Pourquoi la République devrait changer d’adresse pour ses dîners
Et bien parce que le diner du CRIF, le Conseil représentatif des institutions juives de France, est devenu celui de toutes les compromissions.
Le terme sied particulièrement bien à cet évènement annuel ; la compromission, « action de transiger avec sa conscience ou ses principes en acceptant certains accommodements avec d’autres personnes pour son intérêt personnel (son ambition, ses passions ou sa tranquillité) », se déclinant ici selon qu’il s’agisse de l’image, l’amour-propre de la République (I) ou des intérêts de la France (II).
I Compromission quant à l’image la République.
Un grief majeur est à opposer à ce qu’Alain Finkielkraut qualifia de « tribunal dînatoire » ; tout d’abord, en dialoguant d’égal à égal, tel n’importe quel intervenant, les représentants des différentes institutions républicaines entament gravement l’image et le respect habituellement du à l’Etat (A) ; ensuite, a fortiori, c’est la communautarisation du pays qui se voit confortée et institutionnalisée (B).
A La République sous la communauté
La chute de l’Ancien régime était celle d’une société dont la structuration en corps, inégalitaire tombait sous l’esprit du siècle, celui des lumières appelant à plus de liberté et d’égalité.
Les corporations, les privilèges, les parlements insoumis de l’Ancien Régime devaient cesser. Aujourd’hui encore, en principe, la république reconnait l’individu, libre et égal en droit, mais non plus les communautés.
Dans les faits les choses ont cependant changé, le dîner annuel du CRIF devenant le symbole actuel de la faiblesse de l’Etat et du politique devant les intérêts de corps constitués au sein de la République.
Aujourd’hui, le président de la république, chef de l’Etat, chef des armées, garant de la constitution, élu par l’ensemble des français au suffrage universel, les ministres de son gouvernement, ne peuvent plus rater cet évènement mondain. Dialoguant d’égal à égal, dans une ambiance conviviale, on vient y parler d’antisémitisme et de politique étrangère, au cœur même d’une institution communautaire. La République est désormais intégrée, elle montre patte blanche, doit se justifier, promettre, rendre des comptes devant les intérêts particuliers, en l’espèce celui du CRIF, (qui représenterait, de mémoire, un juif français sur six). Elle ne s’adresse plus à des individus libres, égaux, mais à des corps constitués se formant au sein de la société.
L’Etat se place définitivement sous la communauté, même minoritaire, pour peu que celle-ci soit suffisamment organisée. Je ne vois pas pourquoi pour lutter contre l’antisémitisme (une déclinaison de racisme) on aurait besoin d’user d’une telle méthode. Non, ce n’est pas la bonne méthode, ce n’est pas la tradition française où l’Etat, la République est censé se placer au dessus, dans une autre sphère que les communautés, les églises, les mosquées.
B L’appel d’air au communautarisme
Le communautarisme se voit institutionnalisé par ce précédent. Aujourd’hui, il est d’usage pour les représentants de la république d’assister au grand dîner annuel du CRIF, pratique déplorable car elle tend vers une vision inégalitaire (anglo-saxonne) et donc contraire à l’histoire française. Comme le démontre très bien Emmanuel Todd dans son ouvrage « l’Invention de l’Europe », la France historiquement s’est formée par les avancées d’un centre qui, anthropologiquement, est fondé sur la famille nucléaire égalitaire, promouvant les valeurs d’égalité et de liberté (différant ainsi de l’Angleterre, libérale et inégalitaire et de l’Allemagne, autoritaire et inégalitaire). Une institution comme le CRIF fait ainsi office d’exception et introduit une inégalité qui, on le voit aujourd’hui, apparait de plus en plus comme insupportable.
Dans cette nouvelle donne, on comprendrait mal en effet que chaque partie de la société qui se penserait comme une « communauté » ne puisse dialoguer d’égal à égal, sermonner et défendre ses vues particulières.
Le CRIF a donc pour effet de favoriser simultanément deux mouvements dont l’objet commun est de rétablir ladite égalité contrariée : 1) appel à la cessation de la participation des représentants de la République à ce dîner, c’est la vision française ; 2) mouvement général de communautarisation de la société conforté par cette mauvaise influence exercée par le CRIF.
Je crois qu’on a bien vu que c’était la deuxième option qui a été choisie par Nicolas Sarkozy.
La communauté, ne fais pas qu’inclure, elle exclut aussi : on en est ou on n’en est pas. Il y aura donc désormais ceux qui auront leur « conseil représentatif » et ceux qui n’en auront pas, on aboutit in fine à une segmentation de la société qui donne l’impression de retourner quelques siècles en arrière.
En 2005, Alain Finkielkraut disait ceci à propos dudit dîner : « Je trouve cette cérémonie légèrement grotesque. Les Juifs ont donné très longtemps un magnifique exemple de participation à la vie nationale, politique et culturelle, et je n’aime pas qu’ils deviennent le fer de lance de la transformation de la République en mosaïque de communautés râleuses. Tous les points soulevés par le président du CRIF sont importants : l’antisémitisme doit être combattu ; il y a aussi, si vous voulez, des zones grises dans la politique étrangère française - nous en avons suffisamment parlé ici même, mais tout cela doit être traité autrement que sous cette forme d’une convocation du gouvernement par le CRIF. Et puis il y aura un dîner de convocation du gouvernement par la communauté musulmane, et puis peut-être un jour par les militants homosexuels qui diront « écoutez, le mariage gay, ça ne vient pas. Quant à l’homoparentalité où en êtes-vous ? »
Nous ne devons pas laisser faire cela et personnellement en tout cas, je ne me vois pas, si vous voulez, participer d’une manière ou d’une autre à un tel rendez-vous. »
Un intellectuel même proche des vues du Conseil voit bien comment une telle institution a un rôle principal - de par son statut privilégié - dans le mouvement décadent actuel : de par son exposition sans cesse accrue, la formidable autorité que les engagements donnés laissent entrevoir, elle affaiblit l’Etat en l’exposant aux velléités particulières. La démocratie croule sous le pouvoir de la communauté.
Ceci doit cesser car cela nuit au vivre-ensemble, à l’intérêt général et au respect normalement dû à l’Etat.
II Compromission quant à l’intérêt de la France
Cet évènement n’est pas seulement hautement critiquable dans la forme, le fond choque tout autant puisqu’on y défend les penchants bellicistes d’un pays étranger (A,B).
A Le CRIF, créancier de la politique étrangère française ?
1) Le grand contrôle annuel de l’Israélo-compatibilité
Le présentateur ne s’y trompe pas, et c’est bien comme cela que tout ceci est perçu : le premier ministre a « promis ».
Qu’est ce qu’une promesse ? Une assurance, le plus souvent verbale, de faire ou de dire quelque chose ; c’est s’engager moralement ; un engagement de contracter une obligation ou d’accomplir un acte, bref…
Quel est l’objet de cette promesse ? Sanctionner l’Iran.
On passe par le CRIF pour nous parler de sanctionner l’Iran, je crois que cela ne trompe personne. C’est bien Israël qui est en cause, et un organisme exige que la France en défende les intérêts les plus pressants (garantir l’avantage atomique acquit au Proche Orient, ne pas freiner l’immigration cruciale pour la survie d’Israël comme Etat « juif », étant entendu que celle-ci se verrait grippée par un Iran nucléarisé) et apporte son soutien pour atténuer le caractère illégitime des sanctions visées, depuis longtemps annoncées et impatiemment attendues.
2) L’intérêt de la France est-il israélo-compatible ?
Pour ce dont il est question, déterminer si l’intérêt de la France est israélo-compatible revient à répondre à la question suivante : la France est-elle menacée par l’Iran ?
La réponse est sans équivoque : non. On voit mal en quoi la France serait menacée actuellement par l’Iran ; l’euro trop fort, le dumping social, l’oligarchie financière, l’Union européenne, autant de choses dont on peut bien plus aisément déterminer la menace etc. Mais l’Iran, cela parait absurde ; -n’a-t-on vraiment rien d’autre à faire que de lui chercher des noises ? De plus, on se demanderait bien pourquoi l’on évoquerait une telle menace spécifiquement dans le dîner d’une institution qui se caractérise par son penchant pro-israélien.
Israël est menacé (ou se sent menacé) par l’Iran, pas la France. Sur ce point les intérêts des deux pays sont divergeant.
Pourtant, dans les propos de nos représentants il y aurait une identité d’intérêts, d’où vient ce curieux défaut de la vue ?
B Préparons nous au pire : attaquons l’Iran !
Il me semble que la situation est relativement sérieuse ; la venue du président de la république, de membres du gouvernement à ce dîner est, comme on l’a vu, symbolique sur plus d’un point.
En particulier, lorsqu’on écoute ce que nous dit monsieur Fillon, on constate qu’au sommet de l’Etat, on a atteint un niveau de confusion de la pensée assez dément. Israël est véritablement devenu une préoccupation à part entière, c’est si vrai qu’on considère désormais, qu’intrinsèquement France et Israël ont les mêmes intérêts, ou plutôt que la France a les intérêts d’Israël. Autrement dit, Sarkozy, qui est derrière tout ceci, se comporte comme si l’hexagone se situait au Proche Orient ; d’ailleurs, tout le parcours du président nous montre qu’Israël est effectivement de première importance pour lui.
La politique étrangère de la France au Moyen-Orient, politique d’équilibre ? Politique « pro-arabe » ? Ce n’est plus à l’ordre du jour, il y a peu une base militaire s’installait à Abu-Dhabi, dirigée bien sûr vers le voisin Iranien…
Kouchner, quelques mois après l’élection de Nicolas Sarkozy, en 2007 déclarait qu’il fallait « se préparer au pire » c’est-à-dire la guerre.
En réalité, il ne faudrait pas accorder au CRIF plus de puissance qu’il n’en a, plus simplement - et c’est bien ce qui pose problème - il rencontre le bon homme au bon endroit, c’est-à-dire Nicolas Sarkozy qui spontanément nous aligne sur la position israélienne.
Au final, l’importance accrue du premier va de pair avec le second et de plus en plus, dépasse ce qui peut être supportable par le citoyen français.
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