Présidence française de l’Union européenne : beaucoup de bruit pour rien
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La présidence française de l’Union européenne aura sans aucun doute été l’occasion pour Nicolas Sarkozy de redorer son blason. Beaucoup de communication, d’annonces, de déplacements et de réunions européennes ou internationales... mais pour bien peu de choses.
Tout d’abord, notons que les six mois de présidence auront eu un coût très élevé : 160 millions d’euros, soit un peu moins que l’Allemagne -180 millions- mais trois fois plus que la Slovénie, 16 fois plus que le Royaume-Uni et davantage que tous nos autres partenaires européens. Surtout, l’essentiel des dépenses de la présidence française fut consacré aux rencontres informelles organisées sur le sol français et aux différents événements marquants, avec une place sans précédent accordée à la communication. Le détail des dépenses ne sera rendu public que courant 2009.
Sur le fond, cette présidence aura été tout sauf constructive. Au-delà de l’"hyper-activisme" de Nicolas Sarkozy agaçant voire méprisant l’Allemagne (la première puissance économique et le principal partenaire européen), il est bien difficile d’évoquer une quelconque avancée de l’Union sur un sujet d’importance.
"L’Europe puissance" est au point mort alors que l’Europe de la défense patine (les seules avancées ont pour la plupart trait à la démarche capacitaire. Ce sont des avancées pratiques, sans portée politique réelle). Cette dernière était la condition de la réintégration de la France dans le commandement intégré de l’Otan. Celle-ci est pourtant quasiment acquise. Et comment juger le poids de l’Union dans les affaires internationales lorsqu’elle décide, sous l’impulsion française, de réhausser les relations avec Israël le jour même où l’expert de l’ONU sur les droits humains dans les territoires palestiniens, Richard Falk, rappelait à l’ordre l’État hébreu ?
L’Europe sociale semble plus loin que jamais au moment où la crise justifie plutôt le démantèlement d’acquis sociaux (sous couvert de coupes budgétaires "contraintes") organisé par la droite européenne. Certes, cette dernière n’était pas dans les objectifs de la présidence française. Mais cela était déjà une faute en soi. Pis, la France n’a pas hésité à régresser en la matière. Depuis 1993 la loi européenne limite à 48 heures la durée maximale du travail hebdomadaire. Après six ans de négociations, les ministres européens de l’Emploi (dont le Français Xavier Bertrand) se sont entendus sous cette présidence pour une durée maximale possible de 65 heures...
La question de l’immigration a elle été traitée en trois mois avec la décision d’appliquer dans l’ensemble de l’Union le système français instauré par Brice Hortefeux. En caricaturant à peine, il s’agit de récupérer les compétences et "cerveaux" des pays d’Afrique et d’ailleurs, de construire une muraille contre les autres, de charger quelques États riverains de l’UE de la surveillance de ces remparts, de multiplier en interne les centres de rétentions, de renforcer les pouvoirs des polices pour chasser les parias de la mondialisation, etc. Une fois de plus, seuls comptent les chiffres des expulsés, la satisfaction d’un certain électorat populiste et l’illusion de la sécurité économique (emploi) et identitaire (le célèbre mais fallacieux "choc des civilisations" dont l’auteur est décédé récemment).
Michel Barnier avait clairement affiché l’ambition de "débattre du fond" sur la PAC. Pourtant, on est encore très loin d’un compromis pour celle de l’après-2013. Pendant les six derniers mois, on a pu observer une radicalisation des oppositions traditionnelles et l’ambition de la France de rallier les pays de l’Est à sa position n’a pas été -c’est le moins que l’on puisse dire- un franc succès...
L’énergie et le changement climatique constituaient l’une des grandes priorités de la présidence française de l’Union européenne, quelques mois après le "Grenelle de l’Environnement" initié en France. Les objectifs de départ ont été maintenus (améliorer l’efficacité énergétique de 20%, porter à 20% la part de renouvelable dans la consommation finale d’énergie et réduire de 20% les émissions de CO2 par rapport à leur niveau de 1990) mais certaines propositions de la Commission européenne de mars 2007 ont du être très clairement assouplies sans que la France ne parvienne à convaincre sur une position plus audacieuse. Une fois de plus, Nicolas Sarkozy se félicita d’un "évènement historique". Mais comme l’a rappelé Céline Gavand, chargée de campagne climat chez Greenpeace France, "la seule chose qui est historique aujourd’hui, c’est l’occasion que l’Europe vient de manquer de redessiner son avenir économique et énergétique et de réaffirmer son statut international de leader en matière de lutte contre les changements climatiques. Si tous les pays industrialisés suivaient l’exemple que donne l’Europe aujourd’hui, les températures globales augmenteraient de 4°C".
La crise financière est évidemment à évoquer. Là encore, l’activisme du président français a été largement salué sans suffisamment s’attarder sur le fond des propositions. Nous le savons, les plans de relance des trois plus grands pays d’Europe sont d’une ampleur insuffisante et en dessous de ce que la Commission elle-même a suggéré. En outre, des distorsions importantes existent entre les plans. Si les premiers visent les ménages, les seconds ont ciblé les entreprises en choisissant de réduire les coûts de production. Mais il n’est pas acquis que celles-ci répercutent cette baisse sur les prix et donc entraîne une hausse de la consommation. Ce qui donne, comme le rappelle Michel Aglietta, des plans de relance "unijambistes" qu’il faudra sans doute réviser en 2009.
Enfin, loin de ce que l’on pourrait penser a priori, l’Europe politique sort de cette présidence plutôt affaiblie. Certes, l’Union aura été présente dans les médias internationaux sur de nombreux sujets, et souvent de manière unie. Si cela peut être un vrai motif de satisfaction, il ne doit pas occulter la grave atteinte à la démocratie représentative européenne. En effet, Nicolas Sarkozy -qui s’est auto-proclamé "Président de l’Union" (titre qui n’existe pas)-, a à plusieurs reprises décidé à l’encontre du vote des députés européens (exemple des relations avec Israël et du projet de loi français dit "Hadopi"), pourtant seuls représentants démocratiques (et élus au suffrage universel direct) des Européens.
La Commission européenne qui de par ses statuts doit représenter le seul intérêt de l’Union européenne (et non l’intérêt des États) s’est laissé largement déportée vers un rôle de simple secrétariat interétatique. La volonté de José Manuel Durão Barroso (président en exercice de la Commission) d’être reconduit suite aux élections de 2009 à la tête de l’exécutif européen n’est sans doute pas étranger à ce désengagement. Bref, si l’activisme du président français a montré la nécessité d’un leadership européen fort et d’une présidence stable du Conseil européen, il a dans le même temps totalement marginalisé le rôle de la Commission. D’ailleurs, la décision de garder une commission à 27 membres, pour rassurer les craintes irlandaises et négocier un nouveau vote, affaiblit de fait cette institution.
Alors finalement quel constat après ces 6 derniers mois ? Les médias français dans un bel élan unanimiste, preuve de cette indépendance qui les caractérise, a décidé : "c’est une merveille". Il aurait bougé les lignes, Il aurait fait fi des conventions lourdes et des formalismes paralysant, Il aurait osé, osé, osé. Il aurait bousculé la vieille dame pour le meilleur... Mais si l’on prend un peu de recul, que l’on pense à nos voisins et au monde, le constat est banalement mitigé. Il y a eu de bons aspects, il serait absurde de ne pas le reconnaître. Comme l’a rappelé Jacques Delors, l’euro n’a pas démérité et malgré les critiques souvent pertinentes sur la BCE, on peut estimer qu’il nous a plutôt protégé. Aussi, ne le nions pas, les fonctionnaires français ont su faire avancer quelques dossiers pratiques sous cette présidence (reconnaissons là, la compétence de Jean-Pierre Jouyet, bien évidement ouvertement méprisé par notre président). Mais en termes politiques, le résultat de Nicolas Sarkozy est négatif. Il n’a su que renforcer l’Europe des États en affaiblissant l’Europe communautaire, l’Europe tout court. En parallèle, il s’est essayé maladroitement et avec beaucoup d’arrogance à isoler l’Allemagne pour se rapprocher sans succès du Royaume-Uni, pays euro-sceptique s’il en est. À l’international il aura réussi une belle opération de communication en Géorgie alors même que concrètement la situation est autrement plus complexe que le tableau hollywoodien que certains ont voulu peindre. Le G20 en aura été un autre magnifique et dramatique exemple : beaucoup de communication... pour rien.
Nicolas Cadène
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