Qu’est-ce que la haine ?
On ne sait pas quelle est la nature exacte de la haine, qui n'est ni une émotion ni un sentiment à proprement parler, mais ce que l'on sait, c'est que la haine est partie intégrante de la religion. Son synonyme, l'exécration, a un sens relligieux. Ses conséquences les plus terribles, l'intolérance, l'exclusion, le fanatisme, le blasphème, la torture et le meurtre, sont toutes des phénomènes que l'on a constatés dans le fait religieux. Car la religion a amplifié l'idée d'amour en lui conférant la dimension à prétention universelle de l'adoration d'un être suprême, ce faisant elle a amplifié dans une même proportion son contraire.
Haine et religion
La haine existe évidemment en-dehors du fait religieux mais ce dernier l'accentue et le propage dans la société à de grandes dimensions. L'origine du mot "exécration", nous dit Wikipedia, "est profondément religieuse. Historiquement, l'exécration exprime deux actions différentes, celle de perdre la qualité de sacré, et celle d'attirer ou provoquer contre quelqu'un la vengeance divine. Dans un sens relâché, il désigne encore une sainte horreur, l'horreur la plus profonde, ou même l'action digne de cette horreur. Il s'agit de l'exécration qui réclame la colère du Ciel contre un objet ou une personne".
Maudire est aussi de la haine, maudire est une forme de haine. Enfin, l'autre vocable utilisé par le site encyclopédique pour définir la haine est l'hostilité. Or, l'hostilité des religions les unes envers les autres et de presque toutes envers les infidèles, incroyants ou athées, est une constante historique, parfois même hystérique !
La haine est liée à l'amour mais n'en est pas l'opposé
Il serait tentant de considérer la haine comme étant l'exact opposé de l'amour, mais les deux choses ne sont pas de même nature, l'amour étant un sentiment, alors que la haine est autre chose, une sorte de force - comme le désir, la confiance ou la volonté - mais une force négative. Il eut fallu, pour que l'amour et la haine soient d'exacts contraires, qu'ils fussent de la même nature. Or, ce n'est pas le cas. Toutefois, la haine est très liée à l'amour. Et, parfois même, les deux se mélangent, ce qui crée l'ambivalence.
Quand l'amour s'en va, il peut créer chez le partenaire un sentiment de trahison quie peut provoquer une haine immense. Le sens commun fait de la haine l'opposé de l'amour. Mais la religion, par sa prétention à répandre un amour sacré et universel, propage aussi son inverse : la haine. Encore faut-il tempérer ce propos l'exécration est le fait des seules religions qui veulent dominer à tout prix ; elle est liée au prosélytisme forcené. A ce titre, le chritiannisme a eu ses heures sombres, l'Islam connaît une dangereuse rechute et le judaïsme n'est pas totalement exempt. Les Juifs connaissent surtout la haine parce qu'ils en sont les victimes.
Les religions comme le bouddhisme et d'autres religions d'Asie, excluent la haine par ce qu'elles ne véhiculent pas d'idée de domination. Les Juifs connaissent la haine en la subissant de par leur autodésignation comme le peuple élu, ce qui met en rage une partie de l'humanité. Hitler a su jouer de cette méprisable tendance pour mettre en oeuvre ses odieux projets. Le film "Danny Balint" relate en l'adaptant l'histoire vraie de Daniel Burros, un juif qui deviendra membre du parti nazi américain puis leader du Ku Klux Klan, dans les années 1960. Le protagoniste du film a ces mots "le juif, il veut que tout le monde le haïsse !" Le juif, selon cet odieuse caricature, se renforcerait de la souffrance et la haine des autres.
Il semble choquant de déclarer que la haine et l'amour religieux sont les deux faces d'une même médaille et pourtant l'histoire autant que l'actualités sont là pour le démontrer.
Mais les religions (du moins certaines) ne sont pas la cause même de la haine qui existe en l'humain. Elles se sont même plutôt données pour but de réduire cette haine en prêchant l'amour universel et en prodiguant conseils et bienveillance.
La haine serait-elle le contraire de l'amitié ?
Si la haine n'est pas l'opposé de l'amour, peut-il être le contraire de l'amitié ? Aristote, qui vivait en une époque où la religion ne propageait pas encore ses excès, défendait cette thèse. Il voyait la haine comme le contraire de l’amitié. Par le sentiment d'amitié, ne souhaite-t-on pas les meilleures choses à son ami ? Haïr quelqu'un, c'est lui souhaiter le plus de mal et de souffrance possibles. Il écrit « Admettons que haïr, c’est souhaiter pour quelqu’un ce que l’on croit être des maux, pour lui et non pour nous, et aussi être, dans la mesure de son pouvoir, enclin à ces méfaits » (Rhétorique des passions, chapitre II).
Plutarque distingue la haine de l'envie.
« (...) La haine a pour but d’être malfaisante autant que possible, et on la définit comme une disposition et une volonté épiant les occasions de faire du mal à un autre. L’envie ne connaît point ce sentiment-là. » (Plutarque, "De l’envie et de la haine")
La haine, dit aussi Plutarque, est inextinguible. C'est cette ténacité idiote qui la distingue de l’envie. Pour abonder dans le sens de Plutarque, on peut alléguer que l'envie cesse lorsque la personne dont elle est la cible vient à tomber dans le malheur et le besoin ou que la personne envieuse obtient l'équivalent ou davantage que ce que possède la personne enviée.
La haine est-elle un projet sans fin ? Plutarque répond par la négative : « (...) On cesse de détester ou de haïr, soit quand on acquiert la preuve qu’on n’a éprouvé aucun dommage, soit quand on a reconnu la probité de ceux que l’on haïssait comme méchants, soit, en troisième lieu, quand on a reçu d’eux quelque bienfait. »
La haine et la colère
Kant distingue la haine de la colère. Pour le philosophe allemand, les deux passions ont un point commun : les actions d’autrui qui nous portent préjudice ou qui nous déplaisent fortement. Mais il y a une différence notable entre ces deux passions. La colère connaît une libération, immédiate alors que la haine est un poison lent, qui va prendre le temps de s’enraciner profondément et ne s'exprimera qu'avec retardement ou par à-coups.
La haine n'est donc pas, comme on pourrait le croire communément, un excès de la colère.
La haine et le bonheur
La vision du bonheur des autres attise la haine de certaines gens. "Le bonheur des autres afflige également la haine et l’envie ; et par suite nous regardons comme étant opposée à toutes deux la bienveillance, ce sentiment qui nous porte à désirer du bonheur à notre voisin. " (Plutarque)
Comme "allergie au bonheur", la haine est celle des terroristes qui haïssent l'image du bonheur qu'ils voient et s'attaquent à ces mêmes images en procédant à des carnages là où la liesse populaire ou la douce quiétude renvoient un bonheur à leur yeux insupportable d'indécence.
"L’Ethique" de Spinoza trace le portrait de l’homme du ressentiment, pour qui tout bonheur est une offense.
Dans sa "Généalogie de la morale" (ainsi que dans "Humain, trop humain" et dans "Aurore"), Nietzsche établit une dualité fondamentale en morale, celle qui oppose la morale des forts et la morale des faibles. La morale des faibles, pour Nietzsche, trouve son origine dans son opposition à la morale des forts. La morale des faibles est rancune vengeresse et "ressentiment". Le christianisme, l'anarchisme, le socialisme, etc. sont pour lui des exemples de morales du ressentiment.
La haine est sans identité
Pour Jean Baudrillard « ce qui resterait d’énergie s’inverserait dans une passion négative, une répulsion. L’identité aujourd’hui se trouve dans le rejet ; elle n’a plus guère de socle positif ». Ce serait donc par la construction d'une identité négative que la haine moderne se construirait ?
Mais avant même de se poser une telle question, il faut observer à quel point la personne haineuse nourrit une obsession de tous les instants pour l'être qui est l'objet de sa haine, et c'est comme si elle perdait son identité propre pour se construire sur les ruines de l'identité négative et déformée de l'autre. La haine veut exterminer l'autre dont elle nie jusqu'à l'existence, mais pour construire une identité reflet négative, par oppposition. C'est d'une certaine façon "deviens ce que tu hais !"
Dans le film Danny Balint, le juif devient bourreau de juif. Il est évident qu'il est aux prises avec un très grave problème d'identité.
La haine n'est pas une dimension humaine
Nous avons vu le schéma général des dimensions humaines dans l'article "la dualité de l'être" et on a pu constater que la haine ne figure ni dans les forces, ni dans les émotions, ni dans les moyens. La conclusion est que la haine est un moteur de substitution aux moteurs normaux et sains que sont : le désir, la confiance, la volonté, la motivation. Cette substitution est un phénomène pathologique.
Si la définition d'une dimension humaine est "une dimension au sein de laquelle l'être peut croître et s'étendre", il n'existe pas une dimension de la haine car cette passion rapetisse tout au lieu d'accroître l'être.
Il convient d'ajouter que la haine est proprement humaine puisqu'elle ne concerne pas les niveaux des besoins primaires selon Maslow : santé, sécurité, besoins physiologiques. C'est en remontant dans la pyramide de Maslow que le point de haine se dessine. Au troisième niveau de cette pyramide, nous avons le besoin d'appartenance. C'est là le premier point de haine possible : le fait de se sentir rejeter injustement peut être au départ d'une haine. On se souvient d'un certain caporal allemand réformé de l'armée. Il vécut aussi très mal le fait de n'être pas admis à l'Académie des Beaux-Arts de Vienne (« J'étais si persuadé du succès que l'annonce de mon échec me frappa comme un coup de foudre dans un ciel clair. » Adolf Hitler, Mein Kampf). Au même étage de besoin, apparaît aussi le besoin d'affection. Peut-être le jeune Hitler en fut-il privé ou a-t-il ressenti une grande privation en rapport à un besoin immense personnel.
Le second point de haine possible se trouve situé à l'étage immédiatement supérieur de la pyramide de Maslow : besoin d'estime et de reconnaissance. Je ne vais pas développer, mais ce sont là des besoins qui, s'ils sont bafoués, peuvent être générateurs de sentiments négatifs très forts.
Conclusion
Nous pouvons donc dire que la haine n'est pas une émotion ni un sentiment. La haine n'est pas non plus l'envie. Elle serait une sorte de force motrice négative et de substitution. Elle n'est pas l'opposé de l'amour mais elle peut se mêler avec. On peut dire aussi que la haine est le propre de l'homme puisqu'elle ne concerne pas les besoins primaires (que nous partageons avec l'animal qui, lui, ne manifeste pas de haine tenace). A ce niveau-là, le sentiment négatif d'oppposition qui se développe est la colère et non la haine, comme on le voit dans les cas des révoltes de la faim. Les "points de haine" dans l'échelle des besoins sont identifiables. Ceci ne suffit pas à conclure définitivement car la haine est un sentiment complexe qui peut inclure d'autres affects. Sa détection comme force motrice négative et l'examen attentif des manques dans l'histoire de l'individu, peuvent néanmoins apporter un éclairage.
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