Quelle identité pour les Français d’aujourd’hui ?
Quand Fernand Braudel publia “l’Identité de la France”, à partir de 1986, son livre ne fit pas polémique. Mais quand Nicolas Sarkozy, en 2009-2010, initia un colloque sur le sujet, ce fut une levée de boucliers. Le sujet était tabou car il ne fallait pas mêler sa voix à celle du Front national.
"L'interrogation à laquelle nous devons répondre est à la fois simple et difficile : qu'est-ce qu'être français ? Elle taraude notre peuple car le doute dont nous parlions s'est installé. Et parce que ce doute s'est nourri de phénomènes qui, comme les migrations, ont créé une forme "d'insécurité culturelle" et qui conduit à se demander ce que signifie être français. Il me semble qu'être français, c'est d'abord habiter une langue et une histoire, c'est-à-dire s'inscrire dans un destin collectif. (...) Etre français, c'est aussi une citoyenneté définie par des valeurs "liberté, égalité, fraternité, laïcité" qui reconnaissent l'individu rationnel libre comme étant au-dessus de tout. "
E. Macron à L'Express, déc. 2020
Le problème, il y a dix ans, c’était déjà la place de l’immigration – et plus spécialement de l’immmigration maghrébine – dans notre pays et celle de l’Islam dans notre société.
Les considérations politiques l’ont alors emporté sur la réflexion historique, géographique et philosophique. Et pourtant, n’était-il pas légitime de s’interroger sur ce qui « fait nation » et sur ce que signifie aujourd’hui « être français » ?
« Je crois que le thème de l'identité française s'impose à tout le monde, qu'on soit de gauche, de droite ou du centre, de l'extrême gauche ou de l'extrême droite, déclarait Fernand Braudel au journal Le Monde, en 1985, peu avant sa mort. C'est un problème qui se pose à tous les Français. D'ailleurs, à chaque instant, la France vivante se retourne vers l'histoire et vers son passé pour avoir des renseignements sur elle-même. Renseignements qu'elle accepte ou qu'elle n'accepte pas, qu'elle transforme ou auxquels elle se résigne. Mais, enfin, c'est une interrogation pour tout le monde.
Et d’ajouter : « L'identité française relève-t-elle de nos fantasmes collectifs ? Il y a des fantasmes et il y a autre chose. Si j'ai raison dans ma vision de l'identité française, quels que soient nos pensées, nos fantasmes, il y a une réalité sous-jacente de la culture, de la politique de la société française. J'en suis sûr. »
Pour J.-P. Chevènement, interrogé en octobre 2009, « La France est une identité d'adhésion, où chacun vient avec son cœur. »
Pour Marc Ferro, interrogé en 2017, « L'identité de la France, dans le regard des autres, c'est surtout, me semble-t-il, notre histoire, notre "odyssée" historique. D'où l'abondance des interrogations et des disputes nourries qu'elle suscite dans notre discussion publique. Pour les uns, [...] l'identité de ce pays, c'est d'abord le récit national ; pour d'autres, c'est le produit d'une démarche scientifique et réflexive exigeante, appuyée sur les sciences humaines.
Mais les deux exercent leur fonction. Les sciences humaines et sociales, bien sûr, ne dédaignent pas le roman national, mais elles ne croient pas que celui-ci dise pour autant la vérité. Même si l'image de "la Grande Nation" a moins d'éclat aujourd'hui, même si elle reflète un certain désenchantement, la France reste un exemple qu'on interroge dans de nombreux pays, comme l'Amérique latine ou le Canada. Elle semble à la fois moins exceptionnelle et plus observable à la lumière d'une lucidité dépassionnée. »
Quoi qu’il en soit, la question se pose avec de plus en plus d’acuité. Et ne pas tenter d’y répondre de manière dépassionnée, c’est laisser le champ libre aux « extrêmismes identitaires » qui veulent rejouer « Charles Martel à Poitiers ».
Pour ma part, vieil homme né avant la deuxième guerre mondiale, j’ai la nostalgie de la France des clochers, si bien que je suis déboussolé quand, débouchant du métro à Toulouse, derrière le Capitole, j’ai l’impression de me retrouver à Alger à la fin des années cinquante ! Je sais toutefois que la France d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier et que l’immigration récente modifie ipso facto notre identité. Une immigration qui n’a d’ailleurs pas toujours été spontanée. Les employeurs français sont allés pendant des années recruter leur main d’œuvre en Afrique, après l’avoir recrutée en Italie, en Pologne, en Espagne...
Jadis, les immigrés européens, après avoir été quelquefois mal accueillis – on les accusait de manger le pain des Français ! – se sont plutôt bien intégrés. Il faut dire qu’ils venaient de pays de culture chrétienne et que leur intégration ne posait pas de gros problèmes, même pour les Juifs qui se sont de tous temps adaptés aux pays où ils étaient condamnés à vivre. Quant aux asiatiques, leur discrétion leur a permis de s’intégrer sans se couper complètement de leur culture originelle.
La donne a changé avec l’arrivée des musulmans. Pas immédiatement : les premiers arrivants, imprégnés de soumission colonialiste, se sont faits invisibles. Ce sont leurs descendants qui ont de plus en plus souvent recherché à renouer avec leurs racines, fantasmant ainsi une identité originelle – à la grande déception de ceux qui, retournant au pays de leurs ancêtres, se retrouvaient considérés, à juste titre, comme des étrangers. Un certain nombre d’entre eux se sont intégrés, qu’on peut voir au cinéma, à la télévision ou dans la vie courante. Mais combien sont restés, à tort ou à raison, au fond des « quartiers » où on les a parqués, à vivre d’expédients ou d’assistance sociale !
Certains ont voulu magnifier la diversité culturelle dans laquelle ils voyaient une occasion d’enrichissement. Cela aurait pu marcher si l’empilement des cultures se fondait sur un socle commun, si on ne cherchait pas à renier le passé de la France qui a gagné de haute lutte le statut de « république laïque et sociale ». Hélas, de nos jours, certains se vautrent dans une interminable repentance et notre pays se déchire culturellement entre ceux qu’on juge dominants et ceux et celles qui se sentent dominés. L’école ne peut plus jouer son rôle fédérateur. Les tendances centrifuges sont devenues les plus fortes, accentuées par des influences étrangères.
Qu’on le veuille ou non, notre pays ne se situe pas en « terre d’Islam » et n’est pas une simple juxtaposition de communautés. Notre culture a été fortement marquée par notre passé chrétien, même si nos « racines » puisent également dans bien d’autres terreaux. Nous ne travaillons ni le dimanche, ni le jour de Noël, ni à l’Ascension, ni le 15 août... Nous comptons les années à partir de la prétendue date de naissance du mythique Jésus-Christ. Cependant le nom de nos jours ou de nos mois de la mythologie greco-romaine et notre numération vient des Arabes. L’Islam y a toute sa place comme religion, au même titre que les autres, mais un Islam modernisé et adapté à notre pays. Un Islam qui, comme le suggère Faris Lounis, universitaire et journaliste algérien, saurait « accéder à la majorité », c’est-à-dire « avoir le courage, avoir une attitude héroïque quant à la réclamation du droit de lire et de comprendre librement le Coran – historiquement et philologiquement – et la religion islamique sans aucune pression ou recommandation de la doxa sunnite qui dessine les contours du bien et du mal, de ce qu’il faut comprendre et ne pas comprendre, du comment il faudrait croire, du comment faire habiller sa femme et ses filles, etc. Pour lui, « être moderne, c’est trouver une ligne de fuite par laquelle la raison pourrait s’introduire dans un immense océan de déraison. Et c’est là que la religion sera sauvée par la laïcité, car celui qui se dirigera vers elle sera motivé par une foi bonne et pure, ni contrainte, ni craignant les feux de l’enfer, ni en quête de légitimation politique et sociale ».
Sans renier notre passé ni refuser les apports extérieurs, il serait temps de renouer avec une stricte laïcité qui permette à chacun d’être soi-même sans se séparer des autres. Nous pourrons alors nous sentir membres d’une même nation et, pour certains, prendre notre place dans la lutte des classes plutôt que dans des guerres de religion.
Jean MOUROT
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