Présidentielles 2007 : la peur du 21 avril
Depuis le 21 avril 2002 et l’accession du candidat du FN au deuxième tour de l’élection présidentielle, et encore plus à l’approche de l’échéance suivante, les commentaires sont allés bon train sur la question suivante : « Les hommes politiques ont-ils tiré les conséquences de cet événement ? ». Toutefois, mon interrogation est différente ; nous, électeurs, en avons-nous tiré les conséquences ?
Premièrement, il est légitime de s’interroger sur le système même de l’élection. En effet, sans même entrer dans le débat de la légitimité des idées qu’il représente, je pense que tout le monde est d’accord pour dire que le candidat Le Pen n’a aucune chance de remporter un second tour, à l’heure actuelle, et ceci quel que soit son adversaire. Le score de Chirac en 2002 en est sinon une preuve, du moins une bonne indication. Un système qui qualifie pour le deuxième tour un candidat qui n’a aucune chance de s’y imposer est-il bon ?
A droite comme à gauche, la réaction a été la même, les électeurs de gauche auraient dû se mobiliser pour permettre l’accession de leur candidat au second tour. Soit. Mais n’est-ce pas renier les enjeux traditionnels du premier tour de l’élection présidentielle sous la Ve République ?
Effectivement, qu’on le veuille ou non, que ce fût souhaité ou non, ce premier tour de l’élection présidentielle s’est installé comme la mesure du rapport de forces des différents courants politiques, en fonction du pourcentage des voix de chacun. De plus, cette mesure s’avère capitale, car elle permet d’avoir un panorama nuancé, et non binaire, de l’opinion. Et quelle autre élection pourrait ainsi permettre de prendre la « température » de la représentation des courants politiques dans l’électorat ?
L’arrivée du FN au deuxième tour remet tout cela en question. En effet, la prescription pour éviter un nouveau plébiscite républicain, et renouer avec un véritable affrontement entre les deux grandes forces politiques françaises, cette « mobilisation dès le premier tour », ce « vote utile », se résume en fait à inviter les gens à voter au premier tour comme ils ont l’intention de le faire dans le duel espéré (téléguidé ?) du deuxième tour.
D’évidence, dans ce contexte, la fonction revendiquée de mesure du rapport de forces des différentes tendances politiques s’effondre. Les électeurs, de gauche comme de droite, ne peuvent plus affirmer leur nuance politique en votant pour des courants minoritaires, puisqu’on ne tient pas compte de leur sentiment par rapport aux autres candidats. In fine, cela renforce le bipartisme.
Le système de l’élection présidentielle à deux tours, déjà discutable avant le 21 avril 2002, atteint là ses limites de manière critique. Des limites qui avaient déjà été mises en évidence par les réflexions de Condorcet (paradoxe de Condorcet). Il propose, en remplacement, un système de scrutin où chaque votant définit son opinion sur tous les candidats, par un classement plutôt que par le choix de son favori. Il estime ce type de scrutin impossible à mettre en œuvre matériellement à son époque. Aujourd’hui, l’outil informatique permet ce genre de traitement, et c’est plus la complexité du système qui peut rebuter l’électeur moyen (bien qu’il puisse être séduit, par ailleurs, par le fait qu’un tel système ne nécessite de voter qu’une fois).
On peut toujours douter (légitimement, selon le théorème d’impossibilité d’Arrow) de l’efficacité de tel ou tel système de scrutin, et les tentations sont toujours grandes de vouloir modifier le système pour lui faire générer les résultats que l’on souhaite (les politiques en sont d’ailleurs friands). Mais en ce qui concerne la représentation du paysage politique de l’opinion, il paraît évident que le système Condorcet serait un bien meilleur révélateur que l’élection présidentielle à deux tours. Même si d’aucuns trouveront inenvisageable son application dans le cas de l’élection présidentielle, il serait bon que des instituts de sondage s’y intéressent, notamment en demandant leur avis aux électeurs sur le système, et en l’appliquant eux-mêmes pour pouvoir comparer les résultats avec ceux des méthodes traditionnelles.
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