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Accueil du site > Tribune Libre > Qu’est-ce que la fraternité ? par André Comte-Sponville

Qu’est-ce que la fraternité ? par André Comte-Sponville

Liberté - Egalité - Fraternité.

Si les concepts de liberté et d'égalité sont très souvent cités, commentés, étudiés, qu'en est-il de la Fraternité ?

Conférence très claire sur une notion trop souvent délaissée.

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Est-on frère en toute circonstance ? interroge le philosophe André Comte-Sponville.

 

Étrangement, alors que l’amitié, l’amour, la justice, le courage sont entendus d’emblée comme vertus, la fraternité, dans la tradition des textes philosophiques, ne l’est pas.

Pourquoi cette mise à l’écart ?

Sommes-nous réellement tous des frères ?

Ou ne serions-nous point plutôt des cousins très éloignés ? Des individus si psychologiquement distants que nous ne nous préoccupions plus du sort d’autrui ? 

Nous le voyons, afin de répondre à cette question, encore s’agit-il de définir ce qu’est un frère.

Alors allons-y, que sont des frères, en effet ?

Des individus dotés des mêmes parents ?

Faut-il l’entendre au sens d’un amour si puissant qu’il transforme l’autre en « frère » ?

Faut-il y voir un ensemble d’adeptes rassemblés autour d’une croyance et donc, excluant ceux n’éprouvant pas la même ferveur ? Au reste, au sens religieux du terme, les croyants se sont beaucoup entre-tués.

 

 

La fraternité est la synthèse républicaine de 4 notions pourtant distinctes :

L’ Amour - La Générosité – La Solidarité – La Communion.

Étudions-les plus précisément.

 

    1. L'amour :

 

L’amour selon la tradition philosophique se subdivise en trois concepts distincts :

L’Eros autrement dit « l’amour-amoureux », la Philia soit « l’amour filial » et l’Agapè ou l’amour de charité.

 

La fraternité républicaine, laïque, serait plus proche de l’agapè, en d’autres termes d’un amour dit « de charité », ou caritas.

Qu’est-ce à dire ? A ce niveau, nous sommes chanceux !

En effet, l’amour de charité a été génialement résumé par Saint Augustin en une formule lapidaire : « Aime et fais ce que tu veux. »

« Aime et fais ce que tu veux. »… Comment entendre cette formule sans effectuer de contre-sens ? 

C’est assez simple : puisque tu agis par amour, tu agiras bien. Et, de fait, rappelle André Comte-Sponville, on ne nourrit pas ses enfants par devoir mais par amour. Il ne s’agit pas ici de morale mais d’élan affectif. Au reste, quand l’amour est là, on n’a pas besoin de morale. Les choses se font naturellement, le partage va de soi. Quand l’amour est là - insistons bien sur ce point – lois et morales deviennent inutiles.

D’accord. Très bien. Tout le monde s’accorde avec cette idée d’amour et de partage.

Mais à qui cela s’adresse-t-il ? 

En effet, l’amour est-il généralisable ?

La réalité nous montre tous les jours le contraire. On aime certes ses proches : ses enfants, ses parents, son conjoint (et encore au début). Mais ses parents... ce n’est même pas sûr… Ses amis ?... Certes, pour quelques uns…

En bref, cela concerne combien d’individus ?... Peu. Très peu. Trop peu.

Alors, effectivement, comment éviter de faire le pire ? Puisque l’on ne peut aimer 7 milliards de personnes ?

Kant a une solution : celle de l’amour pratique. Si tu aimes, très bien : agis par amour. Si tu n’aimes pas, ce n’est rien : fais comme si… Kant nous dit : « Quand tu n’aimes pas, fais comme si… »

Donc, agis comme si… Comme si tu étais frère…

Et c'est là qu’apparaît la générosité.

 

    2. La générosité

 

La générosité, c’est la vertu qui consiste à donner à ceux que l’on n’aime pas.

Quand on aime : on donne. Quand on n’aime pas : on est généreux.

Donner à ceux que l’on n’aime pas, c’est la vertu du don, autrement dit : la générosité.

En conséquence, même si je ne veux pas donner aux 7 milliards autres, la morale me rappelle à l’ordre : tu dois donner à ceux que tu n’aimes pas.

Très bien, la morale semble sauver de tout. Est-ce vraiment le cas ?

De fait, que faire si aimer, je ne sais pas et donner, je ne veux pas ?

Nous pouvons tenter – alors – de suivre cette logique : Si tu ne sais pas aimer, sois au moins généreux… Si tu ne sais pas être généreux, respecte au moins la propriété d’autrui.

Ah là, je respire… Je sais faire.

Reprenons, insiste André Comte-Sponville… Aimer, je ne sais pas… Donner, je ne veux pas… Mais attention, là, il y a danger, car si l'on renonce à tout, alors advient la barbarie. Aussi - fort heureusement - il existe une parade, celle de la politesse. En effet, être poli s'avère constituer une compétence aisée… Etre poli, ça, je sais faire !

 

En conséquence, comme nous l’avons vu, la générosité prend en compte les intérêts de l’autre.

On partage.

Serait-ce là être solidaire ? 

Pas tout-à-fait, la générosité n’est pas à confondre avec la solidarité.

 

     3. La Solidarité.

 

Ce n’est pas de la générosité, même si elle lui ressemble en bien des points. En effet, la générosité donne à tous quand la solidarité est certes un partage mais auprès des détenteurs des mêmes intérêts. L’exemple le plus explicite étant celui du syndicalisme.

La solidarité entend s’adresser aux convergences objectives d’intérêts. Raison pourquoi l’état est le premier à promouvoir la solidarité. Ce dernier ayant pour objectif de défendre les intérêts de ses citoyens.

Là encore, au côté positif de la solidarité, existe un revers négatif, celui du partage. De fait, donner réclame de diviser. De sorte que, lors d’un bon repas, plus nombreux soient les convives, moins il y en ait pour chacun.

C’est notre dernier point. Souvenons-nous, nous avons déjà évoqué : l’amour, la générosité, la solidarité… reste donc à étudier la communion. 

 

   4. Communier :

 

Communier ne divise pas. C’est une valeur que nous partageons tous, comme celles de « la liberté, l’égalité et de la fraternité. »

Communier, c’est partager sans diviser. Cela semble paradoxal car partager semble diviser les choses.

Ici, en l’occurrence, il s’agit d’une union collective.

De sorte que lorsqu’on partage un gâteau - par exemple lors d’un anniversaire - le dessert compte moins que le moment passé en bonne compagnie. On augmente son plaisir en étant ensemble. On communie ensemble dans le plaisir de partager un très bon gâteau.

 

 

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9 réactions à cet article    


  • Clark Kent Arthur S 11 mars 2019 16:31

    Aucune assemblée législative, aucun gouvernement n’a jamais décidé, avant 1848 (date de la proclamation de la deuxième république), que « Liberté, Égalité, Fraternité » serait la devise de la république, même si dès 1790, à la fête de la Fédération, le 14 juillet, cette devise ornait certains drapeaux, notamment ceux des fédérations du Dauphiné et de la Franche-Comté.

    Par contre, avant 1848, un seul texte fait de la liberté, de l’égalité et de la fraternité les trois vertus cardinales, c’est une planche de Saint-Jean d’Écosse du Contrat social, en date du 20 janvier 1791, ce qui a fait dire au frère trois points Charles Blanc en 1848 : « Qu’est-ce que cette devise, liberté, Égalité, Fraternité, adoptée par l’Assemblée nationale et placée au frontispice de la Convention, sinon le mot d’ordre séculaire, le véritable mot sacré de la maçonnerie ? Devant ces textes, l’historien, sauf à bafouer toute logique, et toute objectivité historique, les philosophes, les francs-maçons, puis les révolutionnaires avaient connu, en des sens divers et diversement apparentés, les mots de « liberté », égalité », fraternité ».

    Pour Lamartine, les dogmes des utopistes et des anarchistes dont le principe était une « fraternité chimérique » réalisée sur la terre, tendaient tous à la suppression de la propriété individuelle. George Sand disait « communisme ». D’autres disaient, sans aller plus qu’elle au fond des choses, philanthropie (Saint Simon), humanitarisme (P. Leroux), fraternité (Cadet), égalité (Les successeurs de Buonarroti).

    La connotation des mots changent avec les époques et le contexte historique.


    • Virginie Le Chêne Parlant Virginie Le Chêne Parlant 11 mars 2019 18:29

      @Arthur S
      Merci de ces précisions intéressantes.
      Néanmoins, l’idée actuelle de fraternité est de belle facture, non ? 


    • Sparker Sparker 13 mars 2019 10:49

      Dommage que ACS soit un inconditionnel de Macron, en matière de fraternité ça fait un peu tâche, mais le principal est de faire des phrases peu importe les actes.

      Un « philosophe » français à même émis l’idée de tirer dans le tas des rebelles, c’est dire si tout ces gens super éduqués sont en phase avec le réel...

      Alors la fraternité dans leur bouche... je préfère celle que je vis avec certains et certaines amis.

      Il doivent en parler plus que de la vivre, sans doute pour ça qu’ils ont besoin de l’encenser...


      • Virginie Le Chêne Parlant Virginie Le Chêne Parlant 13 mars 2019 19:53

        @Sparker L’opinion politique d’une personne ne détermine pas ses qualités tant personnelles que professionnelles ou intellectuelles.
        André Comte-Sponville est un merveilleux pédagogue.
        Quant au reste, il est toujours possible de contre-argumenter, tel est le jeu de la démocratie, non ?
         


      • Sparker Sparker 14 mars 2019 11:16

        @Virginie Le Chêne Parlant

        Ben si vous trouvez sain de diviser une personne par ses dires et ses actions, je ne peut vous suivre.
        Si Macron est le synonyme de fraternité je ne l’ai pas perçu. On peut se tromper au début sur le charme présumé mais persister est diabolicum... Et rend stérile, j’ai écouté Sponville nous parler de faire de la politique mais pas de la morale et pourtant la fraternité nous parle d’une certaine forme de morale (pas moraliste...) en étant une valeur humaine déterminante pour la cohésion de l’espèce.
        Bref encore quelqu’un qui manipule le verbe pour contourner ses contradictions en nous renvoyant à notre incompréhension.
        Bon après qu’il ai des capacités pédagogiques, peut-être, mais ce n’est pas le seul peut-être que le seul intérêt pour vous et qu’il soit « merveilleux ».


      • Virginie Le Chêne Parlant Virginie Le Chêne Parlant 14 mars 2019 19:41

        @Sparker

        Oui, pour moi, la qualité d’une personne ne se réduit pas à ses opinions politiques. J’ajoute ne pas toujours être d’accord avec André Comte-Sponville. De la divergence naît la richesse de l’argumentation.

        Au reste, André Comte-Sponville  est favorable au remplacement du terme de fraternité par celui « d’Amour », je développerai cela ultérieurement car, sur ce point, en effet, il ait des arguments à lui opposer.


      • Sparker Sparker 15 mars 2019 12:36

        @Virginie Le Chêne Parlant

        Certes on ne va pas jeter le bébé avec l’eau du bain, comme on dit, mais par les temps qui court ou chacun est sommé de se positionner sur l’échiquier des idées, mettre à part le rapport au politique devient difficile. Alors on peut tortiller et tenter de séparer les divers aspect mais il n’y a qu’un Comte Sponville avec tout dedans.

        Mais je fais un mauvais procès ou du moins un procès en principe car je ne connais de lui que sa posture entre politique et morale, c’est peut-être un peu court mais ça peut en dire long... smiley


      • Sparker Sparker 15 mars 2019 12:40

        @Virginie Le Chêne Parlant

        L’amour !! aie zut, je coince d’emblée sur ce concept bourgeois qui ne se traduit pas dans le réel et ne détermine donc aucun lien si ce n’est imaginaire et empli de séduction, d’intérêts ou de chantages qui est le langage de la bourgeoisie vide de sens et de réel.
        Bon je lirais votre billet avec intérêt, des fois que ça me fasse changer d’avis ou de vision.


      • Virginie Le Chêne Parlant Virginie Le Chêne Parlant 16 mars 2019 16:55

        @Sparker
        André Comte-Sponville se devait de traiter du sujet de la fraternité, cela a été fait avec brio.

        Quant au second sujet, effectivement, je suis de votre avis. La fraternité a cet avantage de ne pas pas avoir besoin d’aimer la personne pour être frère. Ce paramètre est essentiel.

        En revanche, on peut aimer ou apprécier une personne sans lui venir en aide. C’est le cas de parents, par exemple, n’aidant point leurs enfants en situation de précarité par conviction personnelle. 

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