Qu’est-ce que la réalité ?
Finalement, peut-être que Douglas Adams n’avait pas tort quand il écrivait que “The answer to the ultimate question of life, the universe and everything is 42“. Car 42 est un chiffre basé sur un concept que l’on appelle les nombres. Il aurait tout aussi bien pu écrire que “the answer…. is nothing“. Que la réponse est le rien. Ce à quoi Raymond Devos n’aurait pas manqué de répondre que le rien n’est pas rien vu que trois fois rien font déjà quelque chose…
Reprenons. Faisant pour le moment abstraction des approches spirituelles, chamaniques ou mystiques pour rester dans un réductionnisme bien rationnel et scientifique, la “réalité vraie” est l’élément ou la structure de base sur laquelle tout le reste est construit. Dans cette optique, la réalité que nous percevons est alors le fruit d’un processus à étages, avec en haut notre conscience et en bas… ce fameux élément ou structure fondamentale, cette “réalité vraie” d’où découlent toutes les autres. L’approche classique, fonctionnaliste, est alors de dire que notre conscience est fondée sur l’existence de notre cerveau, lui-même une entité biologique électro-chimique dont les éléments relèvent essentiellement de la chimie, qui n’est elle-même qu’une version spéciale de la physique, physique qui sonde la matière à la recherche de particules fondamentales qui ne sont elle-même que des condensats de l’espace-temps, lui-même un concept essentiellement mathématique qui n’existe… que dans notre conscience. Fâcheuse circularité.
Face à ceci on peut formuler plusieurs hypothèses : la plus simple, que tous ces étages font en fait partie intégrale de la “réalité vraie” qui n’a ni début ni fin, ni haut ni bas : c’est une boucle. Mais ce relativisme (tout se vaut) me paraît très insatisfaisant… Une autre hypothèse est que la “réalité vraie” se situe du côté des objets mathématiques, qui selon Platon déjà sont des entités fixes, hors du temps et de l’espace, au-delà de l’esprit et de la matière. Les mathématiques existant à partir de rien (le set vide étant un concept mathématiquement valable d’où tout le reste peut être construit), la réalité vraie c’est le rien. Zéro. Ce qui ne nous avance guère en termes classiques, mais peut se percevoir comme un appel du pied à certaines philosophies qui considèrent le vide comme l’essence de toute chose, par exemple le nirvāna bouddhiste étant « là où il n’y a rien, où rien ne peut être saisi ».
Une troisième hypothèse serait que la “réalité vraie” se situe au-delà de toute possibilité de notre part de la connaître, dans une dimension à laquelle nous n’avons pas accès, tout comme une tache d’encre sur le papier n’a aucune possibilité de connaître la verticalité. C’est, de manière très simplifiée, ce qui ressort de la théorie des cordes et de ses multiples dimensions supplémentaires aux quatre dimensions (largeur, longueur, hauteur et temps) qui nous sont accessibles.
Une quatrième hypothèse serait que nous prenons le problème dans le mauvais sens, et que l’idée qu’il existerait une couche physique fondamentale et objective est une pure illusion émanent d’une manière de penser cartésienne mais sans fondement dans le réel. Les problèmes philosophiques posés par la physique quantique sont à mon avis un indice en faveur de cette hypothèse : on applique les méthodes quantiques avec succès mais sans savoir pourquoi ça marche, un peu comme un élève qui applique avec succès une méthode de résolution d’un problème sans avoir aucune idée de la signification de l’exercice. Chose malheureusement courante dans un environnement pédagogique morbide où seul compte le résultat facilement mesurable, mais c’est un autre sujet. Un professeur en théorie de l’information quantique de Oxford, Vlatko Vedral, propose l’idée que la “réalité vraie” n’est finalement que l’augmentation de l’entropie, autrement dit la seconde loi de la thermodynamique. Il semblerait qu’il soit possible de démontrer que tous les principes physiques que nous rencontrons , y compris les notions de temps et de gravité (deux notions très mal comprises en termes de physique), sont en fait la résultante de l’obligation de croissance de l’entropie – ce qui met sur la tête ce principe entropique qui est généralement compris comme un sous-produit de tout évènement réel, et non pas comme sa cause !
Nul doute qu’il existe d’autres hypothèses, et qu’il faille à un moment donné sortir du réductionnisme et de la pensée réflective pour avancer vers une compréhension plus complète de la réalité de ce monde. L’idée même de notre capacité à avoir une pensée rationnelle et objective, que notre cerveau serait une forme d’ordinateur et la pensée l’équivalent d’un calcul, est battue en brèche par les travaux de chercheurs tel George Lakoff, pour qui notre pensée est structurée par des métaphores, des cadres et des narratifs qui nous sont propres. Que devient alors la notion de “réalité vraie” dans ce contexte ? A-t-elle encore le moindre sens ? On peut aller plus loin en posant la question de ce que signifie la notion d’”état modifié de conscience” que l’on retrouve notamment dans le chamanisme. Etat qui permet d’accéder à une réalité parallèle, un monde caché à nos sens “normaux” mais tout aussi réel. Le travail de l’anthropologue Jeremy Narby dans “Le Serpent à Plumes” illustre très bien la possibilité d’un accès ancien et détourné (via cette réalité parallèle) à des notions spécifiques, et notamment l’ADN que la science occidentale n’a découverte que récemment.
Peut-être alors ne pouvons-nous espérer répondre à la question de “qu’est-ce que la réalité ?” qu’au travers du prisme de la réponse à “qu’est-ce que la conscience”, ce qui constitue un renversement de la logique scientifique occidentale basée sur l’objectivité et la dissociation observateur/sujet de l’observation. L’observateur devient le sujet de sa propre observation, technique qui d’ailleurs porte un nom : la méditation.
A méditer…
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