Pourquoi le FN n’accèdera pas au pouvoir
Qui a dit : « Marine ne compte pas gagner en 2017. Faire un très bon score, oui, mais pas gagner. » ?
En fait on ne sait pas trop. Selon Le Nouvel Observateur, la phrase aurait été prononcée par un membre du sérail frontiste « ami de la présidente ». Principale cause de ce renoncement, selon l’article : la « panne de cerveaux », autrement dit : la pénurie de cadres, le FN peinant à recruter des militants sérieux et compétents.
C’est bon à savoir, même si on pouvait s’en douter. Cela explique l’entrain avec lequel M. Valls agite le chiffon rouge lorsqu’il déclare que « l’extrême droite et Marine Le Pen sont aux portes du pouvoir ! » En politicien qu'il est, il dramatise l’enjeu avec d’autant plus de facilité qu’il sait que la menace est factice. Cela explique surtout la précipitation de Nicolas Sarkozy à vouloir s’emparer de l’UMP. Comme l’a dit le député de Paris Bernard Debré, non seulement « N'importe quel veau pourra battre François Hollande. Il suffit qu'il y ait marqué droite dessus », mais en plus, sondage à l’appui, « toute la droite pourra battre Marine Le Pen ». S’emparer de l’UMP en 2014 ce serait ainsi être quasiment sûr d’être président en 2017, CQFD.
Admettons que, pour 2017, l'affaire soit pliée. Et après ? La suite de la citation nous apprend que ce ne serait que partie remise : « Pour elle, le vrai rendez-vous, c'est 2022. Avant, le FN ne sera pas prêt, et les conditions de sa victoire ne seront pas réunies : la décomposition de la droite après celle de la gauche. »
C’est là que ça devient intéressant. Dans une période où les commentateurs de la vie politique rivalisent de vacuité et/ou d’hystérie, il n’est pas inutile de rappeler la stratégie de prise du pouvoir du FN, en quatre points :
1- Le FN s’est rallié aux règles de la démocratie représentative, sous sa version actuelle qui est celle de la Ve république. Cette recherche de normalité/respectabilité ne s’arrête pas aux institutions, elle inclut une acceptation des règles politique de la Ve République, qui veulent qu’un parti soit d’abord une machine à gagner l’élection présidentielle. Pour pouvoir jouer le jeu, le nouveau FN veut rompre avec le Front de Papa, provocateur voire scandaleux et par nature peu structuré.
2- Le tour du FN viendra par disparition de ses concurrents, condamnés à s’entraîner mutuellement par le fond. C’est la théorie de la « bande des quatre », devenue « l’UMPS », selon laquelle la putréfaction des partis traditionnels rend caduc le clivage droite-gauche. La lassitude de l'opinion face au jeu des politiques doit ainsi fatalement profiter au FN.
3- La droitisation de la société (en gros : la montée d’une demande sociale autoritaire liée à un rejet de la mondialisation) met le FN au cœur du jeu politique. Si ses dirigeants refusent le qualificatif d’extrême-droite, c’est non seulement parce qu’ils l’estiment péjoratif, mais aussi dépassé. En effet, si la roue politique tourne inexorablement vers la droite, le FN doit sortir de sa position périphérique de départ l’excluant de la course au pouvoir, pour une position centrale qui le place en tête de cette course.
4- La difficulté de recrutement de cadres se résoudra mécaniquement : plus le FN se rapprochera du pouvoir, plus les ralliements seront nombreux. Même si les bras du parti sont grand ouverts à tous, la stratégie de débauchage vise bien évidemment d’abord la droite traditionnelle.
Énoncée de cette façon, une telle stratégie de conquête du pouvoir détonne par les contradictions qu’elle recèle, par sa dimension hautement aléatoire ainsi que par son caractère fortement autosuggestif.
Une stratégie contradictoire, puisqu’il s’agit d’intégrer le jeu institutionnel sans cesser de se présenter aux yeux des citoyens un élément extérieur à ce jeu. De devenir un parti classique dans sa structure et son fonctionnement, sans tomber dans les travers des autres : bureaucratie, technocratie, déconnection d’avec les électeurs. De se transformer en gestionnaire, de prouver qu’on peut administrer la collectivité aussi bien que les autres, sans pour autant s'user comme les autres… Mais peut-on à la fois assumer des positions idéologiques et prétendre à une gestion normalisée ? Peut-on vraiement se mouiller dans la gestion des collectivités et prétendre conserver la virginité du seul parti « qu’on n’a pas encore essayé » ?
Une stratégie aléatoire, car elle parie en même temps sur le bon fonctionnement de la démocratie représentative et sur son explosion. Le FN veut conquérir le pouvoir par le processus normal des élections, tout en misant sur une situation exceptionnelle de crise qui le ferait apparaître comme un recours incontournable. Il faudra donc à la fois une situation suffisamment grave pour interrompre le fonctionnement normal du pays, mais pas trop grave non plus pour pouvoir se régler dans les urnes… Et il faudra que le réflexe du pays soit de faire appel à Marine pour en sortir ! On pense tout de suite au précédent du retour de Charles de Gaulle en 1958… Le compte risque de ne pas y être, si ce n’est en ce qui concerne le niveau de gravité de la crise rencontrée (mais le pire n’est jamais certain), du moins en ce qui concerne les certificats que pourra présenter aux citoyens la nouvelle postulante au grade de sauveur de la patrie.
Une stratégie autosuggestive : si on y croit suffisamment fort, ça va forcément arriver, semblent penser les dirigeants du FN. Cette posture leur conduit à affirmer comme des évidences des énoncés qui ne sont que des paris. Ainsi le pari selon laquelle le dégoût de l’opinion vis-à-vis des partis classiques doit suffire à faire disparaître les réflexes de vote utile ou de front républicain et à faire oublier les préventions majoritaires vis-à-vis d’un parti qui reste majoritairement perçu comme d’extrême-droite. Ou l’idée selon laquelle la porosité entre l’UMP et le FN ne peut jouer que dans le sens favorable au second, et non dans le sens d’une fuite des cadres FN si quelqu'un en veut. Ou encore l’idée selon laquelle la droite classique est incapable de "droitiser" son discours et ses programmes pour maintenir son positionnement électoral vis-à-vis d’un électorat qui se durcit de plus en plus. En un mot : le FN tend à sous-estimer les identités ou les réflexes politiques des citoyens et la capacité de survie des vieux partis. On peut le comprendre, on n’est pas obligé de le croire.
À travers la stratégie de normalisation du FN, Marine tourne le dos à la vieille analyse maurassienne selon laquelle une victoire de l’extrême-droite par les voies légales est impossible car « le gouvernement tient les urnes et ne les lâchera point ». Pour le Front, cette rupture correspond à une fuite en avant : il faut rapidement des succès électoraux pour prouver aux troupes que sa stratégie est la bonne. Pour autant, la conquête de quelques communes moyennes, l’élection de quelques conseillers généraux, l’extension des groupes d’opposition dans les Conseil régionaux, ne peuvent suffire à se rapprocher du pouvoir. Les troupes du parti, soumis à une stratégie qui est loin de faire l’unanimité en son sein et à une caporalisation dont elles n’ont pas l’habitude, pourront-elles longtemps endurer une telle frustration ?
Et même si, par un concours de circonstances improbable sans être impossible, Marine Le Pen réussissait à se faire élire à l’Elysée en 2017 ou en 2022, il est de toute façon très incertain qu’elle engrange dans la foulée une majorité à l’Assemblée nationale compte tenu du mode de scrutin majoritaire et tant l’implantation locale de son parti est fragmentaire. L’hypothèse d’un président FN devant cohabiter avec un premier ministre qui lui est opposé est donc plus probable que le contraire, n’en déplaise à une présidente du parti qui se voit déjà « soumettre » le président en titre et lui laisser inaugurer les chrysanthèmes.
Le FN devrait donc pouvoir encore longtemps jouer le rôle de prétexte et de repoussoir au service des groupes qui se repassent le pouvoir depuis tant d’années, dans lequel il leur est si utile pour détourner l’attention des citoyens. C’est encore cette pièce que le Front joue avec le plus de naturel depuis plus de 30 ans.
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