Pourquoi les Français ne veulent pas d’un gouvernement honnête...
D’où sors-je une idée pareille, allez-vous me dire, offusqués. Pourtant, réfléchissons-y une minute : n’est-il pas étonnant que tant de scandales aient entraîné si peu d’enquêtes parlementaires, et à peine deux démissions bien tardives ?
En fait, non : les Français, anciens et nouveaux Francs réunis, sont des gars assez francs du collier, sans illusions, qui refusent l’hypocrisie de certains pays nordiques ou anglo-saxons, où l’on a pu voir un ministre poussé à la démission pour avoir payé un peu de chocolat avec sa carte professionnelle ! Ridicules, ces descendants de Vikings, n’est-ce pas, avec leur révérence envers le bien public et leur aspiration protestante à la pureté morale. Nous, ce serait plutôt les églises pleines de dorures, les troncs suisses bien remplis et les évêques bien nourris. Comment imaginer, chez nous, la publication des notes de frais des ministères ? Non : la France, révolution ou pas, sera toujours un peu Versailles et les fastes du roi-soleil (WC à l’étage et eau courante en plus), 40 cuisiniers au minimum à l’Élysée ; c’est peut-être pour ça qu’on s’entend si bien avec les dictateurs africains mégalomanes...
Le fossé européen n’est donc pas seulement linguistique entre langues romanes et germaniques - il est aussi entre les pays de la frime et ceux de l’austérité protestante. Assumons.
Cette lucidité, cette absence d’illusions sur notre propre moralité nous honore.
Peut-être avez-vous encore quelque doute sur ce raisonnement ? Pourtant, qui n’a rêvé un jour d’avoir des privilèges, petits et grands ? Qui n’a pas marchandé un petit rabais, comme NS et son cadeau immobilier de 300.000 €, que la justice a sagement refusé de qualifier de "prise illégale d’intérêt" ? Qui n’a pas légèrement enjolivé son CV comme Rachida Dati, qui n’a jamais rêvé de réussite financière, comme l’ex sous-ministre des sports, un peu empêtré dans son affairisme sportif ? Qui ne voudrait favoriser son fils en le faisant accéder à un poste sans rapport avec son diplôme et son cursus, comme NS et Roselyne Bachelot ? Qui n’a rêvé de rabattre son caquet au pape en tapant des textos devant lui, ce prétentieux qui pense connaître le numéro de portable du Très-haut ? Et qui ne s’est jamais senti étouffé par le carcan des conventions sociales, empêché de dire ses quatre vérités au voisin qui promène son fauve sans laisse ?
Qui ne voudrait être assez influent pour se faire offrir 12 000 euros de cigares par la nation, disposer de deux ou trois logements de fonction, d’un Falcon pour week-ends privés, de potes bling-blings ? Qui, enfin, ne voudrait vendre une forêt domaniale et un hippodrome national à un pote, à un prix dix fois inférieur au prix du marché, en s’affranchissant des lourdes procédures légales ? Faire plaisir à des potes - quoi de plus humain ?
Et les fameuses enveloppes de billets qui circulaient lorsque Mme Bettencourt recevait les politiciens amis, n’est-ce pas charmant, un nostalgique et doux rappel des billets que les grand-mères glissent à leurs petit-enfants lors des anniversaires ou des fêtes ? Qu’importe si la liasse s’est considérablement épaissie depuis l’âge tendre... il faut le cœur dur et froid d’un journaliste ou d’un juriste chicaneur pour y voir malice.
Car enfin, quand j’entends parler de paradis fiscaux, je ne sais pas pour vous, mais loin de me faire sursauter, la première image qui me vient à l’esprit, c’est une marina bordée de palmiers, dont les eaux forcément turquoises bercent mon magnifique yacht sur lequel le caviar est servi par des nanas en bikini, en string voire en mini-strings – ça doit bien exister quelque part ! Puéril, je sais, à peine digne d’un épisode de SAS, mais j’ai dit qu’on mettait cartes sur table, plus d’hypocrisie : les paradis fiscaux, ça fait rêver, non ?
Sincèrement, ce qui nous embête dans les paradis, fiscaux ou pas, c’est de ne pas y avoir accès ! C’est comme se voir refuser l’entrée d’un club privé... On ne se sent pas choqué mais honteux. Tout ce à quoi nous avons droit en guise de paradis, nous autres humbles citoyens, c’est l’enfer fiscal !
Toujours pas convaincus ?
Le permis de construire bidonné du secrétaire d’État Joyandet, pareil : on rêve tous de transformer un cabanon de la Côte d’Azur en superbe villa ! Et si on pouvait creuser la colline pour faire venir la mer devant la porte-fenêtre, on le ferait !
Et s’il faut pour cela décorer de la légion d’honneur le grand patron de l’évasion fiscale d’une famille richissime, c’est tout bénef, en plus y aura des petits fours.
Rappelez-vous l’affaire Frédéric Mitterrand : je dois confesser qu’une analyse un peu rapide m’avait fait dire ici même qu’il devait démissionner. Or, si le ministre de la culture fait encore profil bas, c’est à peine si on se souvient qu’il y a eu scandale ! Et puis, qui n’a eu un jour envie de se taper un ancien boxeur de quarante ans, quitte à faire du tourisme sexuel pour ça ? Euh, non... 40 balais, ce n’est peut-être pas un bon exemple. N’ergotons pas sur les questions d’âge des fantasmes des uns et des autres, nous avons enfin un ministre qui connaît et reconnait les tourments de la chair, les passions et les frustrations humaines. Bref : un spécialiste, un expert, un pro. Que demander de plus ? Gardons-le.
Et lorsqu’il ira en Thaïlande discuter des mesures à prendre contre le tourisme sexuel, chacun se dira : enfin un politicien qui sait de quoi il parle.
Il y a d’ailleurs une vieille tradition familiale en matière de pardon : déjà Mitterrand père envers René Bousquet. (Wikipedia)
Et bien avant cela, Papon avait été décoré par De Gaulle lui-même - il fallait bien mettre un terme à l’épuration d’après-guerre, et se tourner vers la reconstruction de la France.
Mais restons Français : évitons la vulgarité crasse des évangélistes américains qui confessent leurs fautes en direct. Pourquoi avoir honte de sa nature profonde ? Pourquoi d’ailleurs aller se confesser devant un type qui a toutes les chances d’être encore plus tourmenté ?
La nature elle-même nous a dotés d’un formidable outil pour oublier : la mémoire ! Les dernières avancées de la neuro-physiologie confirment ce que l’on pressentait et que l’aphorisme « une affaire chasse l’autre » résume bien : la mémoire ne retient pas bêtement tous les faits, mais les hiérarchise, les remanie, et souvent les oublie... Faute oubliée est déjà pardonnée !
De nos jours, seules les valeurs immorales sont cotées en bourse !
D’ailleurs, le sport, dont on va augmenter le nombre d’heures à l’école, confirme ce nouveau modèle offert à l’édification de la jeunesse : dopage, affairisme de la FIFA, corruption, triche - rien n’affecte notre amour du sport.
Le vrai modèle, c’est le fric et la gagne ! Peu importe la main de Henry, la tête de Zidane, la queue de... euh, non, je m’égare, la main de Dieu de Maradona et les multiples témoignages contre Armstrong. Mieux encore : le dopage de champions, à la limite ça pimente un peu l’après-midi – car il faut bien reconnaître que, parfois, un match sans un seul but, ou quatre heures à regarder à la télé des vélos qui serpentent entre quelques collines, c’est rasoir.
Je l’affirme donc bien haut : nous voulons un gouvernement à notre image - hypocrite, cynique, menteur, corrupteur et corrompu, amateur de passe-droits, de prébendes, de privilèges, de valises de billets ; un gouvernement amoral et clanique vendant les services publics à la découpe, de gens normaux qui ont des fantasmes sexuels et osent les revendiquer à la télé. Les Français rêvent, sans se l’avouer, de l’Italie de Berlusconi !
Même la Bible le disait : « Pillez en paix, mes frères » avant qu’un puritain moraliste ne réécrive cette sage sentence en une vague formule « Allez en paix, mes frères ». Oui, mais aller où ? On ne dit pas « Va, mon fils », mais « Va acheter du pain ! ». Absurde, n’est-ce pas ? Manifestement, le message divin a été falsifié pour nous éloigner du chemin tordu, notre préféré, et nous faire suivre le droit chemin - contre-nature.
L’injustice des Grands, c’est le rêve des petits !
2. D’ailleurs, pour s’en convaincre, il suffit d’imaginer le contraire : un gouvernement proche de la perfection.
Imaginez, par exemple, Jésus aux affaires sociales : trop généreux, il viderait les caisses de l’État et finirait en slip - ce qui lui est d’ailleurs déjà arrivé.
Ou Hercule comme ministre des sports. Oui, je sais que les Français penseraient d’abord à Pierre de Coubertin, mais la dérive nationaliste des JO et le dopage persistant ne plaident pas en sa faveur. Même de grands explorateurs comme Paul-Émile Victor ne font pas le poids devant la candidature d’Hercule, car Hercule, c’est carrément du demi-dieu ! On pourrait pinailler en soutenant que son ADN semi-divin est une forme de dopage – mais c’est du naturel, du dopage bio. Hercule, donc : quelle humiliation pour les adolescents boutonneux, malhabiles et malgracieux. Par souci de parité homme-femme, on pourrait envisager un ministère en alternance Hercule - Diane chasseresse, en espérant qu’ils sauront se tenir… Avantage annexe, ces deux-là n’auraient aucun problème de discipline !
Au commerce, j’hésite : je penche pour Christophe Colomb, qui a quand même réussi à fourguer une petite île à un roi en la faisant passer pour la Chine et ses richesses ! Certes, sa prise de possession musclée des territoires d’autrui n’est pas forcément la fierté de notre civilisation, mais quand vous aurez trouvé un génie du commerce qui soit également un saint homme, faites-moi signe.
Aux Affaires étrangères, je verrai bien Confucius : posé, poli, universel, et parfois obscur : l’idéal du diplomate.
Au ministère de l’Industrie, je ne vois personne d’autre que Thor : avec son terrible marteau brandi bien haut dans les négociations internationales, c’est pas lui qui se laisserait intimider par les Chinois ! Les délocalisations et les transferts de technologie, c’est pas son genre.
A la recherche : Marie Curie. A la défense, mmm... Gandhi… trop pacifique, Noé ? Avec son arche bricolée, ça nous rappellerait trop la débâcle de 1940. De Gaulle, peut-être ?
Au ministère de l’intérieur, Sherlock Holmes étant recalé comme cocaïnomane et Anglais, je verrai bien Hercule Poirot, et sa nomination serait bien vue de tous nos amis francophones.
Comme secrétaire d’État aux droits de la femme, qui d’autre que notre mère à tous, Ève ? Nous aurions enfin la réponse à une des plus grandes énigmes de l’histoire : Ève était-elle une belle femme, la bombe (ou le canon, c’est curieux ces métaphores guerrières), le corps parfait qu’ont représenté peintres et sculpteurs, ou une australopithèque quelque peu simiesque ?
Jules Ferry à l’Éducation nationale, ou alors notre bon Topaze, si pointilleux sur l’orthographe... Victor Hugo à la culture ? Il n’a jamais pratiqué le tourisme sexuel, lui, mais il semble avoir été porté sur les amours ancillaires et les partenaires multiples ; plutôt la Fontaine, fin connaisseur de l’âme humaine.
Ah ! Quel gouvernement d’élite, quel aréopage de brillants spécimens de l’Humanité !
Ce serait là un gouvernement de rêve, un digne représentant de la France aux yeux du monde. Mais nous, à les voir d’aussi près, nous serions éblouis ! Soir après soir, se voir infliger à la télé la preuve de notre propre médiocrité, ce serait un véritable enfer, une humiliation quotidienne ! De quoi provoquer une épidémie de suicides, une sorte de recombinaison génétique entre France Télécom et H1N1 !
Déjà dans l’enfance nous avons dû subir les remontrances de nos parents et de nos profs, des pères la morale en tout genre. Voilà qu’à peine indépendants, adultes et libres de crapuler à notre guise, des ministres parfaits rayonneraient à travers le fenestron : l’horreur absolue !
La nature humaine est ainsi faite que si on peut à la rigueur tolérer un homme ou une femme honnête dans un gouvernement, accepter que tout un gouvernement soit vertueux – ah, ça non, jamais !
Voilà pourquoi nous avons un quinquennat à visage humain : magouilleur, faible et pécheur, dans lequel on cherche en vain le moindre sens éthique...
Nicolas Sarkozy, croyant dynamiser le pays par l’ultralibéralisme, a finalement instauré en France un authentique front populaire, voire le véritable communisme : le gouvernement du peuple par le peuple !
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