Que veut-elle, et que peut-elle finalement devenir, cette France ?
Il est remarquable qu’une question aussi basique, celle de l’imaginaire des citoyens, de leurs espérances et de leurs choix, quant au devenir de la nation et quant au modèle de société dans lequel ils désirent vivre, a été totalement absente des débats qui ont précédé les dernières élections, la présidentielle tout comme les législatives.
En fait, tout s’est passé comme si les questions qui ont fait débat, telles que le déficit budgétaire, l’endettement de la nation, la lutte contre le chômage, la lutte contre la délinquance, l’éducation nationale, le logement, l’environnement et les autres, pouvaient trouver chacune sa solution en son secteur, simplement à partir de philosophies politiques dites, socialiste ou libérale, prévoyant alors des options concurrentes pour chaque règlement. Et ceci, en manquant de s’inscrire dans un cadre général qui en imposerait les formes.
Quant à la politique étrangère, celle qui ne peut précisément trouver sa pleine justification, que selon une idée globale et consensuelle que la nation se fait d’elle-même, elle a été quasiment absente des débats. Ceci, pour la raison qu’il existe justement à cause de cette imprécision identitaire, de fortes oppositions en ce domaine, et que celles-ci ne se superposent pas au clivage traditionnel gauche-droite, permettant alors à chaque parti de présenter son option spécifique et clairement définie, en opposition à celle de l’autre.
C’est bien à cause de ce manque de vision globale que la question du chômage parmi d’autres, a comme d’habitude été traitée, comme si son règlement ne devait pas entrainer des modifications très profondes dans notre mode de vie, nécessitant que nous en imaginions des formes nouvelles, et que nous fassions clairement le choix de celles-ci.
Ceci pour dire que nous avons continué à traiter de cette question du chômage, en demeurant convaincus a priori, qu’il est possible par un prodige de dispositions économiques que nous espérons, mais qui à ce jour demeurent inédites, et sans que la faisabilité même d’une telle opération ne soit jamais mise en cause, que nous revenions un jour au plein emploi, tout en demeurant dans notre modèle actuel de société.
Dans cette compréhension des choses, c’est à dire celle selon laquelle la question de l’emploi ne relèverait que de considérations strictement économiques, et sans autre nécessité environnementale pour son règlement, que la libre concurrence et la loi du marché, le chômage continue d’être envisagé et vécu, comme étant une “anomalie”, qu’on s’emploie alors depuis des décennies, mais sans le moindre succès, à réparer. Ceci, alors même que les années se succédant, et les faits demeurant absolument têtus, démontrent qu’il n’en est justement rien, et que ce qu’on ne cesse de nous présenter comme étant un déficit conjoncturel d’activité, supposé donc passager et réparable, est en réalité une situation tout à fait logique du type même de société qui est le nôtre, et qui n’a donc pas lieu de disparaitre, aussi longtemps que nous demeurerons dans ce type de société.
Il est plus que temps d’en convenir enfin, après tant d’années d’une lutte totalement vaine contre le chômage, lequel a déjà vaincu tous les gouvernements de quatre présidences, sous six mandatures, et qui va très sérieusement malmener les tout nouveaux arrivants, se seraient-ils dotés d’un surprenant “ministère du redressement productif”, nous ne reviendrons plus jamais au plein emploi dans notre actuelle société. Et ceci, tout simplement parce que la situation de plein emploi est “incohérente” avec “l’époque”, de cette société.
Le plein emploi était une situation logique des “trente glorieuses”, c’est à dire d’une société ou tout était à construire ou à reconstruire, au sortir de la deuxième guerre mondiale, où le niveau de vie était bien inférieur à ce qu’il est aujourd’hui, et dont on trouve maintenant le modèle dans les pays dit émergents, lesquels sont en pleine croissance économique. Ceci, en attendant que par la réalisation à terme de leurs équipements essentiels, et l’enrichissement graduel de leur citoyens, ils se retrouvent fatalement tôt ou tard, dans la situation ou nous nous trouvons aujourd’hui, et dans laquelle nous ne faisons en fait que les précéder.
Ceci pour dire que dans le système de marché qui demeure le notre, le plein emploi est logique d’une “époque” du développement économique d’une nation, mais ne peut pas être une situation définitive, et si nous subissons un tel chômage après la si faste période des trente glorieuses, c’est précisément parce que celles-ci ont été très efficaces. Elles nous ont conduit au niveau de vie qui est le nôtre aujourd’hui, lequel implique un niveau de consommation pouvant difficilement être dépassé, sauf à organiser un gaspillage systématique afin d’augmenter encore cette consommation.
En effet, le plein emploi chez-nous, allié à la très haute productivité qu’implique la redoutable concurrence internationale, aboutirait à un impressionnant volume de produits, mais qui malheureusement ne correspondrait à aucun marché.
Ceci, étant bien entendu que ce n’est pas aux pays pauvres qui n’ont pas les moyens de se les offrir, que nous vendrions tout ces biens, ni aux pays riches qui eux, les produisent eux-mêmes. Quant à notre marché intérieur, il doit être aussi entendu que nous n’aurons jamais, ni l’argent, ni la nécessité, ni même tout simplement le temps, de consommer tout ce qui devrait l’être, pour que puisse être absorbé le volume considérable de biens et de services qui serait alors produits selon ce plein emploi.
Quant aux pénuries indignes et inadmissibles que cependant, nous subissons encore, telles que la question du logement, elles constituent les conditions de la survie même d’un marché, étant entendu que si tout le monde se trouvait enfin correctement logé, il n’y aurait tout simplement plus de marché, sinon résiduel, ni du logement, ni de la construction, ce qui ne serait pas de nature à améliorer celui de l’emploi.
Il est d’ailleurs manifeste à ce sujet, que ce problème du logement résulte pour une très large part, du fait que le marché organise les conditions de pénurie nécessaires à sa survie, dans un pays où il existe en fait déjà, davantage de logements vides que de sans abris ou de mal logés.
Ainsi, l’incohérence totale de la situation dans laquelle nous sommes plongés, réside dans le fait que la “satisfaction”, tant de l’utile que du futile, nécessaires l’un et l’autre à notre existence, constitue l’ennemie du système par le moyen duquel nous tentons d’y accéder.
C’est l’impasse !
Tel qu’il est, ce système ne nous permettra jamais, ni de parvenir à la pleine satisfaction de nos besoins, car il n’est pas fait pour cela, ni de revenir au plein emploi, car il n’a pas besoin de cela.
Pour se convaincre de ce dernier point, il faut prendre conscience que concernant la production agricole par exemple, il y a encore quelques décennies seulement, cette activité fournissait près de 40% des emplois. Aujourd’hui, 2% seulement de la population de ce pays, les agriculteurs, suffisent à faire vivre la totalité de celle-ci, et il est prévisible que des gains de productivité aussi spectaculaires que ceux-là, vont se produire dans les autres domaines. Qu’auront donc à faire dans l’avenir, les 98% qui restent ?
Il n’y a donc bien que par une refonte totale de notre société, que nous pourrons à la fois, soustraire aux lois du marché selon lesquelles elles se trouvent organisées, les domaines dans lesquels persistent des pénuries indignes, et établir dans une “normalité”, ceux de nos concitoyens qui par force ou par choix, demeureront sans emploi, ce qui ne veut pas dire sans activité. Car, là où il convient que nous fassions des avancées qui seront la véritable marque de notre nouvelle société, c’est dans le domaine du “bénévolat”.
L’exemple emblématique de la positivité de cette formule se trouve dans les “restaurants du cœur”, servant chaque hiver près de soixante millions de repas, devenus une véritable institution dont le pays ne pourrait plus se passer, et qui fonctionnent pour l’essentiel grâce aux dons et au bénévolat.
S’il avait fallu financer toute cette opération, les énarques qu’on aurait chargés de cela n’auraient pas manqué de plonger sitôt l’entreprise dans un déficit abyssal, comme ils savent si bien le faire partout ailleurs.
Ainsi, l’autre intérêt du bénévolat, c’est qu’il concourt à soustraire notre société aux carcans des circuits financiers, en allant dans le sens d’une “dé monétarisation” graduelle de celle-ci, dont les crises financières actuelles montrent l’impérieuse nécessité. Il serait donc intéressant de l’utiliser au maximum dans différents domaines, et particulièrement dans les services, et pourquoi pas même, dans des services publics, pour pouvoir donner matière à exercer positivement, afin de conserver un sens à leur existence, à des sans emplois. Ceux-ci, condamnés à demeurer tels, devront bien sûr être pensionnés.
Bien sûr, tout cela nécessiterait pour fonctionner correctement, un état d’esprit général très positif, et un sens non encore atteint de notre responsabilité des uns envers les autres. Mais, c’est de toutes les façons ce à quoi nous obligeront les temps qui viennent, ainsi que l’a prédit Malraux, qui faisait de notre siècle, celui obligé de “religion”, et hors d’acquérir cette mentalité, il n’y a pas grand chose à espérer.
Il y a donc urgence pour nous, d’installer ce débat quant à notre devenir commun, sur la place publique, afin d’en finir avec toutes les sornettes d’une gestion au quotidien, de la médiocrité dans laquelle nous sommes actuellement plongés…
Paris, le 12 juillet 2012
Richard Pulvar
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