Que penser des réponses de Sarkozy et de Hollande à Bayrou ?
François Bayrou a adressé, mercredi 25 avril, une lettre de deux pages aux deux candidats finalistes du deuxième tour de l'élection présidentielle. Avant de dévoiler son choix à titre personnel ou d’en discuter avec ceux qui l’ont soutenu au premier tour, il a souhaité rappeler ce qui lui paraissait crucial, tant sur le plan des valeurs que sur celui des priorités du redressement du pays et de la crédibilité des propositions, appelant les candidats à répondre et à s’engager sur ces points :
-
La vérité sur la situation du pays, la réalité des faits :
- gravité de la crise
- effondrement de notre commerce extérieur
- déficits commerciaux et budgétaires qui menacent notre modèle social
- crise de l’éducation aggravant les inégalités sociales, effondrement du niveau scolaire, des acquis fondamentaux, ce qui ne tient pas qu’aux moyens
- Besoin d’un esprit d’unité nationale face à la crise, à la violence des attitudes et des mots, à la complaisance à l’égard des extrêmes
- Préservation du modèle social tel que né du Conseil National dela Résistance : il devra se réformer, mais dans la justice et la solidarité
-
Retour à l’équilibre des finances publiques :
- Règle d’or budgétaire
- importance d’un chiffrage crédible, sans multiplier les promesses non financées (il critique les hypothèses de croissance non réalistes des deux candidats et demande d’envisager des mesures crédibles)
- Restauration et le fort développement de notre appareil de production par une stratégie nationale, filière par filière et l’instauration d’une démocratie sociale dans l’entreprise, avec représentation des salariés dans les conseils d’administration
- Nouveau contrat sur l’école, préservant ses moyens, priorisant les fondamentaux, privilégiant les meilleures pratiques, touchant à l’organisation, favorisant et développant l’apprentissage
- Moralisation de la vie politique que seul un référendum peut imposer : interdiction du cumul des mandats, diminution du nombre des parlementaires, parité, instauration de scrutin proportionnel, indépendance des médias et de la justice, règles de financement politique, lutte contre la corruption et les conflits d’intérêts
- Enfin l’Europe : notre avenir national passe par le projet européen, par une Europe politique et économique efficace dans la tourmente mondiale, par une Europe plus forte, plus solidaire et plus lisible, donc plus communautaire, par un renforcement de la zone euro et de l’espace Schengen
François Hollande a répondu par une lettre de deux pages, très succincte, qui vise surtout à démontrer qu’il partage les mêmes priorités et les mêmes intentions que François Bayrou :
- L’éducation et notamment la priorité à l’école primaire, rappelant les moyens qu’il compte lui consacrer, les 60 000 créations d’emplois pour un coût de 2 milliards par an dont l’effort est maîtrisé
- Le sérieux budgétaire : retour à l’équilibre budgétaire en 2017, progression de la dépense publique limitée à 1% par an, gel du nombre total des fonctionnaires, réforme fiscale rétablissant l’équité et générant de nouvelles recettes
- Le redressement productif : séparation des activités bancaires, interdiction des produits spéculatifs, mobilisation de l’épargne vers les entreprises, création d’une banque publique d’investissement dans les PME, fiscalité favorisant l’investissement sur la distribution de dividendes et modulée selon la taille des entreprises, conditionnement des aides de l’Etat à la production sur notre territoire
- La moralisation politique : diminution de 30% du salaire du président et des ministres, fin des connivences avec les puissances financières et au favoritisme, lutte contre la corruption et les conflits d’intérêt, renforcement de la parité, interdiction du cumul des mandats, introduction de proportionnelle dans le scrutin législatif, indépendance de la justice, fin de la nomination des responsables de l’audiovisuel public par le pouvoir politique. Mais cette loi sera votée par le Parlement, par référendum sauf s’il y a blocage.
François Hollande assure partager les mêmes priorités (éducation, production, moralisation, souci de l’équilibre budgétaire) et les mêmes intentions que François Bayrou. Il paraît aussi partager des valeurs de justice, de solidarité, de préservation du modèle social républicain, de la démocratie (représentativité, séparation des pouvoir, égalité homme-femme), même s’il n’affirme pas préalablement l’attachement à ces valeurs. En revanche il ne répond que très superficiellement sur le « comment », en particulier sur la façon de vraiment recréer de l’activité (les mesures fiscales et d’aide au financement par une banque publique d’investissement ne peuvent suffire, il faut vraiment une stratégie industrielle, des propositions concrètes par filière, comme le suggère François Bayrou) et il ne répond aucunement sur la crédibilité de son chiffrage, dont François Bayrou contestait les hypothèses de croissance (également contestée par Michel Rocard et des économistes rappelant qu’il avait retenu un taux de 2 à 2,5% alors que l’Insee et le FMI ont confirmé un taux de 1%). Il ne soutient pas la « règle d’or », se contentant d’une loi organique votée par le Parlement sur les finances publiques.
Concernant certaines propositions institutionnelles qu’il partage avec François Bayrou sur la moralisation de la vie politique, sa préférence pour un vote parlementaire plutôt qu’un référendum signifierait un report de l’application de la plupart de ces dispositions à la prochaine mandature dans cinq ans …).
Notons qu’il n’aborde le sujet de l’Europe que par la réorientation vers la croissance (renégociation du traité budgétaire), sans reprendre la vision de François Bayrou d’une Europe non seulement plus efficace économiquement, mais aussi plus forte, plus solidaire, plus lisible, plus politique. Sans aucune précision sur sa vision du projet européen.
Quant à l’appel à l’unité nationale et au pluralisme, conditions que François Bayrou estime nécessaire pour mobiliser les forces politiques dans un meilleur consensus pour redresser le pays dans des moments qui s’annoncent difficiles, pas un mot là-dessus, pas d’invitation à travailler ensemble, pas d’ouverture. Le ton de la lettre est froid, l’auteur emploie un ton affirmatif, sûr de lui (beaucoup de « je veux », « je suis », « j’ai proposé », « j’ai indiqué », alors que le ton de la lettre de François Bayrou était plus respectueux : « je crois », « il me paraît », « pour moi,… », « je vous demande » et beaucoup de « nous ».
Passons maintenant à la réponse de Nicolas Sarkozy, très longue (7 pages !). Cette lettre a été rédigée non par lui-même mais paraît-il par Emmanuelle Mignon, qui fut son directeur de cabinet en 2007 et 2008 et a repris du service auprès de lui à l’occasion de la campagne présidentielle.
Très dense, la lettre se présente comme une réponse sérieuse et très argumentée, au ton à la fois présidentiel et respectueux (« vous avez bien voulu », « je vous en remercie », « c’est bien volontiers que je réponds à vos questions » …), qui cherche à convaincre son interlocuteur (« comme vous, je reconnais … », « je partage votre préoccupation » …). Avant de dérouler l’argumentaire, il campe le décor dans l’introduction : le contexte de crise, de mondialisation et de libéralisation des échanges, de financiarisation de l’économie, de l’Europe, justifiant l’inquiétude des Français. Il affirme son attachement à des valeurs d’autorité, de responsabilité, de mérite, de travail (notons qu’il ne cite pas les valeurs républicaines de liberté-égalité-fraternité). Il ajoute l’identité et le besoin de frontières (géographiques, culturelles, économiques, éthiques) qu’exprimeraient selon lui les Français. Enfin il affirme son attachement au modèle social hérité du Conseil National dela Résistancetout en disant que la seule façon de le sauver, c’est de le réformer, de le rendre plus efficace, plus économe.
Puis sont repris point après point les sujets cruciaux énoncés par François Bayrou, avec analyse des causes, chiffres, énoncé de la vision :
- Réduction du déficit public : retour à l’équilibre en 2016, règle d’or dansla Constitution, soumise à référendum
- Chiffrage du projet présidentiel : il rappelle ses chiffres d’effort sur la dépense publique et précise où viser des économies, mais ne relève aucunement son hypothèse de croissance jugée trop optimiste par les organismes officiels (2% au lieu de 1%), préférant en valider la crédibilité par les chiffres constatés les 20 dernières années ( !) et indiquant une réserve de 6 Md€ au cas où … (notons qu’une variation de croissance de 1% occasionne un impact sur les finances publiques de l’ordre de 10 Mds€, mais bon …).
- Emploi industriel : son déclin dû à 30 années de choix économiques et industriels, en particulier sur des secteurs (sidérurgie, automobile, industrie navale), au 35 heures, à la retraite à 60 ans, à l’alourdissement du coût du travail,… qu’il a cherché à corriger pendant son quinquennat (crédit impôt-recherche, pôles de compétitivité, suppression de la taxe professionnelle, FSI …). Il veut poursuivre en réservant 20% des marchés publics aux PME (mesure déjà proposée par François Bayrou en 2007 !), en réformant la formation professionnelle, en proposant à nos partenaires européen un pacte de réciprocité entre l’Europe et les pays tiers concernant l’accès aux marchés publics, un contrôle des importations pour veiller à ce qu’elles respectent nos normes (ces points ont également été proposés par Bayrou).
- Démocratie sociale : Nicolas Sarkozy dit clairement qu’il n’est pas d’accord sur la représentation avec droit de vote des représentants des salariés au Conseil d’administration des entreprises. En revanche il est d’accord pour leur présence dans les comités de rémunération.
- Education : d’accord avec Bayrou sur la crise de l’éducation, pour un nouveau projet éducatif centrés sur les savoirs fondamentaux et le développement de l’apprentissage et non pas en créant des postes supplémentaires.
- Modernisation des institutions : il rappelle des évolutions réalisées depuis 2007, la révision constitutionnelle précisant l’attachement au pluralisme et à l’indépendance des médias [sourire, quand il a aussi fait voter la nomination des responsables de l’audiovisuel public par le président de la république], l’extension des pouvoirs du Parlement, la question prioritaire de constitutionnalité, les nominations du parquet soumises à l’avis du CSM, le contrôle de la présidence de la république parla Courdes comptes, la réduction de 20% du budget de l’Elysée, nomination d’un député d’opposition àla Courdes comptes et àla Commissiondes finances. Il poursuivra sur la moralisation de la vie politique : prévention de conflits d’intérêt, interdiction du cumul des mandats entre un ministère et un mandat exécutif local. Avis positif sur la réduction du nombre de parlementaires, l’introduction d’une dose de proportionnelle. Comme Hollande, il soumettrait ces propositions au Parlement plutôt que par référendum, sauf cas de blocage.
- Enfin sur l’Europe, il se proclame Européen convaincu et rappelle qu’il a agit dans l’urgence pour l’Europe, grâce à l’entente franco-allemande, pour surmonter la crise des dettes souveraines, pour établir une gouvernance économique. Il soutiendra le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de la zone euro, pour renforcer la zone euro et cherchera à développer l’harmonisation des législations au service de la croissance et de l’emploi. Il veut engager un dialogue constructif avecla BCEen faveur du soutien de la croissance et souhaite une politique commerciale qui protège l’emploi industriel en Europe et une réforme de l’espace Schengen pour mieux maîtriser les frontières.
La lettre se termine par l’expression du souci d’écouter, de répondre aux inquiétudes et à l’angoisse du peuple français, de trouver un point d’équilibre dans ces réponses, ainsi que par un « appel de tous les Français qui mettent l’amour de notre patri au dessus de toute considération partisane et de tout intérêt particulier à s’unir et à le rejoindre ».
La lettre est belle. Mais les valeurs de la république (liberté-égalité-fraternité) ne sont pas évoquées, remplacées par le travail, l’effort, la responsabilité. Il ne parle pas de solidarité, qu’évoque souvent François Bayrou notamment par son slogan de campagne « la Francesolidaire ». Il fait appel à l’union mais n’a cessé de diviser les Français, opposant les catégories les unes aux autres. Il ne parle absolument pas de la justice sociale et notamment fiscale (mais il est vrai que la lettre de François Bayrou ne l’a pas interpellé là-dessus). Il ne dit pas comment il va redynamiser l’industrie, l’activité économique, le « produire en France », pour créer vraiment de l’activité et des emplois (ce n’est pas la formation des chômeurs et l’obligation donnée d’accepter un emploi proposé qui va créer ces emplois !). Sur l’éducation, leur vision de la profession d’enseignant est très différente. Alors que Nicolas Sarkozy veut leur imposer plus d’heures de présence en leur faisant miroiter une prime, François Bayrou entend reprendre à la racine les méthodes, les pratiques, la reconnaissance et la valorisation des enseignants, la motivation des élèves,…
La comparaison entre les candidats est un exercice à dimension multiple : personnalité, crédibilité, confiance, autorité, courage, cohérence, attachement à des valeurs, compréhension de la société, écoute des Français, vision de l’avenir pour donner un cap et énoncer des priorités, cohérence et pertinence des propositions pour atteindre ces objectifs.
Il y a les valeurs exprimées et les valeurs sous-jacentes non exprimées. Il y a la parole et les actes, pas toujours en conformité. La manière d’être, de se comporter vis-à-vis de son équipe et vis-à-vis de ses rivaux, de ses opposants politiques. C’est tout cela qu’il faut considérer, au-delà des considérations partisanes, pour se faire sa propre opinion.
31 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON