Pourquoi les politiques n’ont-ils pas de projet sur l’organisation de l’État ?
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Il ne suffit pas de dire ou de crier pour que les choses se passent : comment imaginer que la mise en œuvre d’un programme de gouvernement peut se faire sans une vision de l’organisation des structures publiques ?
Diriger n’est plus décider
Sans vouloir dire qu’exercer une responsabilité politique ou diriger un pays s’apparente à diriger une grande entreprise, il n’en reste pas moins que, du point de vue du management, des points communs réels existent :
- Les entreprises, et singulièrement les plus grandes, c’est-à-dire celles qui regroupent plusieurs dizaines de milliers, voire plusieurs centaines de milliers de personnes, et opèrent mondialement, sont des organismes vivants, mouvants et complexes. En leur sein, le poids réel et direct des décisions prises par leurs dirigeants est de peu de poids au regard du nombre de décisions qui sont prises constamment de toutes parts, dans l’entreprise, chez ses fournisseurs, ses clients et dans son environnement.
- Aussi la problématique contemporaine du dirigeant, surtout vu l’accroissement continu et constant de l’incertitude, n’est-elle plus tant sa capacité à décider, mais l’émergence : comment faire qu’un ensemble composé d’individus responsables et autonomes, soumis chacun à un réseau de contraintes et d’opportunités qui leur sont propres, va globalement aller dans une direction donnée et se renforcer au cours du temps.
- Atteindre un tel objectif, suppose que le dirigeant soit capable de fixer une vision et des principes d’actions qui tout en formalisation la destination commune et en donnant de sens aux actions locales, laissent chacun apte à tirer parti de la situation réelle, et à affirmer sa liberté.
- À côté de cette vision et ces principes d’action qu’il faut non seulement définir, mais diffuser au sein de l’entreprise, une autre responsabilité-clé du dirigeant est la conception et la mise en place des principes d’organisation : ces principes appelés aussi méta-organisation ne définissent pas dans le détail, les structures, mais dessinent comment l’entreprise est structurée (autour de ses produits, de ses clients, de ses géographies), et quelles sont les expertises critiques à constituer.
Savoir voir ce qui va advenir
Diriger une grande entreprise, c’est donc savoir que ses propres décisions sont finalement de peu de poids au regard tout ce qui s’y décide, que la performance est de plus en plus un phénomène émergent, et que son rôle est de matérialiser une vision et des principes d’action, et de s’assurer qu’ils se diffusent effectivement dans l’entreprise.
Eh bien, je crois que ceci est encore plus vrai pour la conduite des États modernes.
En effet, les différentes remarques faites sont encore plus exactes :
- Les organisations y sont encore plus vastes, multiples et diverses. On décide constamment, de partout, et souvent à cause de la décentralisation et de l’autonomie des habitants, sans suivre un quelconque ordre venant du sommet. Aussi si un homme politique croît que diriger, ce n’est que décider, quel contresens !
- Les mouvements, qu’ils soient positifs ou négatifs, sont de plus en plus émergents, et spontanés, c’est-à-dire sans avoir été ni provoqués par une cause clairement identifiable, ni pilotés par des acteurs précis. Au temps des réseaux sociaux, de l’entremêlement des combinaisons possibles, et des individualismes croissants, bien malins celui qui peut démêler les fils…
- Le leader politique n’est donc plus tant celui qui décide, que celui qui est capable d’anticiper le cours des évolutions, de cristalliser les énergies latentes en les faisant adhérer à ce futur imaginé… et de laisser chacun libre, autonome et face à ses propres responsabilités.
Mais est-ce vraiment suffisant ?
Avoir un projet sur les organisations publiques
Un leader politique dans nos sociétés contemporaines et démocratiques doit donc avoir compris que le temps du dirigeant qui, fort de son pouvoir de décision, pouvait décider de tout était bien révolu.
Mais lui suffit-il d’avoir cette capacité de sentir ce qui est dans l’air et vers quoi tendent les évolutions ? Doit-il se contenter de la faire partager pour qu’elle se cristallise ? Ou formulé autrement, la vision et la parole sont-elles suffisantes ?
Non, car pour revenir sur la comparaison avec le management des entreprises, ce serait commettre la même erreur qu’un dirigeant qui ne s’intéresserait pas à la méta-organisation, c’est-à-dire selon quels principes son entreprise est structurée.
Pour diriger et faciliter les émergences, dire et faire partager sont nécessaires, mais il faut aussi mettre chacun en situation de mieux agir, et donc se préoccuper de son cadre de vie, de la clarté de sa mission propre et de son articulation avec les autres. Ce sans sombrer dans le détail des organisations, mais en restant au niveau des principes, pour laisser les managers locaux et les acteurs en place les définir précisément.
Aussi suis-je surpris – c’est un euphémisme – du peu de place accordée par les politiques à la réflexion sur les organisations de l’État.
Comment ne pas voir que ce n’est pas du seul énoncé d’un projet que le changement naîtra ? Pourquoi nommer de nouveaux ministres, sans repenser en profondeur la façon dont l’action publique est conduite, et donc ses organisations ? Pourquoi ne se poser la question de l’organisation de l’État qu’une fois arrivé à la direction des affaires publiques ? N’est-il pas naïf de demander à ceux qui sont en place de se transformer d’eux-mêmes au vu de ce projet ?...
Ne serait-il pas pertinent dès l’élaboration d’un programme politique d’avoir une réflexion sur l’organisation du système public ? Ne devrait-elle pas aussi porter sur l’ensemble du champ de ces organisations, et donc inclure tant les institutions européennes, que les structures locales – Région, Département, Communes ?
Ne serait-il pas légitime pour les citoyens de choisir non pas seulement sur des intentions et des affirmations, mais aussi sur les principes des modalités d’action ?
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