Que signifie le slogan « Pas de justice, pas de paix » ?
Réaction à l’effroyable bilan des violences policières depuis la mort de Nahel, la manifestation du 23 septembre contre les violences policières et le racisme systémique, et pour les libertés civiles a rassemblé des dizaines de milliers de personnes dans toute la France. Mais elle a été dénoncée par des forces de l'ensemble de l'échiquier politique, notamment pour ses slogans. Sont-ils légitimes ?
La manifestation du 23 septembre a largement été conspuée par la classe politique et les chiens de garde des médias dominants, et décrite comme un appel à la haine et à la brutalité contre les forces de l’ordre. Bien que les manifestations aient été pacifiques, les quelques scènes de débordements, tout à fait marginales, ont comme d'habitude été largement diffusées pour discréditer le mouvement.
En amont, le Sinistre de l’Intérieur Gérald Darmanin avait dénoncé la « haine contre les serviteurs de l'Etat et les institutions de la République », promettant une réponse pénale forte contre toute affiche, tout slogan qui salirait la police française, faisant même planer la menace d’interdiction de manifestations au moindre prétexte.
Fabien Roussel, le Secrétaire national du Parti communiste, a refusé de participer à la manifestation au prétexte que « Je n'ai pas envie de manifester en entendant autour de moi ce slogan ‘Tout le monde déteste la police’ », ajoutant, avec un mélange des genres révélateur du caractère transpartisan de certaines phobies, « J'ai vu qu'en plus, depuis, ils avaient ajouté comme revendication l'autorisation du port de l'abaya dans les écoles ».
Jordan Bardella, le Président du Rassemblement National, a fustigé les « irresponsables » qui ont organisé « une manifestation pour mettre une cible sur le front des policiers et des gendarmes », leur « besoin quasi maladif, obsessionnel de nourrir la haine contre les forces de l'ordre » et leur volonté de « déstabilisation de notre société et la haine contre tout ce qui représente de près ou de loin la France et l'État ».
Mais la palme de l’ignominie revient probablement à Geoffroy Lejeune, Directeur de la Rédaction de Valeurs actuelles puis du JDD, qui a affirmé sur CNews, au sujet de ceux qui sont tués par la police, une réalité hélas indéniable : « Ils vont chercher le martyre pour nourrir leur propagande ». Les Nahel, Hedi, Mohamed B. et autres Cédric Chouviat ne seraient que des kamikazes fanatisés qui voulaient « tuer du flic », et qui l’ont bien cherché en quelque sorte. Et les associations internationales de défense des droits de l’homme comme Amnesty International et Human Rights Watch qui dénoncent régulièrement, dans leurs rapports, le racisme systémique, les violences & l’impunité policières ne sont certainement que des officines islamo-gauchistes financées par les Emirats ou le Qatar.
En particulier, le slogan « Pas de justice, pas de paix » cristallise parfois cette inversion accusatoire caractérisée : alors que les manifestants dénoncent la violence et le racisme d'Etat, qui n’épargnent même pas les éléments racisés des forces de l’ordre, profession qui vote majoritairement pour l’extrême droite, on les accuse de brandir les émeutes urbaines comme une menace pour que leurs revendications soient satisfaites. Certaines organisations alignées sur le PCF justifient d’ailleurs leur refus de se joindre à ces mouvements par l’ambiguïté, voire le caractère violent de tels slogans.
Qu'en est-il réellement ?
Tout d’abord, rappelons que le slogan « Pas de justice, pas de paix » nous vient de la lutte pour les droits civiques des Noirs aux Etats-Unis (« No justice, no peace »). Il est tantôt interprété comme une expression de causalité (« Il ne peut pas y avoir de paix civile sans justice sociale »), tantôt comme une intimation (« Si nous n’obtenons pas justice, vous n’aurez pas la paix »). Une fameuse déclaration de Martin Luther King fait la jonction entre ces deux interprétations : « Il ne peut y avoir de paix dans le monde sans justice, et il ne peut y avoir de justice sans paix. Je pense que, dans un sens, ces problèmes sont inextricablement liés. »
L’interprétation la plus « radicale » de ce slogan est-elle légitime ?
Il nous semble que oui.
Pour nous en expliquer, posons explicitement certaines des questions sous-jacentes à la crise actuelle :
- Faut-il condamner les émeutes urbaines ?
- L’agression d’un policier par un « simple citoyen », qu’il agisse seul ou en bande organisée, est-elle aussi grave que les violences policières ? Ou, pour formuler cette question autrement, les policiers doivent-ils avoir les mêmes droits & devoirs que les autres citoyens ?
Voici les réponses que nous proposons à ces interrogations étroitement liées.
1/ Face à une IGPN dont le seul rôle est de « laver plus blanc que blanc », à des responsables politiques qui transforment consciencieusement une police républicaine en milice sans foi ni loi, à une recrudescence drastique des violences, mutilations et exécutions extra-judiciaires perpétrées par les forces de police, et à une complicité totale des principaux médias, toujours prompts à déformer la réalité et à transformer les victimes en coupables et vice versa (on ne s’indignera jamais assez des « fuites » systématiques sur les casiers judiciaires réels ou supposés des victimes de la police, qui les criminalisent et les salissent à dessein), force est de constater que les émeutes sont le meilleur moyen à disposition de la population générale et des classes populaires pour, entre autres :
- faire entendre à leurs concitoyens et au monde entier leur colère légitime ;
- mettre en lumière la situation catastrophique de la France au niveau du respect des droits de l’homme (en particulier ceux des minorités) ;
- créer une sorte d’équation de dissuasion, puisque les biens matériels valent plus que les vies humaines aux yeux des élites (« Une émeute de trois jours coûte cent vingt millions », disait déjà Victor Hugo, qui s’insurgeait contre le fait que l’argent, non le droit à l’existence et à la dignité des « gueux », soient sacralisés) ; les mêmes médias qui s’efforcent de nous arracher des larmes sur tous les faits divers qui peuvent susciter davantage d’animosité contre les minorités n’ont pas la moindre compassion pour les blessés, mutilés ou tués par la police, et ne s’inquiètent que des éventuelles réactions populaires ;
- démasquer les véritables ennemis de la République, qui valident cette hiérarchie inversée des valeurs (suite à la mort de Nahel, les communiqués ignobles qui versaient des larmes de crocodile sur le mobilier urbain saccagé sans aucun mot de compassions pour la famille de l’adolescent tué se sont multipliés sur tout l’échiquier politique).
2 / L’immunité qu’exige la police pour toutes les exactions commises durant le service (et que Darmanin semble tout disposé à accorder), en arguant du fait que ce métier serait à la fois des plus pénibles et des plus indispensables, est une ignominie. Quand bien même la police ne demanderait que « l’égalité des droits » comme elle le prétend parfois, ce serait indéfendable. Lorsqu’une personne investie d’une autorité quelconque commet un crime contre un citoyen tenu au devoir d’obéissance, cette autorité constitue une circonstance aggravante, et en aucun cas une circonstance atténuante. Un enseignant qui agresserait, physiquement ou sexuellement, un(e) de ses élèves, sera puni avec une sévérité plus grande que celle qui doit être appliquée contre un agresseur de rue, qui n’est pas détenteur d’autorité sur sa victime. Et lorsqu’il s’agit d’un agent doté d’armes de service et de pouvoirs de police, qui se comporte comme une racaille, un agresseur ou même un assassin, en bande organisée de surcroît, la sévérité doit être tout simplement maximale.
Le fait qu’on demande de la « tolérance » et de la « compréhension » pour des soudards en uniforme qui tabassent des femmes ou des enfants en réunion, voire les mutilent et les tuent, alors que leur seule raison d’être est de les protéger, et ce au prétexte de violences qui seraient exercées contre eux par de simples citoyens, est une infamie. Qu’on qualifie les auteurs de violences contre la police d’émeutiers, de casseurs, de voyous, etc., ils ne représentent qu’eux-mêmes, et ils sont dans leur rôle, si indéfendable soit-il. Mais du côté de la police, qui est censée avoir le « beau rôle », quand bien même toutes ses égratignures et ITT de complaisance seraient de réelles blessures, elles font en quelque sorte partie du métier : si un policier est armé, c’est qu’il a vocation à affronter des individus dangereux et malfaisants, et qu’il est censé avoir le sang-froid, le discernement et l’éthique requis pour n’en faire usage que dans des contextes appropriés et de manière proportionnée. Mais qu’un simple citoyen, manifestant ou passant, soit éborgné, ait la main arrachée ou soit tué par celui qui doit justement garantir sa sécurité et son intégrité, même au péril de la sienne, est un scandale absolu qui salit l’uniforme et même la République, et devrait à ce titre être jugé et condamné avec la plus grande sévérité.
Demander que les policiers puissent, parce qu’ils seraient stressés et fatigués, se comporter comme des racailles (la cagoule, jadis réservée aux bandits et aux forces spéciales, devient une partie intégrante de l’uniforme), et transformer les « bavures » en mode opératoire susceptible de les rendre millionnaires, est un signe révélateur d'un glissement funeste vers l’état policier, face auquel la rue semble être le dernier rempart. N'en déplaise à Gérald Darmanin, Fabien Roussel, Jordan Bardella, Geoffroy Lejeune et leurs trop nombreux épigones, qu'une telle police soit décriée comme détestable est une manifestation de vitalité démocratique qui traduit l'aspiration au retour d'une véritable police républicaine, au service de la population.
Rappelons que le dernier article de la Constitution de 1793 stipulait que « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. » Le slogan « Pas de justice, pas de paix » s’inscrit pleinement dans cet esprit.
14 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON