Prix Nobel de la philanthropie
Le prix Nobel d’économie 2019 vient d’être attribué à une pasionaria de la lutte contre la pauvreté, un choix qui fait l’unanimité médiatique.
Le domaine de spécialisation de la franco-américaine est, sans grande surprise, la microéconomie, par opposition à la macroéconomie, ce qui la rend moins suspecte. Elle ne risque donc pas de se frotter au dogme, l'unique « système de production, des échanges et du partage des fruits de la productivité » en vigueur, le capitalisme. Vu les crises diverses et variées qui le secouent actuellement, le système, le choix a dû sembler plus judicieux aux yeux du jury suédois.
La microéconomie ayant pour but la comparaison et la modélisation des comportements des agents économiques entre eux, à l’intérieur d’un marché spécifique, la macroéconomie analyse l’interaction entre les facteurs économiques au niveau d’une nation voire entre nations, tels que les revenus nationaux, l’investissement privé et public, le pouvoir d’achat, la consommation, l’inflation, facteurs qui constituent des outils d’analyse essentiels, déterminants la politique économique d’un pays.
Le service public, notamment le système éducatif, étant largement privatisé aux Etats-Unis, surtout celui des hautes études, l’économiste primée, ainsi que son employeur, le « Massachusetts Institute of Technology » MIT, dépendent donc de dons d’entreprises privées et de généreux mécènes. (1)
L’Arabie Saoudite, par exemple, y est représenté en tant que membre du « MIT Media Lab », à travers la « Misk Foundation » ou « Prince Mohammed Bin Salman bin Abdulaziz Foundation », une ONG, « dédiée à la culture et l’éducation de la jeunesse par le biais de l’entreprenariat », à laquelle sa majesté avait payé une brève visite lors de sa venue officielle aux Etats-Unis, le 24 mars 2018. (2)
Les sources de financement, essentiellement privées, des travaux du couple lauréat, proviennent également, en grande partie, d’Arabie Saoudite, la dernière en date, par un ancien « alumnus » du « Massachusetts Institute of Technology » MIT, Mohamed Abdul Latif Jameel, le fils de l’homme d’affaires saoudien Abdul Latif Jameel, mort en 1993, dont la famille compte parmi les plus grosses fortunes du Moyen Orient, et qui avait permis à la lauréate et son mari, en 2003, l’ouverture, sur le campus du MIT, du « Abdel Latif Jameel Poverty Action Lab » au nom duquel elle vient de recevoir le Prix Nobel de l’économie.
Ce n’est donc pas non plus une surprise que la lauréate favorise une collaboration étroite avec de nombreuses ONG, ainsi que le monde douillet de la philanthropie, dont la « Laura and John Arnold Foundation » du gestionnaire de « hedge funds » et milliardaire John Arnold, ancien négociant au service de la tristement célèbre maison de courtage en électricité texane « Enron », une des plus grosses entreprises américaines de par sa capitalisation boursière à l’époque, profiteur, par la même occasion, de la faillite frauduleuse de la dernière en 2001, à travers sa nouvelle firme, fondée en 2002, le « hedge fund » « Centaurus Advisors », juste après la déconfiture de son ancien employeur. On pourrait également mentionner l’étroite collaboration, revendiquée par la lauréate, avec le milliardaire Bill Gates et sa « Fondation Bill et Melinda Gates ».
En tant qu’économiste, la lauréate favorise « l’expérience du terrain », plutôt que la théorie, ce qui est rafraîchissant après près de 45 ans de dogme « friedmanien » (Milton Friedman, Prix Nobel de l’économie 1976), seulement, un peu court peut-être.
L’hebdomadaire américain « The New Yorker » la qualifie « d’intellectuelle française de centre gauche qui croit en la redistribution et qui souscrit à la notion optimiste que demain sera peut-être meilleur qu’aujourd’hui. » (mai 2010) C’est dire à quel point elle est convenable pour un Prix Nobel.
Il semblerait que Madame Duflo se sert d’une méthode d’évaluation de projets humanitaires, utilisée essentiellement dans le domaine de la médecine, qu’on appelle « essai randomisé contrôlé » ou « randomized controlled trial » (Wikipedia) pour expliquer des phénomènes économiques, ou plutôt « pour appliquer une méthode qui marche ».
Pour mieux comprendre sa recette, elle nous la décrit dans une interview, accordée à « France Inter » le 15 octobre dernier. « Nous avons pris une centaine d’écoles du Kenya, et dans une cinquantaine d’entre elles, prises au hasard, nous avons distribué des manuels scolaires en anglais. L’idée à l’époque était que, disposer de manuels scolaires pouvait faire une grande différence. (?) Un an après (?), nous nous sommes aperçus que les enfants n’avaient rien appris dans les manuels scolaires. Nous avons réalisé que cela n’avait pas fonctionné, car, bien que le programme solaire au Kenya soit en anglais, les enfants ne savaient pas lire l’anglais. (?) Cette expérience a été la première d’un long parcours (?) qui nous a permis, de mieux comprendre quel était le vrai problème de l’éducation dans un pays comme le Kenya ou l’Inde où les programmes scolaires ne sont pas du tout au niveau des élèves. (?) Fin de citation.
Dans une autre interview, sur « France Culture » du 17 novembre 2017, la lauréate nous explique pourquoi le micro-crédit ne marche pas. Tout simplement parce que les pauvres utilisent le produit du crédit octroyé à des fin de consommation plutôt que pour investir dans une activité rémunératrice. On pourrait objecter que les banques, ou autres pourvoyeurs de crédit, ont un certain devoir de diligence, qu’il y a un élément « éducation » à considérer. Mais, peut-être cela serait chercher trop loin.
Un autre exemple « d’expérience aléatoire » du team Duflo. « J’ai travaillé avec une ONG indienne pour proposer du soutien scolaire aux enfants qui étaient en difficulté au niveau CE2 et CM1. On a choisi un échantillon de 123 écoles, dont 60 au hasard, où le soutien scolaire a été introduit, et on s’est rendu compte que ça avait fait une différence énorme (?) Fin de citation. La progression du niveau scolaire grâce au soutien scolaire. En voilà une trouvaille.
Ainsi, l’économiste s’étonne que « dans l’opinion publique l’image des économistes n’est pas bonne, car lorsqu’on fait un sondage sur les personnes auxquelles on fait confiance, généralement les économistes arrivent à l’avant-dernière place, juste avant les politiques. » Fin de citation. On se demande pourquoi.
Quoi qu’il en soit, on a l’impression que le jury du Prix Nobel n’a pas entendu parler de la quasi éradication de la pauvreté en Chine, en l’espace d’à peine quarante ans, une réussite dont l’accomplissement a pris quelques siècles en Europe.
La pauvreté en Chine, relative au revenu médian, en prenant en compte le pouvoir d’achat, a baissé, selon une statistique de la Banque Mondiale, de 17,3% (97,5 % en 1978, pour comparaison et selon une autre source) à 3,1% entre 2010 et 2017 (chiffres disponibles).
En 2017, le revenu moyen disponible dans les campagnes chinoises s’élevait à 2'106 Yuan contre 133 Yuan en 1978 et la consommation moyenne par habitant s’est multipliée par 14 pendant la même période. Cela s’appelle, en économie, la redistribution des gains de productivité ou plus prosaïquement, des richesses produites, car le PIB (produit intérieur brut) est passé de 367 milliards Yuan en 1978 à 11,800 milliards Yuan en 2016, ce qui représente une croissance moyenne annuelle de 9,6 %.
Le développement de l’agriculture, ainsi que la redistribution équitable des facteurs de production, notamment des terres arables, a contribué à la réduction de la pauvreté, notamment dans les régions rurales. Dans le cadre du plan septennal, l’aide aux régions les plus défavorisées, soutenue par l’état, a permis une augmentation de la valeur ajoutéé agricole de 54% entre 1994 et 2000, sortant 80 millions de paysans chinois de la pauvreté. Le revenu net par habitant de la population rurale est ainsi passé de 648 Yuan à 1'338 Yuan, soit une progression annuelle de 12,8%, 2% plus élevée que la moyenne nationale. (Université Renmin, Peking, Wang Sangui)
C’est donc évidemment grâce à la croissance économique et la redistribution équitable des gains de productivité que la Chine a réussi à éradiquer l’extrême pauvreté. Il est en revanche également évident que, pour les pays développés, les paramètres économiques traditionnels, utilisés pour mesurer la prospérité d’une économie, dont le taux de croissance fait partie, sont devenus obsolètes depuis bien longtemps, et la redéfinition de nouveaux paramètres, macroéconomiques, pour l’ancien monde, aurait bien valu un sujet pour un prix Nobel de l’économie.
« Harward, orwelienne jusqu’au bout » 02.10.2017
« La maison Al Saoud bienfaitrice de l’éducation supérieure » 29.10.2018
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