Quel syndicalisme agricole ?
Les dernières manifestations d’agriculteurs en colère ont mis en avant l’inévitable FNSEA et la très médiatique Coordination rurale. On a très peu fait état d’un syndicat plus nuancé : la Confédération paysanne.
Il est vrai que notre paysannerie va mal. Tout aussi vrai qu’il est anormal que nos exploitants agricoles sont trop souvent contraints de vendre à perte leur production. Mais on a tort de croire que tous sont confrontés aux mêmes problèmes et que la profession est totalement prolétarisée.
J’ai eu un beau-père paysan dans le Pays de Caux au cours des années 30-70. Avec son épouse, il cultivait une trentaine d’hectares et élevait quelques vaches (ainsi qu’un cochon et un peu de volaille). N’ayant pas mis tous ses œufs dans le même panier, il a réussi à survivre tout en élevant cinq enfants dont l’un est devenu ingénieur, un autre garagiste, l’une institutrice et une autre auxiliaire médicale. L’industrie agroalimentaire n’avait pas encore pris le pouvoir et les agriculteurs étaient encore paysans et pas encore « exploitants ».
Aujourd’hui, bien des exploitants agricoles sont devenus, bon gré malgré, les rouages d’un système agro-industriel qui en fait à la fois des gestionnaires responsables – et endettés – et des exécutants de politiques agricoles qui les dépassent. Quand des multinationales, par exemple, leur fournissent des poussins qu’elles les chargent d’élever et d’engraisser avant de les leur reprendre contre une rémunération imposée, ils ne sont plus paysans mais prestataires de services livrés au bon vouloir de leur employeur.
Et quand ils se croient libres, dans un univers marchand néolibéral mondialisé, ils sont en fait dépendants de coopératives qu’ils contrôlent mal et qui n’ont trop souvent de coopératives que le nom. On les a aussi contraints à se moderniser dans une fuite en avant qui les rendent dépendants du Crédit agricole qui leur a avancé de quoi acheter leurs coûteuses machines ou installations qu’ils ne réussissent jamais à rembourser.
Certes, comme me le fait remarquer l’un de mes amis, fils d’ouvrier agricole, les exploitants agricoles ne vivent pas toujours en-dessous du seuil de pauvreté, comme ils voudraient le faire croire. Ils n’ont, la plupart du temps, pas besoin d’acheter leur lait, leur beurre, leurs œufs, ni leurs poulets, lapins, ni même agneaux cabris, et ils disposent de jardins leur procurant légumes et fruits… Ils possèdent souvent une vaste maison où ils résident, avec parfois des logements voisins, en pleine propriété, pour loger leurs domestiques, voire en faire des gîtes de vacances.
Certes, les hectares de terre dont ils sont propriétaires ne sont que la condition de l’exercice de leur métier mais ils n’en constituent pas moins un patrimoine…
En fait, on a tort de mettre tout le monde agricole dans le même sac : un petits éleveur du Massif Central, par exemple, n’a pas grand-chose à voir avec un gros producteur de céréales de la Beauce. Et de ne faire état que des plus bruyantes organisations comme la FNSEA (et son clone le CNJA) ainsi que la plus récente Coordination rurale.
On peut d’ailleurs se demander si la majorité des paysans sont bien représentés par un gros céréalier de Seine-et-Marne, propriétaire de 700 ha répartis en plusieurs sociétés au sein d’une holding (notamment pour payer moins d’impôts et être mieux subventionné) – cf « Complément d’enquête » du J 29 mars) mais aussi président du conseil d’administration d’un géant de l'agro-industrie aux neuf milliards de chiffre d'affaires en 2022. Peut-on être tour à tour paysan, leader syndical et businessman ?
Si les écolos en font parfois un peu trop en matière de défense de l’environnement, il semble, selon notamment « Complément d’enquête », que, pour sa part, la FNSEA se préoccupe plus des profits des marchands de pesticides que de la santé publique et notamment de celle des agriculteurs exposés aux molécules toxiques.
Les radios et télévisions seraient bien inspirées d’interroger davantage un syndicat agricole qui ne rassemble certes que 20% des votes pour les chambres d’agriculture (mais à quasi égalité avec la Coordination rurale, loin des 55%de la FNSEA). Ce syndicat se dit « soutenir une agriculture créatrice d’emplois, de dynamique des territoires, d’une alimentation de qualité et respectueuse de son environnement. C’est pourquoi, déclare-t-il, ses militants sont mobilisés au quotidien, sur leurs fermes, dans leurs départements, au niveau national et international, contre les dérives d’une agriculture industrielle et contre les politiques qui la soutiennent ».
Défenseurs d’une agriculture paysanne, ses militants défendent un projet « agro-écologique » axée sur les principes suivants :
- « Autonomie, pour des paysans qui décident au quotidien sur leur ferme ;
- Maîtrise et répartition, pour des productions cohérentes avec les besoins et les potentialités des territoires ;
- Emploi, pour des fermes nombreuses et à taille humaine qui faciliteront de nouvelles installations ;
- Développement local, pour des paysans ancrés dans les dynamiques de leurs territoires et acteurs de leur économie ;
- Qualité, pour une alimentation avec des produits sains, savoureux, non-standardisés et accessibles ;
- Environnement, pour une nature préservée, condition indispensable du travail des paysans et de l’avenir de l’Humanité. »
Leur succès serait peut-être un moyen d’empêcher les affrontements stériles entre ruraux et citadins et les trop nombreux et déplorables suicides d’agriculteurs désespérés de ne pouvoir sortir la tête de l’eau.
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