Prostitution : les abolitionnistes font fausse route
Les députés français viennent d’en remettre une couche : ils ont voté une proposition de résolution prônant l’abolition de la prostitution. Cette résolution n’est pas contraignante et n’oblige pas à voter une loi sur la question, mais elle est une étape vers la criminalisation de cette activité et son éradication.
Les députés de droite et de gauche se rangent du côté de l’abolitionnisme. Celui-ci n’est pas nouveau. L’abolitionnisme moderne se développe au XIXe siècle. A l’époque les prostituées étaient contrôlées médicalement, lequel contrôle médical faisait aussi office de contrôle administratif. Joséphine Butler, féministe anglaise, a fait campagne pour l’abolition des contrôles médicaux et de fait contre la réglementation. L’Angleterre renonce à ces contrôles en 1886 (la France en 1946). Suite à cela les prostituées n’ont plus eu de suivi ni médical ni administratif. Elles passent des maisons closes à la rue. L’abolitionnisme de l’époque ne propose pas l’éradication ou la prohibition de la prostitution mais la fin de sa réglementation.
Ensuite la prostitution n’est ni réglementée ni expressément interdite, seul le proxénétisme étant criminel en France. Il en est ainsi jusqu’en 2003 où la loi Sarkozy criminalise les prostituées au travers du délit de racolage.
L’antique condamnation morale de la prostitution, puis l’abolitionnisme et aujourd’hui le néo-abolitionnisme, se relaient donc au fil du temps. L’argument majeur actuel n’est plus moral : les abolitionnistes considèrent la prostitution comme une violence et une contrainte faite aux femmes. Dans le même temps le client, majoritairement masculin, est considéré comme un criminel.
La fausse route des abolitionnistes comme des prohibitionnistes peut être définie selon les points suivants :
1. La prostitution forcée et les réseaux mafieux sont bien une violence grave faite aux prostituées et doivent être combattus avec une détermination sans faille.
2. Les abolitionnistes amalgament cependant de manière abusive la prostitution forcée et celle qui est librement choisie.
3. La confusion entre prostitution forcée et choisie est entretenue aux fins de nourrir une idéologie d’origine moralisatrice, d’imposer une notion de « faute » morale et pénale au client et de réinstaurer un ordre moral contraire à la liberté de choix de sa vie et de sa profession. L’abolitionnisme participe à la mise en place d’un nouvel ordre moral contraignant dans lequel la sexualité est suspecte.
4. La volonté d’éradiquer la prostitution est opposée à celle des prostitué-e-s qui travaillent librement. Elle est une imposition autoritaire et anti-démocratique contraire aux libéralisme politique et social, et contraire à l’évolution de la société vers le libre choix et le consentement personnel. Des prostitué-e-s s’opposent ouvertement à l’abolitionnisme et à la prohibition au nom de leur liberté de travail (Act Up, STRASS).
5. Des programme sociaux ont été mis en place pour inciter les prostitué-e-s à abandonner leur métier. De l’aveu même du Sénat français il semble qu’ils aient très peu d’impact. Le discours du Sénat est entièrement tourné vers la victimisation des prostitué-e-s. Mêmes ceux et celles qui l’ont choisie librement sont inclus abusivement dans un statut de victimes. C’est faire peu de cas de la parole et de la liberté de ces personnes. C’est les considérer comme « malades » malgré elles et leur dénier leur libre arbitre. La proposition du Sénat de faire bénéficier ces personnes du RMI ne semble pas vouloir prendre en compte que pour beaucoup des travailleuses du sexe, une ou deux passes par jour rapporte plus qu’une journée de RMI.
6. D’un point de vue anthropologique force est d’admettre que la sexualité - et son lieu anatomique - ont une signification particulière, en tant que lieu du désir et de l’interdit, et de la reproduction et de la survie de l’espèce. Ce seul argument pourrait expliquer la multitude et la complexité des règles et tabous qui entourent la sexualité. Toutefois l’argument anthropologique n’est pas relevant ici dans la mesure où les abolitionnistes n’y font pas appel. Seul l’argument de violence supposée est mis en avant, violence qui se traduirait par l’exploitation du corps du ou de la prostitué-e. Ce langage communiste fait actuellement loi dans les milieux féministes abolitionnistes. Pourtant, si l’on écarte la considération anthropologique, louer son sexe doit être considéré de la même manière que louer n’importe quelle partie de son corps : muscles, cerveau, mains. Le rapport marchand qui caractérise la plupart des activités professionnelles est fondé non pas sur une contrainte mais sur un contrat. Si l’on abolit le rapport prestataire-client dans le cadre de la prostitution librement choisie et contractualisée, il serait logique d’abolir toute relation marchande entre les humains et donc abolir le travail salarié par lequel on loue son corps ou ses facultés !
7. La description du client sous-entendue dans la description du rapport de violence ne ressemble en rien à celle faite par de nombreuses prostituées. L’image de prédateur sexuel instillée par les milieux abolitionnistes n’a rien à voir avec la timidité et la gêne montrée par une grande majorité de clients. A ce sujet il serait utile de diffuser largement le film de Jean-Michel Carré : « Travailleuses du sexe (et fières de l’être) ».
8. L’abolition et l’éradication de la prostitution sont de nature à générer une prostitution illégale où ceux et celles qui la pratiqueront seront en danger. Là où l’Etat abandonne son rôle protecteur et régulateur les réseaux mafieux prolifèrent. Si l’abolition était votée, l’Etat, les député-e-s et les mouvements abolitionnistes seraient moralement responsables des conséquences d’une telle situation. De plus la prostitution cachée comme celle de mères de familles (la majorité des prostituées en France), ou d’étudiantes (au minimum 2‘000 en France, peut-être beaucoup plus, gagnant 200 euros de l’heure ou 1‘500 euros la nuit), ne sera pas concernée car invisible. Enfin la prostitution classique ne représenterait que 1% des revenus de l’industrie du sexe. La plus grande part revient à l’industrie du film et des magazines, où l’acte sexuel est accompli contre rémunération. L’hypocrisie des abolitionnistes est patente sur cette question, car les producteurs devraient être arrêtés pour proxénétisme. Et puisque de nombreuses féministes considèrent le mariage comme une prostitution légale, il faudrait l’abolir !
9. La volonté d’établir une société « moralement pure » est généralement liée à une vision sectaire et autoritaire de la société. A choisir mieux vaut une société imparfaite mais libre qu’un monde « pur » et totalitaire. La contrainte est un crime. Le contrat n’est pas un crime. En faisant glisser le contrat dans la catégorie des crimes on dénature les fondements de la société : contrat, consentement, libre arbitre.
10. La volonté de punir le client (jusqu’à 6 mois de prison dans certains pays) criminalise un peu plus la sexualité masculine. C’est une nouvelle progression du sexisme. Le stéréotype homme bourreau/femme victime bat son plein. Il n’est que de lire les propos de Claire Quiret, porte-parole de la Convention abolition :
« La prostitution doit être reconnue comme un système de violences. Obliger les femmes à avoir des rapports sexuels en échange d'argent ne relève en rien de la liberté, c'est la perpétuation de l'idée selon laquelle la sexualité masculine est irrépressible et doit être satisfaite à n'importe quelle heure et à n'importe quel prix ».
Il n’est d’une part pas question d’obliger les femmes à quoi que ce soit dans le cadre de la prostitution librement choisie par elles-mêmes. D’autre part, bien loin de cette caricature misandre typique du féminisme marxiste et radical, la sexualité des clients de prostituées est loin d’être irrépressible. Elle est dans la plupart des cas l’expression d’une misère sexuelle.
11. Si le client est considéré comme un criminel, celle qui fournit le service est complice du crime. De même que le vendeur et le consommateur d’herbe sont tous les deux des contrevenants à la loi, il ne peut être fait d’exception au principe d’égalité. Or après les lois sur le féminicide dans certains pays, ce projet de loi asymétrique est bien une entorse au principe d’égalité et de réciprocité de la loi.
12. En conclusion : soit on est du côté de la démocratie et du libéralisme intellectuel et politique, et la prostitution choisie relève du libre arbitre et de la relation contractuelle ; et si l'on s'oppose à la prostitution on doit convaincre celles qui la pratiquent plus que punir leurs clients. Soit on soutient la dérive autoritaire de la société et la criminalisation du sexe masculin sous la pression d’un certain féminisme, et le principe d’égalité - donc la démocratie - est un peu plus perverti.
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