Que crèvent les moines tibétains !
Quand 99% des meRdias, des partis politiques, des syndicats, des intellectuels ( ?) et des artistes ( ?) tiennent le même discours sur un sujet donné, il y a tout lieu de se méfier. Souvenez-vous de l’hystérie « antifasciste » après le 21 avril 2002 (qui a servi à faire réélire triomphalement l’escroc Chirac), de l’intense propagande en faveur du Traité Constitutionnel Européen en 2005 (il s’agissait en réalité « de faire avaliser par les masses le programme de leur extermination »[1]) ou, tout récemment, du matraquage en faveur d’Ingrid Betancourt (une bourgeoise franco-colombienne détenue par une guérilla luttant contre un régime dictatorial à la botte de Washington, dont la libération a été obtenue « grâce » à l’aide israélienne – ça laisse rêveur…).
Depuis quelques mois, la cause tibétaine est, à son tour, très « tendance »[2] : on manifeste un peu partout pour elle, les drapeaux tibétains se vendent comme des petits pains... Pour un peu, on en oublierait presque que ce qui est à la source de toute cette agitation, ce sont de violentes « émeutes » racistes (les Han et les Hui ont été massacrés par les « émeutiers » tibétains, ce qui a entraîné la réaction des autorités chinoises). Les hommes politiques d’extrême-droite, à qui ces évènements ont sans doute rappelé les « bonnes » vieilles ratonnades, se sont naturellement sentis solidaires des voyous tibétains. Selon Marine Le Pen, « au Tibet comme à Nanterre [sic] le communisme, fidèle à sa vision totalitaire du monde, démontre une fois encore son caractère antidémocratique et la vision toute particulière qu’il se fait de la liberté »[3]. Jean-Marie Le Pen, lui, s’est vanté d’être celui qui dénonce depuis « cinquante ans » les menaces que fait peser le régime chinois sur les droits de l’Homme. Dit autrement : le leader du FN était droit-de-l’hommiste avant les autres ! Et dire que, avant cette révélation fracassante, certaines personnes naïves ou mal intentionnées prétendaient que, dans les années 1950, Le Pen était en train de torturer en Algérie ! Les voilà rassurées : il n’en est rien !
Les gangsters de l’UMP sont également ravis de tout le battage meRdiatique autour du Tibet : pendant ce temps-là, au moins, on ne parle pas du chômage, des privatisations, des délocalisations… La droite a l’habitude de désigner des boucs-émissaires – les jeunes des quartiers pauvres, les sans-papiers, les chômeurs, les cheminots, les autonomes, etc. – pour détourner l’attention de sa politique intégralement en faveur des riches. C’est maintenant aux « Chinois » de jouer ce rôle…
La gauche est fidèle à elle-même : une fois de plus, elle est en première ligne dans la défense d’une « bonne cause » ultra-consensuelle. Marie-Ségolène Royal, dont on connaît le penchant pour les âneries religieuses, a annoncé qu’elle se rendrait au Tibet. Bertrand Delanoë – l’icône des bobos – a fait du dalaï-lama un citoyen d’honneur de Paris. Quant à Daniel Cohn-Bendit, autre idole des bobos, il a comparé la Chine actuelle à l’Allemagne hitlérienne qui, en 1936, n’était « qu’un pays totalitaire où il y avait simplement des camps d’internement, qui existent aujourd’hui en Chine. […] Si l’Europe avait la même confiance en elle-même que les Américains en eux-mêmes, on serait capable de faire plus pour les droits de l’Homme. »[4] Ses amis les dirigeants états-uniens ne lui ont pas parlé de Guantanamo ? Ils ne lui ont pas révélé, non plus, qu’il y avait plus de prisonniers dans leur pays que dans la Chine « totalitaire » ? C’est bien dommage…
Les partis d’extrême-gauche, en bons chiens de garde du Système, ont hurlé avec les loups. La L. « C ». « R ». s’est solidarisée des moines et des jeunes tibétains « bravant la répression » et a reproché à Sarkozy la « grande timidité » dont il aurait fait preuve sur ce dossier. Elle est même allée jusqu’à se féliciter qu’une délégation de Reporters sans frontières ait « réussi à perturber le départ de la flamme olympique de Grèce »[5]. On imagine à quel point la bourgeoisie doit trembler devant ces « révolutionnaires » qui apportent leur soutien à une association anticommuniste financée par le Département d’État américain, Soros, Dassault, et Lagardère[6] ! Lutte Ouvrière a affirmé peu ou prou la même chose que la L. « C ». « R »., se plaignant que « l’Occident regarde ailleurs » pendant que « Pékin réprime »[7] (donc en Occident on ne nous aurait pas infligé suffisamment de propagande en faveur du « Tibet » ?!?) et que « la diplomatie française mette un bémol sur le Tibet et les droits de l’homme [en Chine]. »[8] On notera au passage l’acharnement de la L. « C ». « R ». et de LO à demander aux dirigeants français de faire preuve de plus de fermeté à l’égard de la Chine (plus de fermeté, c’est-à-dire ? des sanctions économiques ? des bombardements massifs « démocratiques » ?)… Acharnement d’autant plus suspect que ces deux organisations n’ont jamais exigé de nos dirigeants qu’ils fassent quoique ce soit contre les USA ! De manière plus générale, depuis des décennies, les partis d’extrême-gauche ont une fâcheuse tendance à être sur la même ligne politique que l’impérialisme américain : soutien à Soljenitsyne, à Solidarność, aux « combattants de la liberté » (sic !) en Afghanistan dans les années 1980 ou au Tibet aujourd’hui… Pure coïncidence ?
En diffusant massivement de la propagande antichinoise, la classe politique dans son ensemble a tenté de relégitimer le régime pourri qui la fait vivre. Ainsi, ceux qui ont manifesté « pour le Tibet » ces derniers mois se sont sans doute senti « libres » – tout ça parce que, à l’archaïque tyrannie d’un Parti « Communiste », la bourgeoisie française à préféré les multiples avantages d’une moderne dictature à partis multiples. On a même vu les membres du collectif Réaction citoyenne – avec un brin d’honnêteté supplémentaire, ils se seraient baptisés le collectif Réaction tout court – investir un immeuble de Coca-Cola en France et y déployer des banderoles « pro-tibétaines » aux cris de « liberté au Tibet » et « démocratie en Chine »… Mais quelle liberté ? Et quelle démocratie ? Celles que l’Occident, avec sa légendaire grandeur d’âme et son non moins légendaire désintéressement, apporte en ce moment aux Afghans et aux Irakiens ? Pas étonnant que le peuple chinois n’en veuille pas… Un membre du collectif, interrogé par un journaliste, affirmait vouloir attirer l’attention sur le fait que Coca-Cola allait s’enrichir lors des Jeux Olympiques de Pékin… Ce qui est certes immoral mais, enfin, depuis quand le capitalisme se soucie-t-il de morale ? L’interviewé arrive-t-il de la Lune ? Plus fort encore : ce membre du collectif Réaction citoyenne, tout en expliquant tout le mal qu’il pensait des marques qui allaient faire des profits durant les JO au mépris de toute considération humaniste, arborait fièrement une casquette Nike. Or, c’est bien connu : dans les usines Nike – du Vietnam au Mexique en passant par le Pakistan – l’atmosphère respire la liberté et la démocratie ! Bonjour l’indignation sélective…
Il s’avère en fait que ce qui se joue en Chine n’a rien à voir avec la liberté, la démocratie, les droits de l’Homme ou le droit des peuples à l’autodétermination. Les quelques banalités suivantes suffisent à le démontrer :
- la majorité des Occidentaux ne sont pas libres, puisqu’ils sont fichés, filmés, fliqués, salariés…
- les régimes occidentaux ne sont pas des démocraties : quand les peuples « votent mal », la bourgeoisie les fait voter une seconde fois « comme il faut », ou bien elle ne tient tout simplement pas compte du verdict des urnes ;
- les droits de l’Homme ne sont pas respectés en Occident (sauf bien sûr le droit à la propriété) ;
- les dirigeants occidentaux se contrefichent du droit des peuples à l’autodétermination : ils sont en ce moment furieux contre la Russie qui vient de reconnaître l’indépendance de l’Ossétie du Sud… Mais, après tout, lors d’un referendum sur une éventuelle indépendance qui s’est tenu le 12 novembre 2006, les Ossètes n’ont été qu’un peu plus de 90% à se prononcer en sa faveur ! Et ne parlons même pas de la situation en Palestine occupée, où les Arabes sont massacrés depuis 60 ans par un État israélien qui n’est qu’une succursale de l’impérialisme américain au Proche-Orient…
Les raisons pour lesquelles les bourgeoisies occidentales haïssent la dictature bureaucratique chinoise sont toutes autres : elle est née d’une révolution, elle est (encore) officiellement communiste, elle met trop de temps à ouvrir (offrir ?) à la concurrence étrangère certains secteurs économiques (le secteur bancaire notamment), elle vient de faire passer à 25% le taux d’imposition sur les sociétés[9], etc. Mais il serait assurément contre-productif pour la classe dominante de mettre en avant de tels « arguments » pour convaincre les masses du caractère monstrueux du régime chinois – d’où l’utilisation de la rhétorique attrape-tout des « Tibétains opprimés »…
De plus, outre le recours aux prétendus « combattants de la liberté » au Tibet, l’impérialisme américain et ses alliés essayent de se servir des populations musulmanes (ouïghoures) du Xinjiang pour déstabiliser le régime chinois[10]. Cela n’a d’ailleurs rien d’un secret : le National Endowment for Democracy (NED), organisme anticommuniste mis en place par Ronald Reagan en 1983, publie sur son site les noms des divers groupes qu’il finance au Xinjiang, ainsi que les montants qui leurs sont alloués[11]. Et sur le site internet du Congrès Mondial Ouïghour[12], qui a reçu 136 000 $ en 2007, se trouvent des liens vers les sites du NED et de Radio Free Asia – la radio anticommuniste fondée par la CIA en 1950[13]…
Récapitulons : en guise de bonne volonté vis-à-vis de « l’Ouest », Pékin devrait accorder une plus grande autonomie à deux régions, le Tibet et le Xinjiang, qui représentent au total 3 millions de km², soit un tiers de la superficie de la Chine. Or, si l’on en juge par les pratiques auxquelles les grandes puissances occidentales recourent lorsqu’elles veulent démanteler un pays trop puissant (cf. la Yougoslavie), on peut affirmer sans grand risque qu’une plus grande autonomie ne les satisferait aucunement : l’Occident plaiderait alors pour leur indépendance pure et simple. Et si par hasard cette indépendance était accordée aux Tibétains et aux Ouïghours, il se trouverait sûrement des Ménard et des Cohn-Bendit pour demander à ce que la Chine renonce également à la Mongolie-Intérieure. Il arrive parfois qu’en Occident des putes intellectuelles rappellent, pour s’en gausser, cette célèbre phrase qu’elles attribuent à la défunte diplomatie soviétique : « ce qui est à moi est à moi, ce qui est à toi est négociable. » Aveuglés par leur idéologie « libérale », ces penseurs stipendiés ne réalisent même pas qu’il s’agit là de la devise éternelle du capitalisme, depuis le génocide des Indiens jusqu’à nos jours...
[1] Rapaces, communiqué numéro 13 .
[2] Les scénaristes de la série télé « Plus belle la vie », « destinée à éduquer le bon peuple » (dixit do), ont apporté leur contribution à la propagande « pro-tibétaine » et antichinoise au cours de plusieurs épisodes. De plus, dans ce feuilleton, il était récemment question d’une femme qui aurait été assassinée il y a quelques décennies au Goulag, après avoir été dénoncée au KGB – peut-être par des militants du Parti Communiste Français. Depuis la chute de l’Union Soviétique, la bourgeoisie ne cesse de répéter que « le communisme est mort ». A en juger par la dose importante d’anticommunisme qu’elle diffuse via le tittytainment quotidien, on peut au contraire estimer que la classe dominante est très consciente du fait que les aspirations à une société sans classes ni État sont encore bien vivaces.
[3] Communiqué du FN, 8 avril 2008.
[4] Dépêche AFP, vendredi 8 août 2008.
[7] Journal Lutte Ouvrière n°2068 du 21 mars 2008.
[8] Journal Lutte Ouvrière n°2073 du 25 avril 2008.
[9] Ce qui a fait dire à un crétin cynique sur son blog : « Si vous êtes intéressés, c’est le moment de vous rapporcher [sic] d’un conseiller fiscal, pourquoi pas français, installé en Chine. »
[10] Le régime chinois n’est certes pas étranger à ce qui lui arrive au Xinjiang : rappelons que pour déstabiliser l’Union Soviétique, il a lui-même soutenu, semble-t-il dès 1978, les islamistes présents sur son territoire, qui sont ensuite allés combattre l’Armée Rouge en Afghanistan. Cela ne change rien au fait que les Ouïghours, comme les Tibétains, ont tout à perdre à accepter de servir de supplétifs des grandes puissances occidentales : les dirigeants desdites puissances ne voient dans ces populations rien de plus que des outils à leur service, qu’ils finiront par abandonner comme ils l’ont fait par le passé avec les Hmong et les harkis.
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