Quand Donald Trump déclara la guerre à l’Etat profond
Il y a un an, Donald Trump était élu 45e président des Etats-Unis d’Amérique. Depuis ce moment-là, le monde extérieur n’a jamais été aussi mal informé à propos de ce qu’il se passe réellement dans ce qui reste, à bien des égards, la première puissance mondiale. Il n’y a pas de meilleure raison de revenir sur cette période avec un éclairage différent.
Non sans remarquer que la « malinformation » a commencé bien avant l’élection du milliardaire new yorkais, c’est-à-dire dès le début des primaires républicaines. Au lendemain du premier débat, on lisait, dans le Huffington Post, sous la signature d’Howard Fineman, que Donald Trump s’était « franchement ridiculisé », sans trouver la moindre illustration de cet abrupt propos.
De son côté, François Durpaire, historien et consultant de diverses télévisions, pas plus trumpiste que son confrère américain au demeurant, observait sobrement : « C'était une star avant le débat et c'est une star après le débat. C'était vraiment du Trump show ».
Le consommateur d’informations avait encore le choix de ce qu’il avait envie de croire. Ca n’allait pas durer
Il fut bientôt question du soutien apporté à Hillary Clinton par 196 des 200 principaux médias américains, d’emblée imités par l’unanimité des principaux médias européens. La suite ne serait plus qu’un long réquisitoire contre le candidat républicain, où l’on aurait cherché vainement une information un tant soit peu équilibrée.
C’est ainsi que, dans les derniers jours d’octobre, on passa à côté d’un événement majeur de la campagne électorale, un clip d’environ 5’30’’, dans lequel Donald Trump s’attaquait frontalement à l’Etat profond (Deep State) américain, une grande première dans l’histoire des Etats-Unis.
Le 11 septembre de cette année, Matthieu Vasseur écrivait, sur le site Contrepoints : « Le mérite de Donald Trump ne réside pas dans ce qu’il a accompli, qui reste à ce jour en pointillés, mais dans son rôle de révélateur du gouffre qui s’est creusé entre le peuple américain et le Deep State, prêt à tout pour conserver son pouvoir.
Vasseur le décrivait ainsi : « Le Deep State, c’est, en son cœur, la technocratie de l’État fédéral. C’est aussi, de manière plus extensive, l’ensemble de l’écosystème qui gravite autour de l’État, participe à son pouvoir et en bénéficie : complexe militaro-industriel, grandes banques too big to fail, mainstream media (New York Times, Washington Post, CNN), groupes de pression, organisations internationales etc. »
Journaliste et auteur de « Trump. Pour le meilleur et pour le pire » (Editions de la Délivrance, 2016), la journaliste française Evelyne Joslain précise que cet état profond « …devenu obèse à partir de Lyndon Johnson, puis totalitaire sous Obama (…) est un quatrième pouvoir, que les législateurs ont laissée croître, aux dépens de l’équilibre sacro-saint des trois pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire. L’exécutif hypertrophié permet aux agences gouvernementales et aux cours de justice politisées de légiférer à la place des législateurs qu’il peut ainsi contourner. »
En sa qualité d’ancien analyste du budget pour la sécurité nationale et les dépenses militaires au Congrès des Etats-Unis, le républicain Mike Lofgren a bien connu la « boutique » de l’intérieur. Il dit : « L’Etat profond est la grande affaire de notre temps. C’est le fil rouge qui se déploie sur les trois dernières décennies. Cela explique comment nous avons connu la dérégulation, la financiarisation de l’économie, la faillite de Wall Street, l’érosion des libertés civiles et les guerres sans fin. »*
C’est donc à cette structure opaque et apparemment toute puissante, que Donald Trump va déclarer la guerre dans les derniers jours d’octobre, lors d’un meeting en Floride, puis sous une forme condensée de son discours,en un clip de moins de six minutes. Le cartooniste Scott Adams, observateur sagace des moeurs américaunes, père de Dilbert, dira que c’est à coup sûr le meilleur clip de la campagne, et peut-être bien le meilleur clip électoral jamais produit aux Etats-Unis. A son habitude, Trump y va à la machette :
« Notre mouvement tend à remplacer un establishment politique défaillant et corrompu par un nouveau gouvernement contrôlé par toi, le peuple américain.
« L'establishement de Washington et les sociétés de financement et de médias qui le soutiennent n'existent que pour une seule raison : se protéger et s'enrichir.
« Pour ceux qui contrôlent les leviers de pouvoir à Washington, et pour les intérêts planétaires particuliers avec lesquels ils s'associent, notre campagne représente une menace vitale. »
« Nous ne sommes pas en face d’une élection quadriennale, nous sommes à un carrefour de l’histoire de notre civilisation, et il déterminera si, nous le peuple, nous récupérerons, ou non, le contrôle de notre gouvernement.
« L’establishement politique qui met tout en œuvre pour nous arrêter, est celui-là même qui est responsables des accords commerciaux désastreux que nous avons signés, de l’immigration illégale massive, ainsi que des politiques économiques et étrangères, qui ont saigné ce pays à blanc.
« Cet establishment a entraîné la destruction de nos usines et de nos emplois, qui fuient vers le Mexique, la Chine et vers d’autres pays à travers le monde. C’est une structure du pouvoir mondial qui est responsable des décisions économiques qui ont pillé la classe ouvrière, dépouillé notre pays de sa richesse et mis cet argent dans les coffres d’une poignée de grandes corporations et d’entités politiques. »
« …notre système est manipulé, c’est la réalité, vous le savez, ils le savent, je le sais, et à peu près tout le monde le sait. La machine Clinton est au centre de cette structure de pouvoir. Nous l’avons vu dans les documents Wikileaks… »
« La seule chose qui peut arrêter cette machine corrompue, c’est VOUS.
« La seule force assez forte pour sauver notre pays, c’est NOUS.
« Les seules personnes assez courageuses pour rejeter ces corrompus installés, c’est vous et le peuple américain.
« Notre grande civilisation est arrivée au moment des règlements de compte. »
Ces deux thèmes, la restitution du pouvoir au peuple et la liquidation de l’Etat profond, Donald Trump va les reprendre dans son discours d’investiture, le 20 janvier 2017, face, cette fois, au peuple américain, et en présence de cinq de ses prédécesseurs, qu’il tient ipso facto pour co-responsables, voire coupables, de cette dérive antidémocratique, démontrant définitivement son caractère rebelle et réfractaire aux convenances :
« Nous, citoyens d'Amérique, sommes maintenant unis dans un grand effort national pour reconstruire notre pays et pour restaurer ses promesses à l'égard de tout notre peuple.
« Ensemble nous déterminerons la voie pour l'Amérique et pour le monde pour des années.
« Nous ferons face à des défis. Nous serons confrontés à des épreuves. Mais nous finirons le travail.
« Tous les quatre ans, nous nous rassemblons sur ces marches pour procéder dans l'ordre et la paix à ce transfert de pouvoir et nous sommes reconnaissants au président Obama et et à la Première Dame Michelle Obama pour leur aide courtoise pendant la transition. Ils ont été magnifiques.
« La cérémonie d'aujourd'hui cependant a une signification très particulière. Parce qu'aujourd'hui non seulement nous transférons le pouvoir d'une administration à une autre ou d'un parti à un autre, mais nous transférons le pouvoir de la capitale Washington et le donnons à nouveau à vous, le peuple Américain.
« Pendant trop longtemps, un petit groupe dans notre capitale a récolté les avantages du gouvernement tandis que le peuple en a assumé le coût.
« Washington a prospéré mais le peuple n'a pas eu de part de cette richesse.
« Les politiciens ont prospéré mais les emplois se sont taris et les usines ont fermé.
« L'establishment s'est protégé lui-même mais n'a pas protégé les citoyens de notre pays.
« Leurs victoires n'ont pas été les vôtres ; leurs triomphes n'ont pas été les vôtres ; et pendant qu'ils festoyaient dans la capitale, il n'y avait guère à célébrer pour les familles démunies dans tout le pays.
« Tout cela va changer, ici et à partir de maintenant parce que ce moment est le vôtre : il vous appartient. Il appartient à tous ceux réunis ici aujourd'hui et à tous ceux qui regardent à travers l'Amérique.
« Cette journée vous appartient. C'est votre célébration.
« Et cela, les Etats-Unis d'Amérique, c'est votre pays. »
En agissant ainsi, Donald Trump savait que sa présidence ne serait pas un « long fleuve tranquille ». Mais aussi que 63 millions d’Américains – qui lui restent acquis à 80-85 % - l’attendraient sur ce terrain.
(A suivre)
* Pour en savoir plus sur la structure et son fonctionnement, on pourra se référer aux ouvrages de Peter Dale Scott, professeur de littérature anglaise retraité de l’université de Berkeley La route vers le nouveau désordre mondial – 50 ans d’ambitions secrètes des Etats-Unis (éd. Demi-Lune, 2010), La Machine de guerre américaine : La politique profonde, la CIA, la drogue, l'Afghanistan (éd. Demi-Lune, 2012), L’Etat profond américain : La finance, le pétrole, et la guerre perpétuelle (éd. Demi-Lune, 2015).
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