Progrès et Changements
La recherche du progrès est l’objectif affiché de tous les dirigeants, démocrates, dictateurs, ploutocrates… Pourtant, il existe des différences profondes entre les changements, la mode, qui permettent à certains d’avoir prise sur les autres et le véritable progrès qui profite à tous.
Le progrès est généralement pensé comme ne dépendant que du temps qui passe, malgré quelques accrocs il apporte forcément un mieux-être à la population toute entière. Mais quelle que soit la table des valeurs adoptée, elle découlera de la satisfaction de l’instinct de domination d’une minorité. L’élite définira ainsi son Bien et son Mal, le premier permettant d’asseoir son autorité et ses privilèges, le second les mettant en cause. Les hominidés jusqu’aux animalcules veulent incessamment prendre le dessus sur leurs semblables ou ceux qui ne le sont pas. Les valeurs universelles affichées par les philosophes pour tenter de contrecarrer la Nature ne résistèrent pas longtemps aux innombrables ruses de l’esprit permettant de justifier la prééminence des uns sur les autres. La volonté de pouvoir, « l’essence la plus intime de l’être » est tellement prégnante qu’elle rivalise avec les besoins élémentaires : manger, paraître, copuler… avoir un abri.
Les nantis seront partisans d’un progrès, à proprement parlé de changements, celui qui leur permet d’avoir des mets plus rares, des yachts plus grands, des escort girls plus talentueuses, des dons philanthropiques plus mirifiques, et surtout de maintenir sous leur tutelle la multitude de gens ordinaires qui leur donne accès à tous ces bienfaits. Bien malheureusement, la frénésie de puissance est présente du plus chétif des sans-grade jusqu’au roi de la finance, mais les armes mises à leur disposition n’ont rien de comparable. Les premiers excelleront tout au plus pour maîtriser un roquet, humilier un proche, les seconds forts de leur fortune et de leurs relations s’efforceront d’avoir sous leur coupe un maximum de gens.
Les critères du bonheur pour les « simples » n’ont pas changé depuis la nuit des temps : avoir un toit pour abriter sa famille, manger à satiété, se divertir lors des plages d’inaction. Il y a de nos jours approximativement 300 000 personnes qui n’ont pas de domicile en France et environ 4 millions qui sont mal logées. Ces chiffres augmentent considérablement au fil des années. Il y a tout lieu de s’interroger si le taux de couverture 5G d’un pays représente mieux l’avancée du progrès que le taux de personnes à la rue. Ce qui reste pour eux ce n’est pas le progrès mais les changements : il faut qu’ils soient en retard sur le dérisoire qui transmute à chaque instant, qu’ils perdent pied sans pouvoir s’emparer des insignifiances qui réjouissent presque tous les autres. Dans cette course effrénée ils ne peuvent plus se rendre compte qu’ils ne peuvent que perdre et qu’il leur restera seulement les passions tristes de tous ordres pour effacer le réel.
On est grand que lorsque on est porté sur les épaules des autres. La grandeur a un prix. Les pyramides pour être construites nécessitaient un ordre hiérarchique féroce et de dizaines de milliers de travailleurs soumis à la corvée. Plus tard, le commerce d’esclaves lors de la traite arabo-musulmane qui dura plus de 10 siècles, ne permit même pas de bâtir des édifices grandioses. Les Etats esclavagistes des Amériques ne furent vaincus que très tardivement, au XIXe siècle. Les centaines de milliers de sans-papiers actuellement en France comme partout en Europe n’ont guère plus de droits que les esclaves du passé.
Il est donc possible de distinguer le progrès du changement. Le changement permet de changer non pas la nature des choses mais les normes sociales qu’il est bon d’acquérir pour faire partie des dominants. En effet, si l’arbitraire qui caractérise les princes n’évolue pas, les gens ordinaires arrivent, avec peine mais ils y arrivent cependant, à imiter ou à singer les codes sociaux de l’élite. Celle-ci dépouillée du mystère qui les nimbait laisse apparaître leur extraordinaire ordinarité. La domination implique un caractère divin ou au moins hors norme pour que les assujettis l’acceptent sans regimber. Les sociétés sont organisées non pas pour satisfaire des besoins mais principalement pour produire une profusion d'inutile qui égaie le quotidien des plus simples, ceux qui n’ont pas les armes nécessaires pour dominer ou se faire entendre.
Le progrès existe cependant bel et bien, c'est lui qui allège au fil du temps le poids du labeur, qui gomme les différences sociales, qui permet d'entrevoir une justice à portée d'espoir. Vers le IXe millénaire avant J.-C. la roue fut découverte apportant d'énormes facilités pour transporter de lourdes charges. Les premiers moulins à vent apparus vers 700 avant J.-C. furent parmi les premiers dispositifs permettant de domestiquer l'énergie environnante allégeant d’autan la peine des Hommes. Marco Polo au XIIIe siècle, à son retour de voyage, indique que les chinois faisaient brûler des pierres noires (du charbon) pour chauffer leurs maisons. Une utilisation extensive des énergies fossiles commencera bien plus tard lors de la révolution industrielle du XIXe siècle. D'énormes progrès pour tous furent apportés par l'utilisation du charbon, du gaz, du pétrole qui mettait à disposition de l'humanité une énergie sans commune mesure avec ses forces propres. L'énergie nucléaire, malgré tout marginale par rapport aux énergies fossiles, apporta elle aussi une contribution importante aux changements de société induits par l’abondance d’énergie disponible. Le progrès serait infini si les ressources énergétiques l'étaient aussi, ce qui n'est pas pour l''instant le cas.
Les changements concernent pour l'essentiel le futile, le dérisoire, l'insignifiant et il permet de stimuler une concurrence pour le médiocre indispensable pour contenir la pensée dans le dérisoire pour que les moins bien nantis restent passifs. Le progrès, pour l'essentiel scientifique, car les apports des philosophies modernes sont tenus par rapport à la sagesse antique, améliore continûment le sort de tous mais il faudrait que la consommation des énergies fossiles s'arrête avant la frénésie de domination qui accable le monde.
Les dominants souhaitent dominer, pour ce faire ils ont toujours tenté de faire vivre les plus démunis dans un monde parallèle qui permet de dissimuler le réel. Les religions font appel à un dieu tout puissant pour les punir de toutes mauvaises actions mais qui ne les aide qu'à l'occasion de miracles rares et parcimonieux. Les marchands laissés sans tutelle ont réussi à faire pire que les religieux car ils ne promettent même pas un au-delà.
Ainsi chacun continuera à se battre pour l'accessoire en négligeant l'essentiel, les dominants fournissant le bréviaire déterminant la bien-pensance devant être affichée en toutes occasions. Et pas à pas, les élites déterminées à aller de pire en pire ne manqueront pas de tenir leurs promesses.
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