Préparez-vous à rouler à gauche !
Depuis quelques semaines, sans discontinuer et sans avancer, Michel Barnier fait un malheur avec Theresa May aux Bouffes Parisiens dans le duo de « La Mascotte » :
"- J'aime bien mes dindons
- J'aime bien mes moutons
- Quand ils font leurs doux glou glou glou
- Quand chacun d'eux fait bê bê bê
- Mais... j'taime mieux qu'mes dindons
- J't'aime mieux qu'mes moutons
- Quand ils font leurs doux glou glou glou
- Quand chacun d'eux fait bê bê bê,
- Glou glou glou
- Bê "
Sans doute jaloux de ce succès, Emmanuel Macron a choisi un autre registre que l’Opéra-comique et il a endossé le costume de Romeo pour contracter un mariage (presque) secret dans la maison des Capulet, avec la même Theresa devenue Juliette pour un soir.
Etrange chassé-croisé dans lequel les ténors interprètent des partitions différentes et la soprano met plusieurs fers au feu ! La remise au goût du jour de l’ « entente cordiale » entre la perfide Albion et une Marianne désabusée est-elle une initiative ayant pour but d’ancrer le vaisseau britannique dans les eaux territoriales européennes pour éviter une dérive outre Atlantique, ou bien s’agit-il d’un plan B destiné à remodeler l’Europe si l’UE part en vrille comme certains signes le laissent envisager ? Pour essayer d’y voir clair, soyons sérieux quelques instants.
Le jeudi 18 Janvier, le Premier ministre britannique Theresa May et le président français Emmanuel Macron ont tenu une réunion au sommet, somme toute discrète, à Sandhurst, école supérieure de formation des officiers militaires britanniques afin de consolider un traité franco-britannique décisif pour l’avenir de l’Europe. La réunion visait à renforcer les liens militaires et l’échange de « renseignements » entre les deux pays, conformément à la stratégie élaborée dans le Traité de Lancaster House de 2010, en réaction aux tensions croissantes avec l'administration Trump et au sein de l'OTAN et à la crise de la sortie du Royaume-Uni de l'Union Européenne, plus connue sous le nom de « Brexit ».
Les deux dirigeants se sont mis d'accord sur une série de mesures telles que l’accroissement des dépenses militaires, l’intensification des opérations d'espionnage conjointes et le contrôle de l’immigration. Ils se sont engagés à intensifier la coopération sur les programmes d'armement nucléaire, l’utilisation des porte-avions et les déploiements navals dans les océans Pacifique et Indien ainsi que dans la mer des Caraïbes. Ils ont également convenu de prendre des dispositions draconiennes pour établir conjointement une censure efficace sur Internet.
Le Financial Times a noté que le site de Sandhurst avait été choisi comme symbole du "pacte de défense de vingt ans entre la Grande-Bretagne et la France." pour bien mettre en évidence le caractère stratégique de la réunion, les chefs des principales agences de renseignement nationales et internationales étaient tous présents : le MI6 et le GCHQ britanniques et de leurs équivalents français, les directions générales de la sécurité extérieure et de la sécurité intérieure (DGSE, DGSI).
Soulignant le caractère "de plus en plus instable et incertain du monde", le communiqué du sommet a déclaré que le "traité de Lancaster House [était] le fondement de notre relation. Depuis 2010, nous avons amélioré nos capacités collectives et constaté des niveaux d'intégration sans précédent entre nos forces armées, nos services de renseignement et nos autorités diplomatiques et de développement. " en ajoutant : "Il n'y a pas de situation dans laquelle nous pourrions envisager une situation où les intérêts vitaux du Royaume-Uni ou de la France pourraient être menacés sans que les intérêts vitaux de l'autre soient également menacés."
En clair, cela signifie que la Grande-Bretagne et la France construisent une alliance séparée au sein de l'OTAN, une sorte de sous-ensemble de deux états-nations qui fondent plus d’espoir sur des relations bilatérales que sur une intégration militaire européenne. « Le Point » s'est félicité de ce « principe simple déjà esquissé en 1992 », après la dissolution de l'Union soviétique et la réunification de l'Allemagne.
Mais, si ces positions semblent mettre soudainement un coup de frein sur les relations avec les pays d’Europe centrale, y compris l’Allemagne, le document prend aussi ses distances vis-à-vis de la politique étrangère américaine en engageant les deux pays à défendre l'accord de paix nucléaire iranien de 2015, alors que l'administration Trump a déjà annoncé quelle n’y donnerait pas suite et a menacé l’Iran de « sanctions » alourdies. Le document a également appelé à un "dialogue significatif et sans a-priori" avec la Corée du Nord que Washington menace d'anéantir.
Macron qui avait inauguré sa présidence en invitant le président russe Vladimir Poutine en France et appelé à l'amélioration des relations avec Moscou semble avoir fait plus que des concessions en acceptant un document qui attaque sévèrement la Russie en affirmant que le Royaume-Uni et la France "partagent une évaluation commune de la politique étrangère et de défense plus affirmée de la Russie, ... intimidation stratégique, y compris la désinformation, la cyberactivité malveillante et la subversion politique." Le texte dénonce « l'annexion » de la Crimée par la Russie et l’accord de paix en Ukraine négocié par Berlin, Paris, Kiev et Moscou et précise : "Tant que la Russie ne remplira pas ses obligations de Minsk, les sanctions économiques [sur Moscou] ne pourront être levées".
Les deux pays ont convenu d'une série d'interventions à l'étranger pour illustrer leur alliance. La Grande-Bretagne doit envoyer trois hélicoptères, leurs pilotes et le personnel de soutien logistique pour aider les soldats français qui mènent une guerre néo-coloniale dans le Sahel. Pour sa part, la France enverra plus de troupes en 2019, « dans le cadre du groupement de bataille dirigé par le Royaume-Uni en Estonie, en s'appuyant sur le déploiement conjoint réussi en 2017." Le Royaume-Uni compte actuellement 800 soldats en Estonie. Pour ne laisser aucun doute sur la solidité de l’idylle, Theresa May a déclaré qu'un corps expéditionnaire britannique et français serait susceptible de déployer jusqu'à 10 000 soldats « rapidement et efficacement pour faire face à toute menace » d'ici 2020.
Tout en assemblant cette machine de guerre, les deux pays s'accordent également sur l’urgence à réprimer les velléités libertaires en concoctant en particulier la censure d'Internet. Sous couvert de « terrorisme » et de « criminels », le sommet a présenté un rapport contenant des propositions pour « automatiser la détection et la suppression des contenus illégaux dans les 1 à 2 heures de téléchargement » et « empêcher leur diffusion ... »
Londres et Paris ont également négocié le financement du contrôle des immigrés à Calais où la France assure la responsabilité de la police des frontières britannique pour le tunnel sous la Manche en vertu du traité du Touquet de 2003. Theresa May a accepté d'augmenter de 50 millions d’Euros la part des britanniques pour « soutenir la France dans ses réalisations d’hébergements situés en dehors des régions de Calais et de Dunkerque ». Dans la conférence de presse qui a suivi le sommet Macron a présenté comme une « approche plus humaine » l’accélération du processus d'expulsion qui réduit de six mois à un mois le délai pour les adultes et à 25 jours pour les enfants. Le Royaume-Uni a refusé de préciser le nombre de migrants qu'il accepterait au Royaume-Uni.
Le sommet mis l’accent sur l'effondrement du cadre politique international qui existait à l'époque de l'hégémonie mondiale de l'impérialisme américain et ses craintes sur le fait que les puissances impérialistes se préparent à nouveau à la guerre, mais aussi sur différences fondamentales qui séparent les grandes puissances européennes de Washington pour ce qui concerne les pays du Moyen-Orient et d'Asie, où elles ont des intérêts économiques et stratégiques majeurs, et où la politique américaine pourrait provoquer une guerre régionale ou mondiale majeure.
Dans le même temps, l'UE se désagrège rapidement, en particulier depuis le vote sur le Brexit. Il est significatif que Paris et Londres aient organisé ce sommet militaire de haut niveau au milieu de préoccupations croissantes concernant les relations avec l'Allemagne, première puissance européenne, après la crise déclenchée par les élections allemandes de septembre 2017.
Dans un éditorial avant le sommet, le Financial Times avait écrit avait averti à propos de l’évolution des coopération militaire et de renseignement : "À l'ère du Brexit, ces liens seront réexaminés. Il y a un profond scepticisme en Grande-Bretagne à propos de l'intégration des forces armées du pays avec celles de l'Europe."
On peut penser que Macron n’a fait aucun effort pour soutenir la Grande-Bretagne dans ses discussions controversées sur le Brexit avec l'UE, mais il a corrigé cette appréciation en indiquant que, même si c’est un Français qui représente l’UE dans les négociations, c’est bien L'UE, et non la France, négocie le Brexit. La nuance est de taille, même si elle parait trop subtile à de nombreux Britanniques.
Interrogé sur les raisons pour lesquelles il s'opposait à l'inclusion des services financiers dans tout accord de libre-échange entre l'UE et le Royaume-Uni, Macron a déclaré : "Je ne suis ici ni pour punir ni pour récompenser. Je veux m'assurer que le marché unique est préservé parce que c'est le cœur de l'UE. » En ce qui concerne le maintien d’un accès de la Grande-Bretagne au marché unique de l'UE, il a ajouté : « Le choix appartient à la Grande-Bretagne et non pas à moi. Mais on ne peut avoir aucun accès différencié aux services financiers. ... cela signifie qu’il faut contribuer au budget et reconnaître la juridiction européenne "
Il n’est pas nécessaire de consulter la Pythie ou lire dans le marc de café pour prédire à moyen terme quelques bouleversements dans la carte géopolitique de l’Europe et peut-être d’autres régions du monde. La polarité atavique de peuples européens qui, à force de se déplacer vers l’ouest, ont fini par traverser l’océan Atlantique semble ne plus jouer un rôle aussi fort aujourd’hui. La recomposition laborieuse des états d’Europe centrale semble mettre à mal le rêve européen suggéré dans les années 50 par un oncle Sam très intéressé par une extension de ses marchés. Mais ni la Pythie ni le marc de café ne sont en mesure de dessiner les contours précis de la future carte. En tous cas, si vous roulez à gauche dans dix ans, ça ne sera pas par conviction politique !
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