Quand Charles de Gaulle tentait d’allumer la mèche de la troisième guerre mondiale
Alors qu’il semble avoir été le dernier résistant à voir Jean Moulin vivant, dans leur prison du fort Montluc à Lyon, Christian Pineau a écrit qu’après la mort de celui-ci, la Résistance n’a plus jamais été ce qu’elle était jusqu’à ce moment-là. En effet, De Gaulle a immédiatement coupé les ponts avec ce que l’on appellerait désormais le "Conseil National de la Résistance", tandis que, pour Jean Moulin, il n’y avait toujours eu qu’un Conseil de la Résistance, ou qu’un Conseil politique de la Résistance.

L’organe souverain se trouvait perdu dans la nature : il ne referait plus jamais surface.
C’est donc la main criminelle de Charles de Gaulle qui, seule, a indiqué à la France la voie qu’elle allait devoir prendre. C’était celle de la guerre impérialiste.
Ayant prétendu donner l’indépendance à la Syrie et au Liban en 1941 pour obtenir le ralliement de leurs peuples à sa personne, le chef de la France Libre s’en était dédit dès le 10 novembre 1943, faisant notamment arrêter, à leur domicile de Beyrouth, et conduire à la forteresse de Rachaya, dans la Bekaa, monsieur Béchara Khoury, président de la République ; Riad Sohl, président du Conseil ; Camille Chammoun, Selim Takla, Adel Osseiram, ministres et Abdul Hamid Kérame, député.
Ce qui lui vaudrait de recevoir cette lettre du général Catroux, Commissaire d’État chargé des Affaires musulmanes :
« La suspension du régime constitutionnel et l’emprisonnement brutal du gouvernement ont été ressentis comme une offense à la dignité nationale et un signe de la décadence de la France. Ils ont provoqué à notre adresse une réprobation mêlée de stupeur. Et il faut bien que l’on sache que le coup du 11 novembre a produit comme une cristallisation de l’idée nationale et a, plus que la défaite de 1940, affaibli la foi et l’admiration des Libanais pour la France. On ne reconnaît plus en nous les fils spirituels de la Révolution française. » (Jean-Louis Crémieux‒Brilhac, page 658)
En 1949, bénéficiant d’un peu plus de recul, le général Catroux écrirait (Dans la bataille de la Méditerranée, page 410) :
« Moralement, ces atteintes à la souveraineté d’un pays rendu par nous indépendant, devaient dresser contre la France l’opinion des pays en guerre pour le triomphe des principes démocratiques. »
Entre-temps, De Gaulle avait ajouté le sang de Sétif, Guelma et Kherrata, en Algérie (8 mai 1945 et jours suivants), et celui de l’Indochine (corps expéditionnaire envoyé à la mi-septembre de 1945).
Puis, ayant bien ouvert le chapitre des guerres de recolonisation, Charles de Gaulle a démissionné le 20 janvier 1946, marri de voir le budget militaire fondre comme peau de chagrin. Mais la guerre d’Indochine restait son affaire personnelle. En effet, elle n’était, selon lui, que la préface à la Troisième guerre mondiale qu’il appelle de ses vœux, et que, d’ailleurs, il croit déjà voir à portée de fusil.
Le voici qui s’exprime, en mai 1946, devant Pierre‒Henri Teitgen, à Colombey-les-Deux-Églises :
« Allons, ne voyez-vous pas que la troisième guerre mondiale est inévitable ? Nous avons gagné les deux manches de la guerre de Trente Ans. La troisième manche verra l’affrontement de la Russie et de l’Occident. La rupture de la Conférence des Quatre se produira dans six mois ou dans un an. La vérité, nous ne pouvons pas la crier sur les toits, mais nous pouvons la dire entre nous. Le troisième round est fatal. » (Jean-Raymond Tournoux, page 14)
Charles de Gaulle pourrait-il en être absent ? Non, bien sûr. Et il connaît déjà le rôle qui ne va pas tarder à lui revenir. Il le dit au même Pierre-Henri Teitgen :
« Eh bien ! cher ami, dans cette éventualité, la Constitution doit comprendre un seul article essentiel, vous m’entendez, un seul : en cas de danger, le Chef de l’État se trouve investi de la toute-puissance, de la souveraineté nationale. » (page 14)
C’est très exactement ce qu’offre, aujourd’hui, la Constitution de la Cinquième République à son président…
Près d’un an et demi plus tard, De Gaulle en est toujours là : la guerre ! C’est ce qu’il explique à l’occasion de son discours devant l’association des Français libres, à Saint-Nom-la-Bretèche, le 4 octobre 1947 :
« Beaucoup de gens (…) se sont figuré, parce que nous avions descendu les Champs‒Élysées, que la guerre était finie. Certes, les Allemands n’étaient plus à l’Arc de Triomphe. Mais beaucoup ont semé de leurs corps la route de la Victoire jusqu’en mai 1945, et beaucoup même après mai 1945 sont allés en Indochine pour nous rendre ce morceau de l’Empire, dont maintenant, si la France le veut, le destin est assuré aux côtés de la France. » (page 35)
Assez content de l’évolution de la situation en Extrême-Orient, lors d’une conférence de presse qu’il donne le 12 novembre 1947, De Gaulle déclare :
« Nous avons envoyé en Indochine 80.000 hommes, dont il faut reconnaître qu’ils ont été bien nécessaires. » (page 34)
"Nécessaires"… Car, tout de même, cette troisième guerre mondiale, qui tarde à démarrer, commence à coûter quelques vies françaises… Et ce n’est pas parce qu’il a quitté la présidence du Gouvernement le 20 janvier 1946 que, le 13 janvier 1947, il aurait à s’interdire de donner ses instructions au général Leclerc par l’intermédiaire du lieutenant‒colonel Mirambeau qui lui rend visite à Colombey-les-Deux-Églises.
À ce moment-là ‒ et en attendant de voir quel sort étrange le destin réservait à Philippe de Hauteclocque ‒, il s’agissait de le maintenir sous la tutelle embarrassante de l’amiral Thierry d’Argenlieu :
« En ce qui vous concerne, prendre en ce moment la place de d’Argenlieu vous donnerait l’apparence d’un instrument employé pour une manœuvre politicienne (affaire Lyautey-Pétain). » (Claude Guy, page 202)
En aparté, le lieutenant-colonel Mirambeau parviendra tout de même à glisser quelques mots à l’officier d’ordonnance, Claude Guy qui s’en fait l’écho :
« L’état d’esprit des Français est bon. Il n’est pas question d’être jetés à la mer. Mais alors que les pertes étaient, avant le 19 décembre, de cinq tués et de quinze blessés par jour, nous comptons que nos pertes seront dorénavant de vingt‒cinq tués et de soixante‒dix blessés. D’ici le mois de juillet, il faut préciser que cinq mille hommes seront à terre. Les renforts commencent à arriver, mais les équipements et les armes en insuffisante quantité, sans que nous ayons l’espoir de pouvoir les remplacer pour l’instant. L’état des pièces de rechange est tragique. » (page 203)
Pour le reste, sans doute De Gaulle pourrait-il un peu s’inquiéter de ce phénomène nouveau qui consiste en…
« L’assassinat des notables profrançais qui, à dater du 19 décembre, s’est effectué à grande échelle. Des milliers et des milliers de notables sont ainsi assassinés. La France a déjà perdu ainsi, dans les villages, sans qu’aucune opération militaire s’y soit d’ailleurs déroulée, l’armature indispensable de ses amitiés annamites. » (page 203)
Pour la recolonisation, ça promet… Mais vivement la troisième guerre mondiale. La France a l’honneur d’être aux avant‒postes… Et la brèche commence à être vraiment sanglante. Toutefois, il ne faudrait pas l’y laisser trop longtemps seule. De Gaulle trépigne.
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