Que d’oiseaux dans la volière bobo !
Les mutations rapides de nos sociétés ont conduit à une recomposition de la sociologie politique traditionnelle qui voyait s’affronter une gauche socialiste et une droite gaulliste, les extrêmes demeurant marginalisés.
Les mutations rapides de nos sociétés ont conduit à une recomposition de la sociologie politique traditionnelle qui voyait s’affronter une gauche socialiste et une droite gaulliste, les extrêmes demeurant marginalisés. Certes, la gauche populaire du militant syndicaliste « gréviculteur » existe toujours. Bien-sûr, la droite traditionnelle en loden se fait encore entendre avec la Manif pour tous.
Mais de nouveaux sociotypes sont apparus depuis quarante ans. Les six courants décrits ci-dessous se définissent plus par des sensibilités sociétales bien caractérisées que par des idéologies politiques clairement définies.
Trois d'entre eux renvoient aux ainsi nommés « bobos » : les bobos inégrés, les bobolchéviks et les bobonapartistes. Le concept de bobos (bourgeois-bohèmes) a été popularisé par l’essayiste américain David Brooks dans un livre paru en 2000, « Bobos au Paradis ». Philippe Muray parlait d’Homo festivus : « Festivus festivus existe, je l’ai rencontré, vous aussi... On les a appelés élites urbaines. Ou bourgeois-bohèmes » (Festivus festivus, 2005). En fait, l'expression « bourgeois-bohème » a été créée par Claire Bretécher dans le tome 3 de la bande dessinée « Les Frustrés », publié en 1978. Contrairement à l'usage polémique qui en est fait, le terme ne désigne nullement une idéologie politique univoque qualifiée de « socio-libérale » (?) et intégrée au « système ». Il s'agit en fait d'un statut social regroupant trois sociotypes très différents professionnellement et politiquement. Ils sont néanmoins très difficiles à différencier au premier abord, jusque dans l'accoutrement. A la terrasse d'un café, on repère le bobo. Est-il du genre « bobo de gauche socio-éducatif » intégré, ou bien serait-il plutôt « dissident » à savoir bobolchévik ou bobonapartiste ?
Deux d'entre eux renvoient à des sociotypes dominants, de gens de pouvoir et d'influence (gauche caviar et droite oeufs de lump). Enfin le dernier, la droite popo est classiquement la plus antagoniste de la gauche caviar.
1) La gauche caviar, expression créée par Jacques Soustelle en 1960 pour caractériser les intellectuels du Manifeste de 121 favorables au FLN. Laurent Joffrin avance dans son essai Histoire de la gauche caviar (2006) que la pensée libérale serait devenue majoritaire dans le socialisme français. Il écrit notamment que « dans gauche caviar, le caviar l’a emporté ». Elle est appelée en Allemagne : « fraction toscane », en Grande-Bretagne : « gauche champagne », aux Etats-Unis : « libéraux de la Ve Avenue ».
La gauche caviar est ainsi accusée par la gauche de la gauche, d’être, comme le décrit Laurent Joffrin, « une fausse gauche qui dit ce qu’il faut faire et ne fait pas ce qu’elle dit, une tribu tartuffe et désinvolte, qui aime le peuple et qui se garde bien de partager son sort. » Dès lors que la gauche a exercé le pouvoir, elle a produit tout naturellement ses propres élites et sa propre noblesse. Le gang des Renault 25 ministérielles sous Mitterrand est emblématique de ce qu’on appelle “la gauche caviar”, de même qu’un ancien ministre adepte des comptes en banque suisses et un ancien secrétaire d’Etat ayant une phobie administrative. Elle est très à l’aise dans la mondialisation ou à l’échelle locale (agir local et penser mondial), comprend moins bien l’échelon national envers lequel elle a une méfiance politique. Hautement diplômée, cette nouvelle élite exerce les postes clés de la société informationnelle, dans les médias, la publicité et l’industrie culturelle en général, détenant de ce fait un pouvoir idéologique indéniable. Elle est concurrente de l’élite industrielle et financière traditionnelle, et elle conteste son pouvoir politique et économique en se parant de l’éthique contestataire.
On se souvient du mot de cette figure de la gauche caviar, l'inénarrable Pierre Bergé « Moi je suis pour toutes les libertés. Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l'usine, quelle différence ? » Car bien sûr, dans ce milieu on est pour toute la déglingue anthropologique qui se nourrit de l'accumulation des « droits » à tout et n'importe quoi.
La gauche caviar habite les quartiers huppés de Paris, rive gauche de préférence, mais le Marais fait l’affaire. Le spécimen de la gauche caviar est impeccablement vêtu (style « vogue »). Il hante les milieux de l’édition, ou les professions libérales, l’Université ou la haute fonction publique. Pour ses vacances, il affectionne les superbes bastides en pierre du Lubéron. Il est bien entendu affilié au Parti socialiste ou adhérent chez les Verts, mais il n’est pas pour autant dupe, et garde un détachement souverain face au discours politique. Il méprise la droite popo, et trouve la mixité ethnique formidââble, car elle permet de dissoudre le peuple dans un espace global pluriel beaucoup plus attrayant. Mais c’est un peu en touriste qu’il prône la mixité ethnique, puisqu’il se garde bien de la vivre au quotidien. Ses enfants sont obligatoirement scolarisés dans les meilleurs établissements (le plus souvent privés) des métropoles, où l’on pratique au moyen de combines et tuyaux appropriés, la préférence nationale, voire la préférence de classe, tout en étant en paroles contre la sélection scolaire et pour l’école publique. La gauche caviar est foncièrement social-libertaire, et affectionne le paradoxe et les idées provocatrices progressistes. Elle est contre les prisons, pour les théories du « genre », ouverte à toutes les expériences pourvu qu’elles ne remettent pas en cause son confort. Le bobo, a priori hostile aux frontières, en érige par ses propres moyens : il peut habiter dans un loft avec plusieurs codes d’entrée, tout en continuant à vivre dans un quartier multiculturel et tenir un discours en faveur des bienfaits de l’immigration. Jack Lang en est incontestablement la figure de proue.
2) La gauche bobo intégrée se caractérise par une aisance matérielle certaine, mais inférieure à celle de la gauche caviar, une forte dose d’individualisme, mais aussi par un souci éthique. Ses membres exercent dans les professions intellectuelles ou dans des métiers créatifs (chercheurs, artistes, startupers). Ils constituent une partie de la population pour qui le capital culturel a plus d’importance que le capital économique. Le premier est souvent très élevé, tandis que le second est plutôt médiocre. Leur principale force est d’être en phase avec la société telle qu’elle évolue spontanément, avec la “nouvelle économie” fondée sur l’information et le numérique. Ils défendent des valeurs écologiques et sont plutôt proches des Verts ou des Marcheurs. Ils sont paradoxalement à la fois hédonistes et altruistes. Qu’ils soient d’anciens “bohèmes” devenus petits bourgeois ou des petits bourgeois adoptant les modes “bohèmes”, ils recyclent les mots d’ordre contestataires des années soixante en les vidant de leur sens. La société de consommation n’est pas remise en cause, seul le décor a changé. La critique de l’autorité est facilitée par le fait que les entreprises de l’information ou des nouvelles technologies, emploient essentiellement des cadres de même niveau social. Dans le domaine anthropologique (indûment baptisé « sociétal »), le bobo est accro à toute nouveauté, même et surtout la plus déstructurante car il espère en bénéficier en termes de « droits nouveaux ».
Le bobo intégré est un jeune qui a grandi dans un environnement confortable, a mené de longues études et a la conviction qu’il mérite non seulement de poursuivre ses rêves de mener une vie créative mais aussi de gagner de l’argent en suivant cette voie. Ces jeunes ont une relation compliquée à l’argent puisqu’ils ne veulent pas être définis par leur richesse matérielle mais qu'« ils veulent être payés pour leurs propres idées plutôt que pour exécuter celles des autres ». Ils quittent parfois leurs emplois dans la banque, la finance, l’informatique, le conseil juridique pour mener des carrières plus épanouissantes en marge des grandes entreprises. Toute une économie de renouveau de l’artisanat en ville et de la start-up innovante ou de la killer-app a été impulsée par eux. Leurs enfants sont obligatoirement scolarisés dans les meilleurs établissements des métropoles, où l’on pratique au moyen de combines et tuyaux appropriés, la préférence nationale, voire la préférence de classe, tout en étant en paroles contre la sélection scolaire et pour la diversité ethnique et l'immigration.
La gauche bobo est une fervente adepte de l’école publique, de l’audiovisuel public, des transports publics, des hôpitaux publics, du théâtre public. A Paris, elle va au cinéma voir les films français. Dans les transports en commun, elle lit un Prix Goncourt d'un auteur plein de compassion pour l'humanité souffrante, ou l’autofiction d’une femme libérée qui détaille sans complexe ses expériences sexuelles. Elle est très concernée par le réchauffement climatique global, la brevetabilité du vivant, ou les dangers des OGM. Elle signe des pétitions contre les mauvais traitements infligées aux femmes en Afghanistan et contre les interventions américaines où qu’elles soient. Elle habite un appartement de taille moyenne à Paris ou en proche banlieue. Elle aime les journées sans voiture, la fête de la musique et la Gay-Pride. Elle voudrait vivre dans un monde plus festif où l’individu est mieux pris en charge par la collectivité. Daniel Cohn Bendit en est un digne représentant.
3) La gauche bobolchévik composée de bobos auto-proclamés « dissidents », « insoumis », « indignés », se caractérise par une aisance matérielle médiocre et une forte dose d’individualisme, mais aussi par un souci éthique affiché. Ils exercent dans les professions sociales et enseignantes. Régis Debray les a caractérisés comme « basse intelligentsia » en référence au bas-clergé d'Ancien Régime, sorte de semi-intellectuels en opposition avec les authentiques intellectuels de haut vol. Les bobolchéviks socio-éducatifs constituent une partie de la population pour qui le capital culturel (assez élevé) à plus d’importance que le capital économique (médiocre). Raisonnablement diplômé, ils se vivent comme injustement traités (et rémunérés) en comparaison des cadres industriels et financiers traditionnels, s'estiment supérieurs moralement car désintéressés, et manifestent un syndrome obsidional de « raté ». Leur principale force est d’être en phase avec la société telle qu’elle évolue spontanément, avec les rapports sociaux fondés sur la communication. Ils sont paradoxalement à la fois hédonistes et altruistes. Ils sont de fervents adeptes de l’école publique, de l’audiovisuel public, des transports publics, des hôpitaux publics, du théâtre public. Ils vont au cinéma voir les films français psychologisants. Dans les transports en commun, ils lisent des Prix Goncourt écrits avec compassion pour ceux qui souffrent, ou des romans d’autofiction dépeignant une femme libérée se masturbant compulsivement. Ils sont très concernés par les menaces de la mondialisation, le réchauffement climatique global, la brevetabilité du vivant, ou les dangers des OGM. Ils lisent le Monde Diplomatique et écrivent sur Médiapart. Ils signent des pétitions contre les mauvais traitements infligées aux animaux et aux Gazaouis et contre les interventions américaines où qu’elles soient. Ils se déclarent féministes mais tolèrent l'excision et le voile intégral par respect des authenticités ethno-culturelles. Ils habitent un appartement relativement exigu à Paris dans le 6ème arrondissement ou en proche banlieue. Ils adorent les journées sans voiture, la fête de la musique et la Gay-Pride. Ils voudraient vivre dans un monde plus festif où l’individu est à la fois déchaîné (au sens étymologique) et pris en charge par la collectivité, car ils détestent l'entreprise privée par principe.
Le bobolchévik socio-éducatif constitue le noyau dur et assidu de « Nuit Debout » et il est bien entendu affilié au Front de Gauche, au NPA ou chez les Verts, plus rarement chez Soral (mais ça progresse, en même temps que l'antijudaïsme). Il méprise les « beaufs » sans les connaître vraiment. C’est un peu en touriste qu’il prône la mixité ethnique, car il se garde bien de la vivre au quotidien. Ses enfants sont scolarisés dans les meilleurs établissements publics des métropoles, où l’on pratique au moyen de tuyaux appropriés, la préférence nationale, voire la préférence de classe, tout en étant en paroles contre la sélection scolaire. Il est foncièrement social-libertaire, et affectionne les idées provocatrices dites « progressistes ». Il est contre les prisons, pour les théories du « genre », ouvert à toutes les expériences pourvu qu’elles ne remettent pas en cause son confort. A priori hostile aux frontières, il en érige par ses propres moyens pour lui-même : il peut habiter dans un loft avec plusieurs codes d’entrée, tout en continuant à tenir un discours en faveur des bienfaits de l’immigration.
Les bobolchéviks sont relativement cultivés et médiocrement rémunérés, majoritairement de gauche radicale. Le moteur de leur dissidence est le ressentiment des frustrés de ne pas être reconnus et bien payés (Brétécher l'avait bien pointé). Edwy Plénel en est l'incarnation parfaite.
4) La droite œufs de lump, dénomination due à Pierre Desproges pour désigner une fraction de la droite qui fait depuis de grands progrès parmi les élites hexagonales : « Si la gauche caviar est exécrable, la droite oeufs de lump est franchement dégueulasse. » En fait d’autres pays connaissent ce phénomène très porteur politiquement et parlent de « droite boudin » en Belgique, de « droite cervelas » en Suisse, de droite « baloney » au Québec. Tout cela désigne des hommes politiques de droite et appartenant à l’élite économique ou liés à elle, qui se travestissent socialement pour « faire pôple » et rallier un électorat traditionnellement hostile ou méfiant.
Le concept de droite œufs de lump exprime en une notion symétrique de la gauche caviar la mue culturelle d’une certaine droite démagogue, issue de la grande ou moyenne bourgeoisie, laissant à la gauche le monopole de la culture des élites et récupérant la culture populaire. On laisse l’imparfait du subjonctif à la vieille garde gaulliste. La droite oeufs de lump, c’est le triomphe de l’oral sur l’écrit, de l’esbroufe sur le sérieux, du « bling bling » sur la tenue de bon aloi. Un ancien Président manifestant son goût de la tête de veau, de la bière et du salon de l’agriculture, mais dans le privé fin amateur de grands crus, de cuisine nouvelle, de ballets et bon connaisseur des cultures asiatiques et océaniennes, a été accusé d’en faire partie. De même qu’une politicienne héritière, assujettie à l’impôt sur les fortunes, accro à la cause du peuple.
La droite oeufs de lump vote plutôt gaulliste ou lepeniste. Elle méprise les bobos, car considérés comme naïfs et décidément peu friqués. Elle s’approprie un thème abandonné par la gauche, celui de la colère des « masses » contre l’élite. Alors qu’elle est foncièrement cosmopolite, comme la vieille aristocratie, elle remplace la lutte des classes par la « lutte des identités », reprenant sans le savoir le mot de Lénine : « faites de la cause du prolétariat la cause de la nation, et la cause de la nation deviendra la cause du prolétariat ». Cette droite œufs de lump a le snobisme de la canaille, comme la gauche caviar a le snobisme des élites. Sont privilégiés l’intervention de l’Etat, les contrôles de toutes sortes, couplés avec un culte de l’argent échevelé. Car cette droite est moins entrepreneuriale que spéculatrice. Le mot de Guizot : « enrichissez-vous » lui apparaît mièvre. Le slogan tendance est désormais : « faire du fric à tout va ! ». Nicolas Sarkozy en est l'hypostase.
5) La droite popo (populo-popote), notion symétrique de la gauche bobo, est une expression de mon cru, « populo » s’opposant à « bourgeois » et « popote » à « bohème ». Elle est composée de ceux que l’on dénomme depuis peu « les petits Blancs », qui prennent conscience de leur identité dans un contexte de cohabitation. Il y a une génération en arrière, ils ne se posaient pas la question de leur appartenance ethnique car ils habitaient dans des quartiers où ils étaient seuls ou très majoritaires. Cabu avait créé il y a plusieurs décennies le personnage du « beauf » (beau-frère).
Nicolas Chemla (Anthropologie du boubour en février 2016) dresse le portrait du boubour ou « bourgeois bourrin » dont la définition s'approche de celle du popo, même si l'auteur commet des erreurs factuelles rédhibitoires qui décrédibilisent son concept.
Sur le plan politique, Aymeric Patricot note que « les petits blancs intéressent moyennement la gauche parce qu’ils sont blancs et moyennement la droite parce qu’ils sont pauvres. » (Les petits blancs : Un voyage dans la France d’en bas, 2013). Beaucoup votent à l’extrême droite, certains ponctuellement à l’extrême gauche, d’autant qu’il est de plus en plus difficile de faire le partage entre les deux. Mais ce qui définit les popos politiquement, c’est souvent l’abstention. La plupart d’entre eux ne se sentent plus appartenir au « système » et expriment parfois de la rancœur à l’égard des minorités ethniques. Contrairement aux immigrés, on ne leur reconnaît pas d’excuse pour leurs échecs. Ils habitent refoulés en péri-urbain. Dans les quartiers qui s’ethnicisent fortement, les blancs qui sentent devenir minoritaires partent. Aux Etats-Unis, on appelle ça le « white flag ». D’un point de vue économique, le popo n’est pas libéral, car il craint de perdre son travail à cause de la concurrence mondialisée et jalouse la réussite entrepreneuriale. Il est pour l’interventionnisme de l’Etat, en faveur des Français de souche. Sur le plan sociétal, il est indifférent aux tendances libertaires dans les moeurs, car ne se sentant pas concernés et ayant depuis plusieurs générations coupé le cordon ombilical avec la religion. Le comportement popo, c’est aussi tout ce qu’on réprime en nous, un défoulement. Le langage popo cru et parfois insultant est né en réaction contre le bon goût, le politiquement correct et les euphémismes. Les popos sont souvent dépeints comme pauvres, avec un bas niveau d’éducation, de mauvaises manières et un manque général d’intérêt pour les questions de société et la culture. Le popo est souvent un paumé, un déraciné hors-sol, pur produit de la disparition de la transmission culturelle et familiale. Il soutient à peu près n’importe quoi et n’importe qui, pourvu que ce soit « contre ». Le popo est un missionnaire tous azimuts du confort intellectuel et de l’habitude. On peut songer aux personnages joués par Jean Dujardin. Quant à Jean-Marie Bigard, il illustre à merveille ce sociotype.
6) La droite bobonapartiste, ennemie jurée de la gauche bobolchévik, version bobo cadre parvenu, vise la réussite et cultive l'esbrouffe. Il s'apparente au « boubour » débusqué en 2016 par Nicolas Chemla. Le bobonapartiste est un cynique par excellence, bien conscient qu’il est privilégié mais qu'il a surtout eu beaucoup de « chance », les magouilles et les réseaux aidant. En gros, il a digéré les mécanismes de la société de consommation... et d’internet : slasheur, il sait ce qui convient aux barbus mais préfère se raser. Grâce aux réseaux sociaux de type coach surfing, dans le passage obligé de sa carrière internationale, il a surmonté sa solitude et rencontré des « expats » de diverses nationalités, avec lesquels il part faire du rafting ou jouer au bowling dans les malls. Devenu lui-même « expat », tous les espaces lui sont ouverts, à condition de déployer un savoir-être en contexte. Il s’agit de se plier aux règles tacites ou explicites propres à chaque lieu : savoir séduire en anglais ses partenaires chinois de paint-ball, parler avec autorité de sujets qu'il ne maîtrise pas (à peu près tous, sa formation professionnelle ayant oblitéré toute imprégnation culturelle), tout en évitant soigneusement les spécialités culinaires locales. Il a des milliers de followers Instagram, mais n’a presque pas d’abonnés sur Twitter. Il évite les tatouages (un move plutôt risqué). Il a été “dans la banque” et prononce bizarrement le mot “finance”. Il achète le Monde, mais ne le lit pas vraiment. Jeune adulte, il lisait encore Pif Gadget.
Issu d'un milieu modeste, le bobonapartiste cadre parvenu a milité dans sa jeunesse parfois aux Jeunesses communistes ou à Lutte ouvrière, acquérant ainsi un vision totalisante qu'il va conserver même après la fameuse crise de la quarantaine quand il passera l'arme à droite. Mais certains d'entre eux n'ont pas eu à abjurer, ayant milité à l'extrême-droite jurassique, genre GUD et autres nationalistes-révolutionnaires. Tout ce joli monde se retrouve souvent chez les nazbols (nazi-bolchéviks) de Soral, mais plutôt dans le « souverainisme » bourgeois de réminiscence gaulliste à la Dupont-Aignant ou Asselineau, qui est plus présentable. Le bobonapartiste préfère curieusement toujours le lointain au proche. Le Russe au Polonais, l'Arabe (le panarabisme syrien) à l'Israëlien, Cuba aux Etats-Unis, les autres continents à l'Europe. Il est plutôt indifférent aux débats sociétaux, mais se veut « moderne », dans le sens de l'histoire, ayant coupé le cordon ombilical avec la vraie culture populaire du « sens commun » comme disait Orwell. Il habite un triangle parisien délimité par les rues de Marseille, Beaurepaire et Yves-Toudic, dans le 10e arrondissement, à deux pas de la place de la République et du canal Saint-Martin. Par réflexe pavlovien, il crie sans cesse France, République, Souveraineté, en sautant comme un cabri, alors qu'il n'a pas la plus petite idée de l'héritage historique de notre nation, et n'est jamais entré dans une église ou sur un site archéologique. Le parvenu, aussi aisé soit-il financièrement, est un déraciné hors-sol, pur produit de la débâcle de l'enseignement et de la famille. Sa haine du « système » le mène à s’identifier aux pires ennemis de sa civilisation et à tenir des discours totalement contradictoires. S’il est un tant soit peu politisé, il adore Faurrisson et le revenu de base pour tous, déteste les entrepreneurs, ne croit pas au 11 septembre, soutient Dieudonné, lit Valeurs Actuelles, consulte le site Agoravox, milite pour la démocratie « directe », tout en matant les vidéos d’Etienne Chouard. Il est le vecteur privilégié des théories complotistes. Il est souvent la proie de sectes de type larouchien. Il soutient par droitdelhommisme abstrait la liberté totale d'expression et soutient Dieudonné. Il estime représenter le Camp de la Morale et des victimes de l'impérialisme américo-sioniste, la Bien-pensance populiste contre le cynisme des gouvernements « anti-démocratiques » (ah, ce referendum de 2005 !). Une sorte de conformiste béat et narcissique sous un vernis de révolté nouveau riche.
Les bobonapartistes, sortes de rastignacs du XXIe siècle (les yuppies anglo-saxons) sont peu cultivés et très bien rémunérés, majoritairement de droite radicale, dont le moteur de leur dissidence vient de leur frustration de n'être pas intégrables dans la vraie bourgeoisie. Eric Zemmour en est l'exemplaire emblématique, bien que plus cultivé que la moyenne.
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