Présidentielles 2012 : le pauvre institut, le bon sondage et le méchant « sondophobe »
Avec le « sondophobe », les instituts de sondage se sont fabriqués l’adversaire rêvé : un être à la fois mal intentionné et faiblement cortiqué. Une bonne façon de faire passer toute critique pour le fruit de la bêtise et éviter de traiter des vraies questions. Il fallait y penser.
Face aux critiques qui se multiplient à l’encontre de leur profession, trois grands noms des sondages développent la contre-argumentation des instituts : « Secrets de sondages » de Denis Pingaud, « La guerre des sondagesé » de Hugues Cazenave et « Opinion, sondages et démocratie » de Roland Cayrol.
Le sondophobe est un adversaire de la démocratie
Ceux qui critiquent les instituts sont des adversaires des sondages, donc de l’opinion, donc de la démocratie. CQFD ! Pourquoi faire dans la finesse quand on peut simplifier le débat à sa plus simple – et sa plus idiote – expression ? Ce premier tir de barrage, censé dissuader les critiques d’aller plus loin, est à ce point sommaire qu’on ne s’y attardera pas. Contentons nous de préciser – si besoin était – qu’on peut regretter la multiplication des sondages, sans vouloir les interdire, et chercher à comprendre leur influence sur l’exercice du pouvoir sans être un dangereux trotskiste !
Le sondophobe est un mauvais joueur
C’est une des critiques adressées aux sondages, une de celles que les instituts adorent évoquer à longueur de temps pour mieux la balayer d’un revers de main. Après tout, qui attaquent le plus souvent les sondeurs sinon des politiques (brutalement ou désespérément) confrontés à de mauvais sondages ? Denis Pingaud évoque ainsi Ségolène Royal devenue dans ses heures difficiles une sondophobe aussi obsessionnelle qu’irrationnelle mais somme toute représentative d’une classe politique qui trouve dans les mauvais sondages un exutoire facile. Hugues Cazenave enfonce le clou : « les exemples de candidats battus, d’hommes ou de femmes politiques en difficulté critiquant les sondages sont légion ». Comme si le débat actuel se résumait à un manque de fairplay et à quelques ambitions déçues…
Le sondophobe est un hypocrite
Il s’agit là encore d’une pierre dans le jardin, déjà bien encombré, des politiques. Après tout, les politiques qui ne cessent de critiquer les sondages au premier vent contraire ne sont-ils pas aussi les premiers consommateurs d’études quanti et quali ? Comme si le fait de s’intéresser à une chose interdisait tout sens critique ! Passons, il ne s’agit là qu’une attaque de second ordre.
Le sondophobe est un crétin
Le sondophobe étant présenté comme un opposant systématique, il est, par définition, hermétique à toute explication scientifique. Le sondophobe n’est, de fait, ni très futé, ni très subtile. Il fait partie de ceux qui n’ont toujours pas compris que le sondage est une photographie de l’opinion à un instant « t » (et pourtant ce n’est pas faute de se l’entendre répéter !). De même, il continue de lui échapper que si les sondages connaissent des variations, parfois importantes, cela ne doit rien à une erreur d’appréciation et tout à l’extrême « volatilité » de l’opinion. D’ailleurs, plus le sondage est éloigné du moment du vote, moins il a de valeur prédictive. Et plus il s’en rapproche, plus il est fiable. Ce n’est pourtant pas compliqué ! Combien de fois faudra-t-il que Hugues Cazenave vous le répète ?
Le sondophobe ne sait pas lire les sondages
Plus que tout autre, le sondophobe est convaincu de l’absence de fiabilité des sondages. Décidément, quelle bêtise ! Car, pour les instituts, les sondages se trompent rarement. Prenez le premier tour des présidentielles de 2002 devenu l’exemple même de l’incapacité des sondages à détecter les glissements d’opinion. Pour Denis Pingaud, l’érosion des intentions de vote en faveur de Lionel Jospin était pourtant évidente pour qui savait bien regarder les chiffres. Hugues Cazenave va même plus loin : il ne fallait pas prendre les résultats au pied de la lettre mais « tenir compte des marges d’erreur qui entourent les résultats de tout sondage ». A cette inculture des sondophobes (auxquels il faudrait adjoindre le réflexe de tous ceux qui ont le malheur de prendre les sondages « au pied de la lettre ») s’ajoute le parti pris politique et sensationnaliste des médias. Que ne ferait pas un journal pour faire une couverture sensationnaliste, sinon trahir les résultats des sondages ? Pour nos professionnels, ce travers médiatique pèse aussi beaucoup dans le débat actuel. C’est dire qu’entre ceux qui ne savent pas lire et ceux qui extrapolent ou instrumentalisent les résultats, les pauvres instituts ne sont pas vraiment aidés !
Le sondophobe est un ignare
Sacré sondophobe. Obnubilé par son aversion des sondages, il est intimement convaincu que la démocratie d’opinion est le propre d’un pouvoir politique affaibli et démystifié. Sait-il seulement que De Gaulle, déjà, recourait aux services de l’Ifop pour mesurer la performance de ses prestations télé ? Oui, pas le machiavélique Mitterrand, ni le médiatique boulimique Sarkozy. Le Général, lui-même ! Mais là n’est pas le plus grave. Le sondophobe ne sait pas (à moins que, là encore, il ne veuille rien savoir) que la méthodologie des intentions de vote est contrôlée par la Commission des sondages, un « organisme officiel indépendant composé de membres du Conseil d'État, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes ». Que cette « sentinelle institutionnelle » ne donne les informations demandées qu’au compte goutte et n’ait jamais sanctionné un institut ne devrait troubler personne.
En guise de conclusion… provisoire
Au terme de ce rapide panorama, on ne peut être qu’atterré par le niveau intellectuel de la réflexion. Ainsi ce débat ne serait que le résultat d’ambitions politiques déçues, le fait de quelques extrémistes ennemis de la démocratie et le résultat d’une ignorance généralisée sur la bonne façon d’interpréter les résultats des sondages ? Heureusement non. Il s’agit de l’interprétation que privilégient les instituts pour éviter de parler des vrais problèmes. Réussiront-ils à l’étouffer de cette façon ? C’est peu probable. La ficelle est trop grosse et l’argumentation au bout du compte bien trop faible pour que les instituts s’en tirent à aussi bon compte. Quoi qu’il leur en coûte, ils devront se résoudre à débattre sur le fond. Le débat ne fait donc que commencer. Pour la démocratie, il n’est pas anodin qu’un pays comme la France prenne l’initiative de le mener jusqu’au bout.
Franck Gintrand
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