Pourquoi George Orwell anarchiste conservateur ?
Cet article pour founir quelques explications philosophiques et politiques à propos de l'expression « tory anarchist » (traduit en « anarchiste conservateur ») et à travers le cas de son auteur, l'écrivain britannique George Orwell (1903-50) célèbre pour ses romans 1984 et La ferme des animaux, qui, avant tout, s'est quelquefois lui-même désigné ainsi.
Remettons-en nous d’abord au parcours de jeunesse de George Orwell. (Je cite, dans le paragraphe suivant, des extraits de l’article du sociologue Daniel Szeftel paru à l’automne 2006 dans la revue Le meilleur des Mondes et dédié à notre auteur anglais.)
George Orwell est issu de la « lower upper middle class » c’est-à-dire la « frange de la haute bourgeoisie anglaise qui n’a pas d’argent » comme il aimait à le rappeler. « Fils d’un fonctionnaire colonial, Orwell est ballotté toute son enfance entre l’Inde et les pensionnats de l’élite anglaise que sont Saint Cyprian et Eton. C’était, par ailleurs, un élève qui, « beaucoup plus pauvre que la plupart de ses condisciples », avait le droit de recevoir une bourse. Pour cette raison, il ne partageait, avec ses camarades, ni le mode de vie ni la « foi en un avenir tout tracé dans les universités d’Oxford ou de Cambridge puis dans la haute fonction publique anglaise ». En outre, il est jeune quand il commence à développer une conscience « des barrières entre classes » ; ces barrières qu’il va alors chercher à briser tout au long de sa courte vie « en fréquentant les marginaux puis en cherchant une communion avec le prolétariat qui lui aurait enfin permis d’échapper à la bonne société britannique, qu’il haïssait mais à laquelle il se savait appartenir ». Orwell va également conserver « de ses années de jeunesse une haine pour la discipline stupide infligée aux élèves dans les pensionnats et une aversion définitive pour l’autorité ». Il va ainsi entretenir en lui l’union d’une « pulsion libertaire », nourrie par la haine précédente, et d’un « attachement aux valeurs traditionnelles et au patriotisme de la classe moyenne anglaise ».
En 1922, George Orwell devient sergent dans la police impériale en Birmanie. Le contexte est très tendu puisqu’il y a, d’un côté, les nationalistes birmans et, de l’autre, les impérialistes britanniques qui n’hésitent pas à recourir parfois à de violentes répressions. Orwell assistera, une fois, à une exécution capitale. Il sera en poste pendant cinq ans. En 1927, il réussit à démissionner, avançant qu’il aurait certains problèmes de santé. Période d’ennui et de dégoût pour le jeune homme qui va renforcer son mépris pour l’autorité hiérarchique et, plus politiquement, pour l’impérialisme britannique. En revanche, il restera attaché à la cohésion, entendue, sur le plan militaire, comme l’unité dans l’effort.
Orwell, qui veut se consacrer davantage à l’écriture, se met ensuite à voyager entre Londres et Paris. Nouvelle période de sa vie qui va durer quelques années et est racontée dans son livre appelé Dans la dèche à Paris et à Londres. Durant ce temps-là, la condition d’Orwell est comparable à celle d’un vagabond. Effectivement, notre écrivain anglais – qui ne vit pas encore de ses parutions mais seulement de petits boulots – va partager la misère qu’on pouvait connaître, en ces temps-là, dans ces deux grandes capitales européennes. A Paris, il lui arrive de ne pas manger pendant plusieurs jours, restant dans sa chambre d’hôtel et espérant que les cafards au plafond ne lui tombent pas dessus. Dans cette même ville, il est notamment plongeur dans un bel hôtel. Il nous explique dans son livre qu’un hôtel même luxueux peut dissimuler une grande saleté dans une partie de ses locaux. Il y travaille au moins quatorze heures par jour et six jours sur sept, et découvre une organisation très hiérarchisée entre les serveurs, les cuisiniers et les plongeurs, avec qui il ne communique quasiment qu’en hurlant.
Durant les années 1930, dans la lignée de la sensibilité qu’il a développée à travers ces précédentes aventures, Orwell va connaître deux expériences de vie capitales dans le sens où elles vont réellement forger ses idées politiques.
Ces deux expériences se rapportent à :
– sa rencontre avec les ouvriers de Wigan, ville modeste de son pays. D’où son livre Le Quai de Wigan ;
– son engagement dans les milices communistes du P.O.U.M. en Espagne au cours de la guerre civile espagnole (1936-39). D’où son livre Hommage à la Catalogne.
A partir de ces expériences et dans les ouvrages qui leur sont associés, notre auteur anglais va défendre un socialisme ouvrier, basé éthiquement sur ce qu’il appelle la Common decency, ou la Décence ordinaire et partagée, ainsi que sur la méfiance à l’égard de toute forme d’autorité..
Orwell est séduit par le ferme positionnement des anarchistes catalans quant à refuser de se faire dicter leur conduite, que ce soit par la bourgeoisie ou l’Église. D’ailleurs, pourtant engagé dans la guerre civile espa-gnole auprès des communistes, c’est surtout avec les anarchistes que l’Anglais sympathise réellement. Il aimera leur organisation de 1936 reposant sur leur capacité, en Catalogne mais aussi en Aragon, d’autogestion des industries et d’autogouvernement en opposition au gouvernement national officiel. D’où ces propos dans Hommage à la Catalogne : « Pour qui arrivait directement d’Angleterre, l’aspect saisissant de Barcelone dépassait toute attente. C’était bien la première fois dans ma vie que je me trouvais dans une ville où la classe ouvrière avait pris le dessus. […] Tout cela était étrange et émouvant. Une bonne part m’en demeurait incompréhensible ; mais il y avait là un état de choses qui m’apparut sur-le-champ comme valant la peine qu’on se battît pour lui. »
De retour dans son pays, il crée en 1945, avec les anarchistes anglais Herbert Read et canadien George Woodcock, le Comité pour la Défense des Libertés (Freedom Defence Committee) dans le but de « défendre les libertés fondamentales des individus et des organisations, et pour venir en aide à ceux qui sont persécutés pour avoir exercé leurs droits à la liberté de s’exprimer, d’écrire et d’agir » (extrait de la déclaration de ce comité).
Néanmoins, dans Le Quai de Wigan, Orwell parle de « billevesées sentimentales » à propos des idées anarchistes. En outre, dans l’article intitulé Le pacifisme et la guerre. Controverse entre D.S. Savage, George Woodcock, Alexander Comfort et George Orwell présent dans le numéro de septembre-octobre 1942 de la Partisan review, notre écrivain anglais critique le pacifisme anarchiste de ses trois contradicteurs. Et puis, quoi qu’il en soit, Orwell ne remet pas en cause l’existence de l’Etat. Il est, de surcroît, patriote – en 1946, il rappelle, alors qu’il explique ses motivations d’écriture, qu’un poème patriotique de lui, qui n’avait qu’onze ans, avait été publié par la presse de sa localité. Voilà deux aspects qui peuvent qualifier notre homme de conservateur. Le patriotisme permet, selon lui, de combattre les totalitarismes et les impérialismes. Le patriotisme permet, d’après Orwell, « la démocratie empirique et sensible, incarnée sous nos yeux dans une nation donnée ».
Le socialisme orwellien fonde la tendance progressiste de son défenseur si j’ose dire… Et en même temps, la patrie n’est certainement pas, pour Orwell, à laisser entre les mains des conservateurs exclusivement. D’autant que la Décence ordinaire comprend le patriotisme des gens ordinaires.
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