Pourquoi déposer plainte si tard ?
Un témoignage de femme abusée
Je suis sous le choc. Le 15 mai, chaque année, j'ai la nausée. C'est la date à laquelle mon parrain, lorsque j'avais 15 ans en 1982, m'a imposé une relation sexuelle sous chantage qu'il allait se suicider. Il était ivre. J'ai été incapable de refuser et l'ai laissé faire. Je n'ai pas pu parler car j'ai pensé que si mon père l'apprenait, il le tuerait et j'imaginais des catastrophes en série, alors... Je me suis tue. A 28 ans, les faits étant à l'époque prescrits, j'apprenais que cet homme faisait du chantage sur sa fille pour obtenir, au Sénégal où il résidait, que sa petite fille lui serait envoyée pour les grandes vacances. Cette dernière devenait pubère et donc, intéressante. Comme sa propre fille a été sa victime de ses 12 ans à ses 20 ans, sous emprise psychologique, je suis sortie de mes gonds et je l'ai dénoncé à sa famille, à la mienne. J'ai compris que mon silence avait couvert la poursuite de ses actes et que par mon silence, je permettais qu'il y ait d'autres victimes. Alors j'ai dépassé mes peurs et parlé.
La famille de cet homme m'a insultée. Son fils m'a dit "tu vas faire mourir ma mère". Cette dernière, migraineuse chronique, toujours malade, était complice des viols de ses deux filles (elle partait l'été en France en disant à sa fille de tenir compagnie à son père, même si cette fille, qui s'appelait Dominique, suppliait sa mère devant moi de ne pas l'y laisser)... J'ai à l'époque répondu, "ta mère, ça fait 30 ans qu'elle meurt tous les jours". Je me suis fait traîner dans la boue, traiter de menteuse. Mon propre père a douté de mes paroles et m'a proposé de convoquer mon parrain pour voir qui avait raison. J'étais hors de moi, après avoir trouvé tant de courage pour parler, il fallait encore affronter les autres.
Personne n'a eu un mot de compassion pour savoir ce que j'avais vécu. J'écris, j'ai encore les yeux embués, j'ai 44 ans, j'ai encore la nausée de repenser à ce corps fripé et puant le whisky sur mon corps tout jeune, au point que j'en ai perdu connaissance et que je ne sais même plus ce qui s'est passé.
Quand la loi a changé, j'ai voulu déposer plainte. Mon avocate à St Brieuc a fait une erreur dont personne ne l'a sanctionnée. J'ai écrit au barreau pour expliquer cette histoire. J'étais à l'aide juridictionnelle. Elle a oublié d'en déposer le document, et quand ma plainte allait être classée pour ne pas avoir fait de dépot de consignation, il fallait faire appel. J'ai demandé à mon avocate de le faire, elle a envoyé un simple courrier. L'affaire est tombée à l'eau.
Victime d'un violeur en série qui a abîmé 12 adolescentes, en se présentant comme bienfaiteur qui hébergeait des gens et bon catholique qui les emmenait à la messe, j'ai été ensuite victime d'un traitement de ma parole encore plus traumatisant, et enfin, de l'incompétence d'une avocate. Enfin, en 2006, la juge du tribunal d'Epinal m'a téléphoné directement car elle était outrée que je n'aie pas fait mes papiers comme il le fallait et que ce pédophile était dans la nature, mettant parterre une enquête internationale car les victimes se trouvaient dans plusieurs pays. J'étais la dernière à pouvoir le faire pincer. Pour finir donc, je me suis faite engueuler par la juge qui était outrée. Si je comprends qu'elle était hors d'elle de laisser un salaud continuer tranquillement à bousiller des jeunes filles, et peut être des jeunes garçons, moi, j'aurais bien aimé bénéficier d'un peu plus de compréhension. Un de mes amis d'enfance, un garçon, a été hébergé chez cet homme. Une fois adulte, il s'est suicidé. Il s'appelait Jean-Claude. Je me suis toujours demandé si cet homme n'avait pas aussi fichu cette vie en l'air.
Voilà qu'à une date anniversaire maudite, un jour où je suis avec cette nausée, éclate cette affaire de Dominique Strauss Khan, et que toute la classe politique plaint l'agresseur. Peu de voix s'élèvent pour la victime, et les victimes.
Celle qui ose maintenant parler, Tristane, se voit conspuée par les internautes, car "elle frappe un homme à terre."
Elle n'a pas voulu déposer plainte à l'époque. Déposer plainte, c'est une chose difficile et moi j'ai mis des années à le faire. Il faut affronter de raconter son histoire et toute la justice qui est un second traumatisme. Il faut oser affronter un homme qui possède tant de pouvoir, oui, maintenant qu'il est bouclé, elle peut parler.
Vous, toute la classe politique qui défendez cet homme, vous me faites vomir ! Vous réagissez comme une famille qui couvre un pédophile ! D'ailleurs cette femme avait des liens quasi familiaux avec la famille de son agresseur. Vous, qui avez gardé le silence, et qui saviez, vous êtes comme ces femmes qui couvrent les abus de leur mâle en rut, comme le Vatican qui longtemps a fermé les yeux sur les agissements des prêtres malades de leur abstinence jamais dépassée. Ouvrez donc les yeux, de grâce ! Mais oui cet homme pouvait se payer qui il voulait. Mais oui, il était séducteur et cela n'a jamais été un souci en France, une maîtresse ou des aventures, c'est du domaine privé, en effet. Nous ne dériverons jamais comme les Etats Unis à faire d'une tâche de sperme une affaire d'état. Mais par contre, forcer une femme, c'est tout autre chose. Il y a confusion !
Grave confusion. Les conséquences électorales vont être lourdes. De nombreuses femmes ont aujourd'hui la nausée.
Il faut se réveiller et voir la réalité en face, même si elle est immonde.
Les pervers, ça existe. Et ça ne se voit pas. Ce sont des gens souvent très respectables.
Je n'ai pas dit que Monsieur Strauss Kahn était coupable. J'ai juste dit que les réactions des gens et de la classe politique me rappelaient de bien mauvais souvenirs et là, je me sens très mal.
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