpg)
Le voyeurisme se propage peu à peu, un peu partout. D’abord par la petite serrure de la télé-réalité, pour enfoncer la grande porte du journalisme. L’émission Les infiltrés a été l’occasion de polémiques. Fallait-il que les journalistes de l’agence CAPA dénoncent 23 pédophiles interviewés ? A l’évidence, il est impensable que ces journalistes ne disent mots face à des viols qui vont, à coup sûr, avoir lieu. L’idée même de protéger ses sources ne se pose même pas.
Mais une question plus importante apparaît.
L’émission Les infiltrés relève-t-elle du journalisme ?
Le programme est en effet un mélange d’enquête (sur les forums pour ados et les modérateurs, les chiffres liés à la pédophilie sur internet, la cellule rattachée à la police qui surveille le net) et… des interviews de pédophiles notoires. Lorsque l’on regarde cette émission, l’on s’aperçoit très vite que les interviews des pédophiles n’apportent aucune information. Le fait de savoir de quelle façon le prédateur s’y prend pour violer un enfant ne relève pas du journalisme.
Là est la question. Comment doit-on qualifier le travail de personnes qui dissimulent sur internet leur identité en se faisant passer pour des filles de 12 ans (la police utilise le même procédé) pour trouver des pédophiles ? Qui les rencontrent puis les interrogent de la même manière que des policiers. Pour enfin, les dénoncer, de la même manière qu’un policier.
Enfin quelle est la différence entre ce programme et l’émission qui existe aux Etats-Unis dans laquelle un présentateur aidé du public, traque des pédophiles, les piège pour ensuite filmer l’arrestation de la police ? Aucune !
L’opinion publique paraît désabusée face aux contestations du Syndicat National des Journalistes (SNJ) qui a critiqué les dénonciations et d’un collectif. Le débat ne se situe pourtant pas là. Bien sûr qu’il fallait les dénoncer. Mais le journaliste digne de ce nom ne doit pas se prêter au montage d’une telle émission. Fabriquée par et pour le buzz.
Le Buzz : Fléau de la profession
Cette volonté de créer le buzz, se retrouve partout. La rumeur qui devient peu à peu une affaire d’Etat sur le soi-disant double adultère du couple Sarkozy en est l’exemple parfait.
En effet, la presse internationale puis France 24, et I télé, ont relégué cette fausse information à partir d’une source : Un blog hébergé par le JDD.fr. Et ce blog en question avait pour but, selon son concepteur, de « faire du clic », comme l’a rappelé Mediapart. Ainsi, le JDD qui vient de déposer une plainte pour savoir qui était à l’origine de la rumeur, nie dans le même temps qu’il a tout fait pour que des abus de la sorte se produisent (en motivant le buzz et le scandale).
Hélas, les exemples d’une presse poubelle sont légions
Les exemples qui salissent l’image de la presse ne manquent pas.
Lors du crash de l’A 330, la presse a l’interdiction d’approcher les familles des victimes qui sont regroupées dans un hôtel et toujours dans l’attente de nouvelles. Pourtant, une équipe d’Europe 1 n’hésite pas à usurper son identité pour rapporter l’interview d‘une famille en pleurs.
Les fausses vidéos du même crash de l’ A 330 (voir article précédent), le traitement médiatique des émeutes de banlieues avec les voitures calcinées… ne sont que trop d’illustrations de la perversité d’un mélange. Celui de la volonté de faire de l’information avec celle de l’audimat.
Le journalisme devient ainsi un prête-nom que l’on attribue à tous les déchets médiatiques.
Au risque de nous répéter, nous pensons qu’il faut inventer deux choses :
Il faut d’abord trouver un nom. Un nom pour qualifier cet entre-deux que nous proposent aujourd’hui certains médias. Mix entre l’information et la télé-réalité, entre le voyeurisme et le sensationnalisme, entre le spectacle et la réalité. Comme le dit très bien Daniel Schneidermann : « Encore faut-il trouver un nom à cette pratique, qui se situe quelque part entre le travail de police et le reportage animalier » parlant de l’émission Les Infiltrés.
Ensuite, il faut une instance capable d’orienter, limiter et questionner le métier de journalisme. Un organe qui représente, face à ce quatrième pouvoir qu’est la presse, un contre-pouvoir.
Un organe qui puisse dire clairement que non, l’émission d’Arlette Chabot, directrice de l’information de France 2 sur l’identité nationale, ne relève pas du journalisme. C’est au pire le relai d’un piteux débat gouvernemental, au mieux un documentaire sur le cher et tendre ministre Eric Besson.
Un organe qui puisse mettre un holà à la contre-information ou à l’ambigüité de l’information (faux reportages de M6, ou fausses vidéos de TF1 et France 2 sur la Guerre Israélienne) et condamner la propagation de rumeurs non vérifiées.
Il n’y a qu’un exemple de cette idée de contre-pouvoir ou plutôt de critique de ce pouvoir : c’est l’émission animée par le journaliste Daniel Schneidermann, sur France 5 : Arrêt sur images.
Emission qui avait pour habitude de relever les incohérences, les mensonges ou erreurs des médias.
Cette émission n’a pas résisté au système télévisuel puisqu’elle a été déprogrammée suite à un conflit avec, Arlette Chabot (qui avait visionné avant diffusion, l’émission consacrée au couple Borloo Schönberg).
Cela traduit bien l’idée selon laquelle, celui qui s’aventure à vouloir imposer une éthique, mettre en lumière certaines dérives et faire un travail journalistique, n’a pas sa place au sein même de ce système.
Il faut donc lutter contre les pratiques qui dénaturent le métier de journaliste. Ce à quoi nous nous essayons sur Acturevue. Les émissions telles que les infiltrés, ont peut-être leur place à la télévision, mais sous un autre nom que celui de journalisme d’investigation.
Certains journalistes d’investigation, les vrais, sont actuellement en prison ou pris en otage.
Arrêtons les comparaisons hâtives et honteuses et trouvons un nom à ce qui n’est pas du journalisme.
D.Perrotin
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