Pourquoi l’Allemagne devrait faire preuve de générosité envers l’Europe du Sud comme l’Amérique l’avait fait envers elle entre 1923 et 1929 ?
Dans un précédent article, « La France va mal, par Michel Rocard
Remède : Egoïsme de l’Allemagne ou Refus de la réalité ? Des retombées mondiales », on avait posé plusieurs questions dont pourquoi le candidat François Hollande qui avait mis, lors de la campagne présidentielle en 2012, les euro-bonds comme « mesure-phare » de son programme économique pour la France, s’est tu, après avoir été élu, sur cette donne. Il est évident que, juste après son élection et son premier voyage en Allemagne, et les discussions avec la chancelière allemande Angela Merkel, que le silence du président a commencé à tomber sur cette donne. On n’en parle plus. De plus, comme il a été dit, non seulement, il eut des débats inquiétants pour alarmer l’opinion publique européenne sur un éclatement possible de la zone euro, par une éventuelle sortie de la Grèce, en outre, il a été même mis en avant une remise en cause de la monnaie commune. Une formidable campagne médiatique a été enclenchée où tout a été mis à contribution pour créer une situation de panique sur l’avenir de l’union monétaire. Le conditionnement a réussi.
Alors que politiques et économistes qui décident de la zone monétaire, deuxième économie mondiale après les États-Unis avec un PIB qui représente 10 474,613 milliards d’euros (Source Eurostat), savent « qu’une sortie de la Grèce ou n’importe quel pays de l’Europe monétaire est un non-sens. Il signifierait la fin de soixante années de travail pour ériger une Europe véritablement unie. Il signifierait la fin d’une Europe, symbole de réussite pour tous les peuples du monde. Enfin, en clair, il sonnerait le début de la fin de l’Europe », et donc, la fin des illusions pour les pays hors-zone qui y prétendent. Et comme, il a été dit, il existe, surtout depuis 2008, une « impossibilité presque absolue » pour une économie européenne de sortir de la zone euro. Bien au contraire, la crise de 2008 a montré une obligation à tous les pays d’Europe hors-zone euro d’intégrer cette union monétaire, y compris la Grande-Bretagne. Ce n’est qu’une affaire de temps, et un temps pas très lointain.
On avait posé aussi la question d’où provenait le financement du Mécanisme européen de stabilité financière (MESF), anciennement le Fond européen de stabilisation financière (FESF) ? De la Banque centrale européenne ? Sur quelle base ? Des excédents allemands ? Et pourquoi la France n’a plus insisté sur les euro-bonds ?
Pourquoi les décideurs de la zone euro n’écoutaient pas les économistes tels les « lauréats du prix Nobel, Joseph Stiglitz, Paul Krugman » ? Et de nombreux économistes de renom en France, en Europe et dans le monde, qui les exhortent à prendre des mesures courageuses à l’instar de la Réserve fédérale américaine pour relancer l’économie, questions restées sans réponse. Se trompent dans leur diagnostic pour ne pas être écouté ?
Une question sur la dette publique a été posée, et les opinions divergent sur cette donne. Deux courants de pensée sur la scène politique en Europe. D’un côté, des politiques et économistes qui déclarent que l’endettement de l’Europe n’est pas grave, et qu’il faut bien y avoir recours pour financer le Budget des Etats. Libellé en monnaie nationale, il ne présente pas de risque pour les économies européennes vis-à-vis des pays du reste du monde. De l’autre, politiques et économistes sont unanimes pour dire que l’endettement viendra peser sur les contribuables et les générations futures. La question est « qui a raison ? » et « qui a tort » ? Et cette question rejoint celle posée plus haut : Pourquoi les gouvernements de la zone euro s’entêtent dans leurs politiques d’austérité et n’écoutent pas les prix Nobels qui prônent des politiques de relance.
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Leçon de l’Histoire : « Pourquoi l’Allemagne dans les années 1923-1930 a pu s’en sortir de la crise d’endettement et de l’occupation ? »
En 1923, la situation de l’Allemagne était dramatique. Sortie de la guerre, épuisée et pleine de rancœur, la Ruhr occupée par les troupes françaises en janvier 1923, l’Allemagne devait en outre verser les réparations allemandes (traité de Versailles). Et pour payer, elle devait posséder un excédent exportable. Ce qu’elle ne pouvait faire puisqu’elle est sortie ruinée par la guerre au même titre que les pays alliés d’Europe et l’inflation démesurée et galopante qui ruinait une grande partie de la population allemande ne laissait entrevoir aucune sortie de crise.
La grève politique déclenchée par l’occupation française allait précipiter l’effondrement de la monnaie allemande. La chute du mark est vertigineuse. Si le dollar s’échangeait en 1914 contre 4 marks en 1914, il valait 75 marks au milieu de l’année 1921. En janvier 1922, 186 marks, en juillet 422 marks, 6000 à la fin de l’année. 7200 en janvier 1923, 160 000 en août, 13 millions en septembre 1923. Et des milliards en décembre 1923. Une situation d’hyperinflation au fond normale, puisque le système bancaire allemand s’efforçait à relancer l’économie sur le plan intérieur par la création monétaire, ce qui est impossible si l’Allemagne n’a pas les contreparties physiques (or, devises étrangères, etc.). L’inflation se nourrissait de l’inflation sans création de richesses et prenait des vitesses astronomiques en un espace de temps très court.
Il ne faut pas perdre de vue que l’Allemagne est une grande puissance européenne, et les puissances occidentales ne perdent pas de vue également qu’une puissance communiste, l’URSS, se trouve à l’Est et qu’elle est en pleine croissance idéologique et géostratégique. Par conséquent, une puissance communiste aux portes de l’Allemagne est une menace majeure sans comparaison avec les réticences de l’Allemagne et des réparations de guerre. Il était hors de question de laisser tomber économiquement et financièrement l’Allemagne dans le giron du communisme. Si cela se réalisait, cela voudrait dire que plus de la moitié de l’Europe deviendrait communiste. Ce qui était inacceptables pour les États-Unis et les Grande-Bretagne. Il est évident qu’un effet domino jouerait en France, susceptible de tomber par les ruines entraînées par le premier conflit mondial et les sympathies populaires de la doctrine communiste. Si la France tombait à son tour dans le giron du communisme, c’est toute l’Europe continentale qui suivrait. Que resterait-il ? La Grande-Bretagne ? Les États-Unis ? La situation serait intenable à long terme. Aussi fallait-il agir rapidement. La situation économique de l’Allemagne constituant un véritable danger pour le capitalisme occidental, « il fallait absolument mettre fin à cette déliquescence allemande ».
Et c’est principalement pour cette raison que les capitaux vont commencer à « pleuvoir » sur l’Allemagne, les aides financière et économiques des États-Unis et de la Grande-Bretagne seront multiformes et massives. Le plan américain Dawes mit fin à la banqueroute de la monnaie allemande. Annulation des billets de banques antérieurs, création d’une nouvelle devise le « Reichsmark » sur la base de 4,2 pour un dollar. Evidemment, faillite, ruine et chômage suivent la stabilisation. En 1927, la situation économique et financière s’assainit en Allemagne (république de Weimar). Le mark devient une devise convertible (40% par de l’or, le reste par des devises). Une partie des montants de réparations de guerre est versée à la France. En 1929, le plan Dawes fut remplacé par un nouveau plan américain. Le même souci anglo-américain va jouer dans le plan Young. Mais la crise de 1929, la dépression économique qui suivit et l’effervescence politique en en Allemagne, les millions de chômeurs jetés à la rue par la crise va faire entrer un nouveau personnage dans l’Histoire : Hitler.
Le monde connaîtra alors la plus grande effervescence de son histoire : 80 millions de morts et la libération de plus d’un milliards d’êtres humains de la tutelle occidentale (décolonisation).
Ces derniers points sont ajoutés à l’analyse pour simplement dire que l’histoire a un sens et que tous les événements « concourt au progrès de l’humanité ».
- Les politiques financières et monétaires globales menées par les grandes puissances occidentales face à la crise mondiale
La question qui se pose aujourd’hui : « Qu’en est-il de la situation de l’Allemagne au sein de la zone euro ». Une allusion est relevée dans un article d’agoravox, « La fable du modèle allemand » du 23 septembre 2013, et qu’on a développé supra est assez éloquente : « Sans aller jusqu’à comparer cette situation avec celle qu’ont connus les allemands lors de la République de Weimar, laquelle permis l’accession au pouvoir d’Hitler, on ne peut pourtant pas éviter d’y trouver quelques ressemblances. Alors entre les millions de travailleurs réduits en quasi esclavage, et les retraités dans la misère, on voit que le soi-disant « modèle allemand » est largement discrédité, ce modèle que vantait à l’époque l’ex-président de la république française. Ce n’est pas pour autant ce qui pourrait remettre en selle le parti « Die Linke » (la gauche), les allemands ne s’étant manifestement pas remis de la situation qui existait de l’autre coté du mur dans l’ex-Allemagne de l’Est. »
Cependant comment mettre en exergue les « ressemblances » avec la situation d’aujourd’hui ? Le seul moyen est de tenter de comprendre le processus en cours et relever les « phénomènes » qui se sont joués et se jouent encore depuis la crise financière de 2008 sur le plan économique, financier et monétaire dans le monde. Et leur incidence sur les économies de la zone euro.
Nous constatons aujourd’hui que les États-Unis n’ont pas cessé d’utiliser les politiques d’assouplissement monétaire (Quantitative easing ou QE). Ils injectent chaque mois dans le cadre du QE3, 85 milliards de dollars par mois. Il faut rappeler que, après la crise financière de 2008, ils ont procédé à deux QE1 et QE2 et une opération twist. Le QE1 dans le cadre des plans de sauvetage, le QE2 dans les plans de relance et Twist pour baisser le taux d’intérêt long sur la dette publique américain, et le QE3 depuis 2012.
Quelle a été la situation en Europe, après l’éclatement de la crise ? Et quelles mesures ont pris les gouvernants européens ? La crise financière ayant touché gravement l’Europe, les gouvernements ont procédé comme les Américains. La Banque centrale européenne, à l’instar de la Réserve fédérale américaine (Fed), a procédé aux politiques d’assouplissement monétaire non conventionnel, appelé autrement LTRO. En quoi consistent ces QE et LTRO ? Il est évident que ces pays endettés ne peuvent qu’avoir recours à la « planche à billet », i.e. la création monétaire, ce qui fait augmenter leur endettement. La crise financière de 2008 n’a pas laissé d’alternative à l’Occident : « asphyxie de l’économie ou recapitalisation et plans de relance », donc un recours systématique à la création monétaire s’est imposé. Devenu une « nécessité absolue ». Et ce processus n’a toujours pas cessé de jouer, il joue encore aujourd’hui dans le soutien à l’économie occidentale ?
Le système, truffé, d’une part, de créances douteuses et, d’autre part, freiné par le ralentissement économique, doit « régulièrement se tourner vers son prêteur en dernier ressort, i.e. la Fed et la BCE ». Il concerne aussi la Banque d’Angleterre et la Banque du Japon qui doivent soutenir leurs économies par la création monétaire.
C’est ainsi que, grâce aux injections massives, l’économie américaine a pu remonter la pente et le taux de chômage est passé de plus de 10% en 2009 à 7% en décembre 2013. Quant à la zone euro, la situation est plus précaire, incertaine.
Comment s’opère le processus des injections monétaires en Occident ? Il consiste d’abord par la Fed d’émettre des liquidités dans le système bancaire américain en échange des bons de Trésor et des créances éligibles et même non éligibles (créances douteuses) par ce dernier. En injectant des liquidités dans le système financier, la Réserve fédérale permet, comme pour les plans de sauvetage et de relance, au système bancaire américain de répondre aux besoins de l’économie (octroi de crédits aux entreprises et aux ménages, achat de bons de Trésor pour financer les budgets des Etats, achats de créances immobilières, etc.). Ce financement vient évidemment grossir le bilan de la Fed. Mais l’achat de la dette des Etats et la réduction des créances douteuses (immobilières) dans les bilans des banques permettent de doper l’économie américaine en rehaussant, notamment, le secteur de la construction, gros pourvoyeur d’emplois. Ce processus évite aux États-Unis la récession.
Qu’en est-il pour l’Europe ? On ne doit pas oublier que le dollar est le libellé monétaire du pétrole exporté par les pays de l’OPEP. On fait abstraction de quelques pays qui exporte en monnaie autre que le dollar, notamment l’Iran. Mis à part quelques cas, l’Europe et le Japon sont tenus d’acheter les dollars sur les marchés pour importer leur pétrole. Nous estimons que les importations pétrolières sont les plus importantes en termes d’allocations de dollars pour leurs paiements. Cependant une partie de ces dollars remis aux pays exportateurs de pétrole reviennent à l’Europe et au Japon via les importations en biens et services des pays de l’OPEP.
Il est évident que l’Europe comme le Japon n’ont pas intérêt à acheter trop de dollars, parce que cela reviendrait à acheter de la dette américaine, les dollars sont de l’argent-dette, et l’Europe comme le Japon sont déjà endettés. Si les États-Unis émettent trop de liquidités, leur monnaie se déprécie et porte préjudice à l’euro, la livre sterling et au yen puisque ces monnaies vont s’apprécier mécaniquement. Par l’appréciation de leurs monnaies, ces pays enregistrent une baisse des exportations (plus chères). Pour baisser le taux de change, ces pays ont le choix, soit d’acheter de l’argent-dette, i.e. les dollars, ce qu’ils ne peuvent faire puisque cela reviendrait à acheter de la dette américaine, et ils sont déjà endettés, soit de procéder à des politiques monétaires non conventionnelles comme les États-Unis. Et c’est ce que le Japon, la Grande-Bretagne et la zone euro feront. Nous avons ainsi un « processus de balancier qui procède comme suit : Tantôt ce sont les États-Unis qui émettent des liquidités et la zone euro, le Japon et la Grande-Bretagne s’ajustent, tantôt ce sont ces derniers qui émettent des liquidités et les États-Unis s’ajustent ». Et peu importe l’ordre des émissions et des ajustements, nous avons à la fin une action concertée des quatre grandes banques centrales du monde, et leurs taux de change évolué sur les marchés dans une fourchette négociée.
Ainsi, grâce à ces émissions ex nihilo, se comptabilisant sur un endettement sur soi-même pour chaque partie et négocié entre eux, les quatre grandes Banques centrales mettent à la disposition de leurs économies le moyen de financer leurs déficits. De plus, ces pays, grâce aux liquidités injectées, soutiennent les prix des produits à la consommation (subventions), ce qui explique la faible inflation que suscitent ces émissions. Le paradoxe est que cette inflation d’émissions monétaires bien que massive s’apparente plus à une « inflation-déflation », i.e. une inflation sans hausse de prix voire un tassement des prix contrairement aux pays du reste du monde pour qui cette augmentation de liquidités suscite une « spirale inflationniste ». Les pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud se trouvent régulièrement à ajuster l’« inflation importée » par une hausse des salaires qui compense une hausse des prix.
- L’incidence des politiques d’austérité prônées par l’Allemagne sur l’Europe
Evidemment, ces politiques monétaires ont une incidence majeure sur toutes les économies du monde. Si elles procurent un afflux de richesses par le seul moyen de création monétaire à l’Occident puisqu’elle lui permet de financer ses déficits notamment pour les États-Unis, le Japon, la Grande-Bretagne et bien moins pour la zone euro, elle rend aussi un grand service à l’économie mondiale. Les pays d’Afrique, l’Asie et l’Amérique du Sud y trouvent un grand intérêt. L’endettement de l’Occident et la création monétaire ex nihilo permettent à ces pays de trouver non seulement des débouchés aux États-Unis, en Europe et au Japon pour leurs productions de biens (produits manufacturés, industriels ou matières premières) et services, mais la hausse des prix du pétrole et des matières premières permet aux pays exportateurs d’engranger des bénéfices considérables importants, ce qui les fait participer, à leur tour , massivement par leurs importations dans la consommation mondiale. Ainsi la croissance mondiale se trouve dopée par ces liquidités issues des politiques d’assouplissement monétaire occidentales.
Il faut seulement se rappeler l’allusion du président de la Fed, Ben Bernanke, au printemps 2013, de réduire progressivement le QE3, toutes les places financières attendaient avec anxiété son verdict en septembre. Déjà, l’Inde, la Turquie, et surtout le Brésil qui, par la voix de son ministre des finances, Guido, critiquait publiquement les politiques d’assouplissement monétaire, se sont trouvés à retentir la sonnette d’alarme pour le financement de leurs économies. Lors du dernier sommet du G20, une décision des pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) a été prise pour créer un « fond monétaire de stabilisation de 100 milliards de dollars » pour venir en aide à l’Inde et au Brésil en vue de stabiliser leurs monnaies (la roupie indienne et le real brésilien). En septembre 2013, Ben Bernanke a annoncé qu’il poursuivra autant que nécessaire les QE jusqu’à ce que le taux de chômage revient à un niveau acceptable.
Evidemment, la Chine a peur pour ses réserves de change, ce qui est tout à fait naturel. L’Algérie aussi, premier détenteur de réserves monétaires après l’Arabie saoudite. Ces réserves sont constituées en euros, en yen, en livre sterling et surtout en dollar. La Chine, par exemple, combien même elle achète de l’or massivement, ses réserves monétaires resteront toujours excessives. En effet, 100 tonnes d’or à raison de 1500 dollars l’once, ne vaudront que environ 4,3 milliards de dollars. 1000 tonnes d’or 43 milliards de dollars. Et la Chine dispose de plus de 3000 milliards de dollars, ce qui veut dire qu’elle n’a pas tellement de liberté d’action.
Même une internationalisation de fait du yuan, qui demandera probablement une à deux décennies ne la libèrera pas de sa dépendance des monnaies occidentales d’autant plus qu’elle tire toujours profit. Pour preuve, son commerce a certes reculé, mais sa croissance reste largement supérieure aux autres pays développés. Le problème numéro un de la Chine n’est pas les réserves de changes, elle en est le premier détenteur du monde, c’est la transformation au moins d’une partie de ses réserves en création d’emplois pour ses centaines de millions de Chinois qui viennent chaque année au marché du travail (par perte d’emplois ou pas nouveaux arrivés sur le marché du travail). Et bien qu’elle elle s’y emploie, l’emploi reste un problème. Donc les richesses monétaires ne sont pas une fin en soi, elles sont certes nécessaires mais elles doivent être accompagnées par une « politique dynamique ».
Et le même problème de l’emploi se pose aussi bien pour l’Occident, l’Algérie, l’Afrique, l’Asie, l’Amérique du Sud que l’Occident. En particulier pour la zone euro qui utilise faiblement la politique d’assouplissement monétaire et qui a pour conséquence un taux de change élevé depuis 2003, ce qui est négatif pour son économie non parce qu’il élevé. Certes il l’est, l’euro ne s’est pas déprécié ou très peu depuis au moins une décennie, il évolue autour de 1,30 dollar pour un euro. Alors qu’il aurait pu être dégonflé par une politique d’assouplissement monétaire adéquate, ce qui permettrait de mettre de nouveaux capitaux crées pour la consommation et l’investissement en Europe du Sud. Ce qui aurait des effets positifs pour toute l’Europe. Consommer c’est ouvrir un débouché pour produire plus.
Cette situation est-elle normale ? Tous les pays occidentaux usent massivement des politiques monétaires quantitatives, sauf la zone euro pour des raisons d’orthodoxie monétaire. Mais quelle orthodoxie puisque le gouverneur de la Banque centrale européenne n’hésite pas à déclarer qu’il est prêt à créer un fond de 1000 milliards d’euros pour acheter toutes les dettes souveraines des Etats de la zone euro. Puisque par les LTRO, le Fond européen de stabilisation financière et aujourd’hui le Mécanisme européen de stabilisation (MES) de 700 milliards de d’euros, les accords de Lisbonne ne sont manifestement plus d’actualité. La Banque centrale européenne mène depuis 2008 une politique d’assouplissement monétaire avéré et nécessaire, ce qui va contre les accords de Lisbonne qui n’ont plus leur sens. Aujourd’hui, aux grands problèmes les grands remèdes.
Où se trouve l’obstacle ? Il se trouve dans les réticences de l’Allemagne qui « assortit » l’octroi des crédits du fond de stabilisation aux pays en difficultés par des réformes du système financier de ces Etats. Si l’idée est bonne en soi, il faut dire que ces pays même s’ils réduisent leurs déficits, ils ne regagneront pas de la croissance. Le « Pacte budgétaire tant vanté » s’il n’est pas accompagné d’une politique économique porteuse (investissements, création d’emplois, consommation, etc.), sera vain. Les politiques d’austérité prônées par l’Allemagne n’apporteront que la paupérisation de masse. Sans plan d’investissement pour la création d’emplois, ces politiques ne peuvent que mener l’Europe des 17 au mur.
Nous aurons ainsi une « situation presque weimarienne » que l’Allemagne a déjà vécue, après la fin de la guerre 1914-1918, et qui s’est soldée par une hyperinflation en 1923. Evidemment, la situation des pays de l’Europe du Sud, comme la Grèce, l’Espagne… dont le taux de chômage avoisine les 25%, risque de s’étendre à la France, et ailleurs, même à l’Allemagne peut prendre le contour de ce qui s’est passé, il y a 90 ans. Une paupérisation lente peut prendre les pays de la zone euro. Pourquoi ? Par la seule décision de l’Allemagne qui représente environ 28% du PIB global de l’Europe des 17 et pèse par son poids dans les grandes décisions de l’Europe monétaire. Pourront-ils ces pays endettés de l’Europe du Sud, sous surveillance multilatérale, s’en sortir de la crise multiforme combien même ils assainiront tout leur système financier ? Six années sont passées depuis 2008, et leur situation ne s’est toujours pas éclaircie et ces pays subsistent que par les droits que leur autorisent les politiques monétaires de la BCE en tant que membres de la zone euro.
Ces droits viennent du Mécanisme européen de stabilisation devenu permanent puisqu’après épuisement, ce fond se renouvelle et continue de financer l’économie de la zone euro via le rachat des dettes souveraines et des créances immobilières. Ce fond de stabilisation joue comme une « caisse noire » pour l’Europe, comme d’ailleurs pour les autres puissances occidentales, puisque ces fonds sont issues du « droit de seigneuriage que les quatre puissances occidentales ont sur le monde ». La contribution des Etats-membres spécifiées dans le MES portent sur des capitaux qui n’existent pas mais à créer au profit de chaque membre. Si on regarde le dispositif du MES, les « contributions portées de chaque membre se mesurent à hauteur de la taille du PIB de chaque membre dans le PIB global de la zone euro ». Par conséquent, si la Grèce ou l’Espagne profite de ce fond commun, l’Allemagne entend que chaque membre ne peut prétendre que ce que lui revient selon la taille qu’il occupe dans le fond. Si la Grèce représente 3%, ce qui est presque la taille de son PIB dans la zone euro, elle ne peut prétendre qu’à 3% du fond, le reste est à négocier avec les autres pays de la zone, bien entendu, avec des taux d’intérêt élevés. Il en va de même pour l’Espagne qui ne peut prendre qu’à hauteur de 11%, valeur très proche de son PIB. L’Allemagne, par exemple, qui représente environ 27% du PIB global, a droit à 27% du fond. Aujourd’hui, ce fond est de 700 milliards d’euros, c’est dire pourquoi sa situation financière est bien meilleure à celles des autres pays de la zone.
Dans cette distribution des aides financières, il est flagrant de noter qu’il n’y a pas de solidarité entre les 17 pays de la zone parce que l’Allemagne estime qu’une mutualisation des dettes de la zone euro la priverait de ce qui lui revient. Sans prendre en considération que les réformes qu’elles édictent pour les autres pays sont certainement nécessaires mais doivent être aussi accompagnées par un plan global de relance pour l’Europe du Sud. Des plans de relance auxquels de nombreux prix Nobel appellent permettraient par des travaux d’infrastructures, de construction de logements, etc., de créer à la fois de l’emploi dans ces pays, des débouchés pour l’Europe du Nord et du centre, et une « plus grande intégration européenne ». Le Pacte budgétaire viendrait ensuite.
Un repli sur soi par l’Allemagne et cette volonté de refuser une mutualisation des dettes souveraines sans compromis qui le remplacerait n’apporterait pas ce à quoi attendent les peuples quand ils ont plébiscité leur entrée dans l’Europe monétaire, quand ils ont cru en l’Europe. Contrairement à l’Europe, les États-Unis et le Japon mènent une politique monétaire volontariste pour la création ou le maintien de l’emploi. La Fed américaine injecte 85 milliards de dollars par mois, ce qui dépasse les 1000 milliards de dollars par an. Et cette décision est de mener cette politique jusqu’à un taux de chômage acceptable, arrêté à environ 6%.
Que risquent les États-Unis en créant des tombereaux de dollars ? Risqueront-ils une débâcle ? Il est évident que non ! C’est une dette libellée en dollar que le monde entier recherche. Et même si la demande de bons de Trésor américain diminue, les QE y suppléent. Et l’Amérique ne pourra jamais faire faillite, ni aujourd’hui ni demain. Si la Chine internationalisera son yuan, et en supposant même qu’elle sera à parité avec le dollar, i.e. que le yuan aura les mêmes privilèges que le dollar, ce qui est encore lointain, la Chine aura toujours besoin des États-Unis. Il en va pour son économie pour la seule raison que son yuan devenu convertible donc évoluant au gré des marchés internationaux, ne pourra plus se targuer d’une monnaie dépréciée, d’une part, et aura toujours besoin d’échanger avec la première puissance du monde pour maintenir les centaines de millions de chinois dans leurs emplois, d’autre part. Il en va aussi pour les États-Unis.
Le problème n’est donc pas dans la puissance économique, elle vient d’elle-même, ni dans la puissance financière qui n’est qu’un « véhicule de création de richesses » (selon comment on l’utilise), mais dans l’« absorption » de la production, la création d’emplois, les investissements, facteurs majeurs parce qu’ils entraînent la croissance. Pareillement, la hausse de la dette publique ne présente aucun danger pour la zone euro parce qu’elle est libellée en euros, et le monde entier en demande. La monnaie européenne compte pour environ 24% dans les réserves mondiales après les États-Unis (63%). Le Japon a une dette publique qui tourne autour de 250%, et sa monnaie compte pour environ 3% dans les réserves monétaires mondiales. Et si on cumule toutes ses dettes, elles dépassent les 400%. A-t-il fait faillite ?
- L’obstacle weimarien ?
Le problème est que l’Allemagne devrait changer d’approche et applique une politique généreuse et efficace qui lui vaudra la confiance des peuples d’Europe. Il est certain que les peuples européens sont dans l’expectative, et que si les remèdes adoptés ne donnent pas la croissance attendue en 2014, 2015, et un pays peut peut-être mal évoluer, mais pas plusieurs pays, cela signifierait tout simplement que l’Allemagne fait fausse route et qu’elle doit changer sa conception sur l’avenir de l’Europe. Sortir de l’esprit weimarien et se concerter réellement sans imposer ses vues avec les dirigeants de la zone pour trouver le meilleur moyen pour créer la croissance dans la zone euro. Tels sont les défis pour l’Allemagne et les dirigeants européens.
L’Allemagne doit se rappeler les États-Unis et la Grande-Bretagne qui l’ont secourue au sortir de la guerre, la République de Weimar le doit aux Alliés. Il est vrai que l’Allemagne occupait une position géostratégique entre l’Est et l’Ouest. Le sauvetage de l’Allemagne par les Alliés était double. Premièrement, en sauvant l’Allemagne de la banqueroute économique et financière, « ils se sauvaient aussi » du communisme. L’Allemagne est devenue un enjeu planétaire. Deuxièmement, en sauvant son économie, les États-Unis se sont crées une locomotive allemande pour leur économie. Un point de chute pour les capitaux et les exportations de biens d’équipement pour l’Amérique, naguère « atelier du monde ». Par conséquent, la terrible hyperinflation de 1923 ne doit pas être un « obstacle weimarien ». Au contraire, il doit inspirer l’Allemagne.
Ce pan de l’histoire est révélateur et doit guider de nouveau le cours historique de l’Europe. En procédant à des mesures généreuses sur le plan financier et monétaire, elle ferait profiter à la fois la croissance de l’Europe du Sud, sa croissance et les pays du reste du monde. L’Europe au même titre que les États-Unis et la Chine devrait être une « locomotive » pour le monde.
Medjdoub Hamed
Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale,
Relations internationales et Prospective.
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