Près de trente ans après la disparition de Vladimir Ilitch Lénine, Joseph Staline affronte l’économie marchande née de la NEP…
Dans Les problèmes économiques du socialisme en URSS, écrits datés de 1952, Joseph Staline, dont nous savons maintenant qu’il devait mourir l’année suivante, fait le bilan de la marche entreprise trente-cinq ans plus tôt par l’Union soviétique pour rejoindre le socialisme.

Il pose tout d’abord le problème des enjeux spécifiques de la dictature du prolétariat ouvrier et paysan de Russie dans son cadre le plus général :
« Le rôle particulier du pouvoir des Soviets s’explique par deux faits ; en premier lieu, le pouvoir des Soviets ne devait pas remplacer une forme de l’exploitation par une autre, comme ce fut le cas dans les vieilles révolutions, mais liquider toute exploitation ; en second lieu, vu l’absence dans le pays de germes tout prêts de l’économie socialiste, il devait créer, pour ainsi dire, sur un « terrain vague », des formes nouvelles, socialistes, de l’économie. » (Site du Centre Marxiste-Léniniste-Maoïste [B], etc.)
Il y avait, certes, ce magnifique prolétariat ouvrier et paysan qui, sur fond d’un effondrement total de la structure étatique du tsarisme consécutive aux terribles impacts militaires de la guerre mondiale, avait fait basculer les grandes entreprises industrielles et les grandes propriétés foncières, les premières, sous l’autorité directe de l’État des Soviets, et les secondes, sous la forme de possession paysanne de terres morcelées en autant de sous-unités que possible. Si le premier pan de cette transformation plus ou moins inouïe conduisait directement au socialisme, le second, à sa façon, risquait de déraper du côté de ce que la Révolution française de 1789 avait engendré d’agriculteurs, propriétaires de parcelles, et bientôt rangés comme un seul homme derrière l’empereur Napoléon Ier… Ce qui ne devait pas échapper à Trotski qui, lui-même, s’y voyait déjà…
Mais revenons à Joseph Staline, alors qu’il s’efforce de démêler ce qu’avait été la démarche de Vladimir Ilitch Lénine affronté à cette dissymétrie de la situation de la Russie de 1917…
Il le voit suivre une première piste :
« a) ne pas laisser échapper les conditions favorables à la prise du pouvoir ; le prolétariat prendra le pouvoir sans attendre le moment où le capitalisme sera en mesure de ruiner les millions de petits et moyens producteurs individuels. » (Idem.)
Il allait donc falloir que ces derniers trouvent leur place dans un système qui ne pouvait pas encore faire d’eux des militants de la cause prolétarienne… Cependant, la détermination affichée par les ouvriers de la grande industrie dont la ligne politique avait été de plus en plus nettement définie par Lénine lui-même, et en tenant compte de certaines étapes nécessaires, avait permis très vite de mettre en œuvre une deuxième mesure :
« b) exproprier les moyens de production dans l’industrie et les remettre en possession du peuple. » (Idem.)
Propriété d’État, mais possession – c’est-à-dire : contrôle de l’ensemble de ce qui s’y passe – par la population travailleuse rassemblée dans ses Soviets.
Joseph Staline poursuit son énumération en faisant apparaître la transformation de dénomination qui aura accompagné un approfondissement à travers ce qui aura été désigné par le terme de « collectivisation », ce qui ne voulait pas dire : « socialisation intégrale », contrairement à ce qu’en Occident certains ont voulu donner à penser, tout en y ajoutant quelques récits de massacres…
« c) pour les petits et moyens producteurs individuels, on les groupera progressivement en des coopératives de production, c’est-à-dire en de grosses entreprises agricoles, les kolkhozes. » (Idem.)
La quatrième initiative renvoie à la notion, essentielle chez Karl Marx, de la dynamique des forces productives… Ici, cette dynamique est impulsée par le secteur placé sous le contrôle direct de l’État, et elle doit profiter, dès les tout débuts du nouveau régime, aux kolkhozes eux-mêmes, et donc aux populations qui sont venues s’y rassembler… de façon peu à peu accélérée jusqu’au moment de cette « ruée » qui a surpris les dirigeants soviétiques, tandis que Joseph Staline lançait lui-même une mise en garde tout à fait significative sous le titre : « Le vertige du succès » (Pravda, n° 60, 2 mars 1930) :
« d) développer par tous les moyens l’industrie et assigner aux kolkhozes une base technique moderne, celle de la grande production ; ne pas les exproprier mais, au contraire, les fournir abondamment de tracteurs et autres machines de premier ordre. » (Idem.)
Mais il faut bien comprendre que ce soudain réveil d’un très fort déplacement de classes en direction de structures d’apparence très collectiviste ne correspondait pas nécessairement à une volonté farouche d’en venir au socialisme. Et c’est ce que développe la cinquième et dernière rubrique énoncée par Joseph Staline :
« e) pour assurer l’alliance économique de la ville et des campagnes, de l’industrie et de l’agriculture, on maintiendra pour un temps la production marchande (échange par achat et vente), comme la forme la seule acceptable — pour les paysans — des relations économiques avec la ville, et on développera à fond le commerce soviétique, le commerce d’État et le commerce coopératif et kolkhozien, en éliminant du commerce tous les capitalistes. » (Idem.)
Au passage, nous remarquons que, si le socialisme se caractérise, en particulier, par l’échange de produits, la production marchande s’établit sur une base monétaire qui est le mode de vie ordinaire des marchandises… Est-ce pour autant une préfiguration du capitalisme ?
Voici la réponse que donne Staline :
« La production marchande ne conduit au capitalisme que si la propriété privée des moyens de production existe ; que si la force de travail apparaît sur le marché comme une marchandise que le capitaliste peut acheter et exploiter pour la production ; que si, par conséquent, il existe au pays un système d’exploitation des ouvriers salariés par les capitalistes. » (Idem.)
Dans l’Union soviétique de 1952, Staline peut l’écrire en toute tranquillité :
« Or, notre société est précisément une société où la propriété privée des moyens de production, le salariat et l’exploitation n’existent plus depuis longtemps. » (Idem.)
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