"Connaitre l'art d'impressionner l'imagination des foules, c'est connaitre l'art de les gouverner" disait Gustave Le Bon. A l'issue du débat sur la proposition de loi relative à la prostitution, Mme Vallaud Belkacem s'est enorgueillie d'avoir, avec Mme Olivier, "démonté un à un les arguments de ceux qui défendent la liberté des prostituées". C'était attendu, un autosatisfecit visant à accréditer une victoire sans appel. Le démontage laisse pourtant à désirer tant il s'évertue à éluder la question de fond. Un remontage s'impose.
Lettre ouverte à Mme Olivier.
Madame la Députée,
Vous avez défendu vendredi dernier la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel. Cette proposition a été adoptée par les députés présents (sic) dans l'hémicycle. Cette adoption n'est pas une surprise, tant la méthode et l'approche employées ont été suffisamment bien orchestrées pour éluder le débat de fond. Certaines déclarations, au cours ou à l'issue des débats, rapportées par l'AFP, en sont les témoins.
Florilège :
Mme Vallaud Belkacem : "Qu'ils le soutiennent ou qu'ils expriment des réserves, chaque parlementaire a été pleinement concentré sur un objectif commun : répondre aux souffrances qu'expriment les personnes prostituées". C'est une très bonne chose. Mais quelle est la réponse apportée aux personnes qui vivent par choix, non contraint, de la prostitution ? Elles existent et défendent leur métier, il y a assez de témoignages sur ce sujet pour ne pas le contester. Vouloir "faire le bien" des personnes contre leur gré est toujours suspect.
Mme Olivier : "Il suffirait qu'une seule prostituée se dise libre pour que l'esclavage des autres soit respectable et acceptable ?". Tentative de simplification outrancière et flagrant délit de rhétorique manichéenne : la loi se devait de traiter de la prostitution contrainte. La prostitution choisie devrait en être exclue.
Mme Olivier : "Entre les fantasmes de certains et la réalité que vivent 90% des personnes prostituées, il y a le monde de la violence et l'argent de la traite". Enfin un peu d'honnêteté : vous reconnaissez donc que 10% des personnes vivent de la prostitution sans violence ni traite. Et pourtant la loi ne fait pas le distinguo. Oubli volontaire au service d'un but idéologique ?
Mme Olivier : "Comment trouver glamour les 10 à 15 pénétrations par jour subies par les prostituées contraintes pour des raisons évidemment économiques". Point intéressant : les prix rapportés par la presse font état d'un tarif bas à moyen de 30 à 50€. Je vous laisse faire le calcul. Rapporté au mois, c'est beaucoup ! On peut comprendre que des personnes peu qualifiées préfèrent vivre (bien) de ce métier plutôt que d'un mi-temps forcé, inférieur au SMIC, comme caissière de supermarché. De plus, nous vivons dans un monde capitaliste, chacun est contraint d'y gagner sa vie. Si vous souhaitez remettre en question les fondements capitalistes de notre société, j'adhère demain à votre parti ! Enfin, on reste dans la notion de prostitution contrainte, et non choisie.
Mme Vallaud Belkacem : "La France n'est pas un pays d'accueil de la prostitution" voyant dans ce texte "une proposition d'abolition de la prostitution" même s'il ne l'interdit pas (sic). Position bien alambiquée, le courage politique aurait été de voter une loi d'abolition pure et simple. Les clients sont dans l'esprit du texte et de Mme Vallaud Belkacem les victimes expiatoires d'une idéologie féministe partisane, qui ne cherche pas l'équilibre homme/femme, mais la mise en cause du masculin coupable par nature face à des femmes nécessairement victimes. En vérité, la France ne fait rien contre la prostitution, mais tout contre les clients.
Mme Vallaud Belkacem : "Le sujet ça n'est pas la sexualité, nous ne sommes pas là pour faire la police des mœurs (...) Le sujet c'est l'argent qui nourrit le proxénétisme". Eh bien Mme Vallaud Belkacem, soyez cohérente avec votre discours : faites passer une loi sur le proxénétisme et excluez de la loi les prostituées indépendantes ! Vous ne niez même plus qu'elles existent, et on sait qu'elles représentent 10 à 20% des prostituées.
Mme Vallaud Belkacem : ...a rejeté une "loi cachée du monde" selon laquelle "les femmes s'achèteraient", comme une "perpétuation du droit de cuissage". Mme Vallaud Belkacem, toute obnubilée par son sacerdoce, n'aurait-elle pas oublié quelque chose au passage ? Il convient de rappeler que les femmes n'ont pas l'exclusivité de la prostitution : des hommes aussi en sont victimes, fussent-ils minoritaires. Quant au "droit de cuissage", ne serait-ce pas la vision fantasmée et victimaire que Mme Vallaud Belkacem cherche à imposer ? Elle devrait s'informer des témoignages de prostituées : combien d'hommes ne viennent pas "acheter une femme", mais chercher un peu d'humanité qu'ils ne parviennent pas à trouver ailleurs ?
On notera le mépris porté aux travailleurs sexuels, revendiquant bruyamment lors des débats le droit d'exercer leur métier par choix, sacrifiés sur l'autel du progressisme partisan.
On relèvera aussi que, contrairement aux discours de Mme Vallaud Belkacem, cette loi fait de la France non seulement un pays d'accueil pour les prostituées, mais aussi pour les proxénètes :
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Pour les prostituées, car les dispositions d'accompagnement, aussi utiles et louables soient-elles, vont créer un véritable appel d'air : il suffira pour une femme étrangère en situation irrégulière d'arpenter le trottoir quelques nuits, jusqu'à être repérée par une association, pour entrer dans le dispositif prévu par la loi (autorisation de séjour, logement, travail). Les réseaux de migration clandestine pourront utiliser cet argument pour convaincre plus de "clientes". L'enfer est pavé de bonnes intentions... Ironie de l'histoire, tel le Dr Frankenstein dépassé par sa créature, vous déplorez aujourd'hui que l'écrasante majorité des prostituées soient étrangères, effet collatéral de l'ouverture des frontières, dont ont su profiter les filières de prostitution. Et vous voilà réduite à traiter les conséquences de ces choix.
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Pour les proxénètes, car rien, absolument rien, n'est prévu dans la loi, contre eux et leurs réseaux ! Ni en terme de peines, ni en terme de moyens. J'aurais imaginé, au moins pour la forme, pour faire taire les détracteurs du texte, qu'il y aurait une ligne sur ce point, mais non, absolument rien. Un comble pour un texte "renforçant la lutte contre le système prostitutionnel". Est-ce l'effet du vent de laxisme que fait souffler Mme Taubira (laxisme dont bien sûr, les clients ne sauraient, eux, bénéficier) ? Ou du choix idéologique que vous portez : haro sur le client !?
Enfin, il n'aura échappé à personne l'intérêt des députés pour cette proposition de loi : à peine 5% des députés présents, la plupart acquis au texte (je salue au passage le courage politique du député Sergio Coronado, le seul à avoir semble-t-il pris la hauteur nécessaire quant aux enjeux réels du texte). Résultat d'un choix de calendrier idéal (un vendredi soir) et d'un discours bien huilé, rendant indéfendable l'opposition au texte (passons sur la lamentable intervention de M. Germain, qui n'aura eu de cesse de regarder le doigt sans jamais chercher à entrevoir la lune). La plupart des députés ont bien compris qu'ils n'avaient électoralement rien à gagner à s'opposer au texte, au contraire. De là à se cacher derrière son petit doigt, tel M. Borloo, qui se contentera d'un laconique "je ne sais pas". Pour une loi dont l'un des amendements prévoyait d'envoyer les clients derrière les barreaux ! Lâcheté politique aujourd'hui, naufrage démocratique demain ?
Nous sommes en 2013. Le discours et la méthode pour défendre cette proposition de loi pourrait nous faire croire rendus 29 ans plus tôt. Mis devant ses propres contradictions, la teneur idéologique et l'hypocrisie du texte transpirent du discours. Quel aurait pu être ce texte ?
Dès le départ, il y avait un choix à opérer : deviez-vous traiter la prostitution dans sa globalité ou distinguer la prostitution choisie de la prostitution subie ?
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Vous avez fait le premier choix, et bien évidemment, il pose la problématique du commerce de son corps. Car c'est bien la seule vraie question sous-jacente : une femme (ou un homme) peut-elle, par un choix responsable et éclairé, disposer librement de son corps, au point d'en faire commerce ? C'est la faiblesse de votre proposition de loi, car vous avez beau vous en défendre, votre réponse est "oui mais en fait non". Dès lors, le législateur décide ce qui est légal ou non en matière de sexualité. Sans jamais toucher cependant à l'industrie du sexe en général (bien trop risqué politiquement), dont on pourrait pourtant trouver les pratiques, acceptées par les acteurs/actrices, et autorisées par la loi, bien plus choquantes, en tous cas plus "variées" que ce qu'acceptent les prostituées. Vous avez d'ailleurs évoqué à la tribune de l'Assemblée, les "10 pénétrations subies par les prostituées". Votre proposition de loi permettra toujours cela, le plus légalement du monde : informez-vous sur les cabines particulières des théâtres érotiques, il s'y passe ce genre de chose, la seule différence étant que la personne utilise des accessoires (je vous laisse imaginer ce que fait le client pendant ce temps). Comptez vous lutter contre ces pratiques ? En autorisant certains commerces et pas d'autres, par l'instrumentalisation de la prostitution contrainte, vous avez fait le choix d'un positionnement illisible et hypocrite, la fameuse "police des moeurs" dont se défend Mme Vallaud Belkacem.
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A contrario, puisque vous déclarez ne pas vouloir réglementer l'intimité des français et françaises, le second choix aurait donné du poids et de la cohérence, tant vis-à-vis du respect des libertés individuelles que des métiers du sexe, ce qui n'empêchait aucunement de mettre en œuvre des dispositions propres à garantir la liberté, l'indépendance, la santé et la sûreté des prostituées qui font ce choix. Cela devait aussi s'accompagner d'une intensification de la lutte contre les réseaux et les proxénètes (dispositions absentes de votre proposition de loi).
Un rendez-vous manqué, par aveuglement idéologique, manque de courage, au profit d'une maigre victoire politique. A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
Il reste à espérer que la France ne deviendra pas la Suède : si la moitié de la prostitution de rue a "disparu" (comprendre "n'est plus visible et a mué"), vous n'ignorez sans doute pas que le pays détient le triste record du premier pays d'Europe pour le nombre de viols.
Bien respectueusement.