Quelles sont les chances de réduire le déficit budgétaire ?
L’idée de réformer n’a pas bonne presse parmi les salariés : la dernière réforme, celle de la retraite n’a pas laissé que des bons souvenirs, en attendant la prochaine concernant l’indemnisation du chômage… Par contre, elles sont bien accueillies chez les patrons qui les attendent, voire les suscitent. Donc pas de réformes qui iraient à l’encontre les intérêts des secteurs économiques et financiers, sanctuarisés. Quant à des réformes de structures pour l’Etat et les collectivités locales, il est permis de rêver…
Par conséquent, pour combler le déficit de 5.5% de 2023 on aura donc recours au rabotage qui se concentrera sur les particuliers, d’une manière ou d’une autre. Alors on rabotera les indemnités de chômage, et on dégradera le transport des malades en VSL. Un petit coup aussi sans doute sur certaines niches fiscales, et on augmentera les franchises médicales pour les hauts revenus, tout en proclamant qu’on « n’augmentera pas les impôts « pour ne pas piocher dans la poche des français », comprenne qui pourra…
On ne règle rien par conséquent et on attend simplement que la croissance reparte, que cela créé des emplois et des recettes fiscales grâce au fameux « ruissellement » : toujours le même refrain asséné par Bruno Le Maire qui semble marqué par un biais d’optimisme qui consiste à penser que les choses vont s’arranger alors que les crises se succèdent.
La limite du discours est cependant atteinte parce que l’inflation, la shrinkflation ou la cheapflation et les taux d’intérêts élevés ont déjà fait beaucoup de ravages chez le consommateur qui réduit drastiquement ses dépenses, ou reporte des achats d’équipement. On ne peut donc pas se satisfaire de la seule demande pour relancer la croissance.
Il serait donc urgent d’élargir le champ de la réforme
Réformer, c’est d’abord faire le bilan des subventions diverses et variées, des dégrèvements de cotisations sociales, des baisses d’impôts, concédés aux entreprises ou aux rentiers et en mesurer l’efficacité sur notre économie. On découvrira certainement les limites de ce genre de politique qui enrichit surtout ceux qui en bénéficient et qui préfèrent sans doute conforter leur rente plutôt que d’investir dans des activités créatrices d’emplois et arrêter le discours qui consiste à dire que les aides évitent des suppressions d’emplois à défaut d’en créer. Les baisses d’impôt sur le capital devraient donc être conditionnées au financement d’actions nouvelles, productives.
Une seconde piste de réforme concerne l’organisation décentralisée du pays et la manière dont les élus locaux utilisent l’argent public qui provient de dotations de l’Etat ou du reversement d’impôts et de taxes et qui servent in fine à faire des investissements qui profitent aux entreprises bénéficiant par ailleurs d’aides de l’Etat… Mais ne s’intéresser qu’à ce circuit serait passer à côté d’une source importante des dépenses des collectivités territoriales, à savoir le trop grand nombre de prescripteurs de dépenses dû à la multiplicité de ces strates ainsi qu’à toute la logistique humaine et matérielle induite par ce trop-plein d’élus. On doit avoir comme objectif de supprimer une strate (le Conseil Départemental en redonnant à l’Etat, qui est responsable de la situation sociale du pays, l’action sociale, compétence qui représente environ 70 % des dépenses et en donnant aux régions les compétences collèges et infrastructures routières).
Troisième piste, la recherche d’efficacité des services de l’Etat avec ses multiples « succursales » (Agences, Etablissements publics et autres structures qui peuvent parfois servir à recaser d’anciens ministres ou des recalés du suffrage universel…), soit en redonnant aux Ministères leurs compétences de base soit en taillant dans les structures ministérielles les services qui font double emploi avec ces « succursales ».
Quatrième piste, la réforme complète de la fiscalité, en particulier l’impôt sur le revenu (barème, niches fiscales) afin d’y intégrer les revenus du capital (loyers, intérêts, dividendes et plus-values) dont on ne comprend pas pour quelle raison ils sont taxés différemment, les revenus salariaux et ceux du capital participant à la constitution du PIB. (Patrick ARTUS, économiste en chef de Natixis)
Analysons maintenant les freins à cet élargissement du domaine de la réforme
1 – le modèle économique politique du pays est celui du ruissellement qui plait bien aux secteurs économique et financier puisqu’on voit bien qu’ils peuvent aisément le contourner au profit de l’augmentation de la rente. Par ailleurs, l’Etat impécunieux est un Etat faible et peu capable, s’il se trouvait qu’il en ait envie, d’imposer un changement de règles aux entreprises qui n’hésitent jamais à utiliser le chantage à la suppression d’emplois afin d’obtenir une énième baisse d’impôts (les impôts de production actuellement).
Afin d’obscurcir le paysage pour obtenir que rien ne change, on convoque quelques supplétifs afin de masquer les ravages du néolibéralisme qui nous est imposé :
- Le pauvre petit agriculteur pour justifier des aides de l’Etat (avec nos impôts) alors que la solution des prix agricoles réside avant tout dans le profit réalisé dans les filières de transformation agricole avec l’aimable complicité de la FNSEA.
- Les « pauvres petits investisseurs immobiliers » qui ont acheté un « petit » appartement pour compléter leur « petite » retraite, et qui n’ont pas les moyens de faire des travaux d’isolation, et revoir à la baisse l’ambition gouvernementale et permettre à nouveau la location de passoires thermiques.
- Les « classes moyennes », concept très flou, pour dire qu’on va leur baisser l’impôt sur le revenu avec comme artifice de communication, l’espoir que beaucoup de ceux qui sont soumis à cet impôt s’y reconnaitront et se détacheront du reste des français en étant valorisés.
On le voit, le monde merveilleux de l’entreprise a beaucoup de nécessiteux dont il est utile de « recueillir la parole » avant de prendre des décisions qui pourraient leur être néfastes et surtout nuire à leurs intérêts tout en faisant croire au monde du travail qu’il pourrait être possible cependant qu’on leur jette quelques miettes.
C’est compliqué, tout ça, et surtout difficile à expliquer aux Français qui ne vont rien y comprendre. C’est du domaine des experts, les « sachants » en particulier les économistes et autres journalistes dévoués à la « cause ». Difficile donc de faire Nation, de parler du consentement à l’impôt, voire de consentir à la réforme du modèle social français. C’est donc camp contre camp que cela se passe, sachant que dans le camp de l’économie et de la finance, outre les facilités offertes pour l’optimisation fiscale (qui permet de minorer les impôts à payer en France), on possède l’arme ultime, celui de la délocalisation des activités à l’étranger, menace un peu foireuse toutefois en cette période d’incertitudes liée aux conflits actuels et à la pression sur le trafic maritime mondial.
2 – Dans le camp d’en face, celui des salariés, les manœuvres de division créent des clivages artificiels basés sur la peur de se faire remplacer dans son emploi à partir d’un certain âge, on suscite la jalousie, le maintien de clivages (hommes/femmes). En l’absence de cohésion liée également au chantage à la fermeture d’activités, on fait donc le gros dos en se permettant parfois de regarder de travers les « Fonctionnaires privilégiés » qui sont les mêmes que ceux dont ils se moquaient il y a trente ou quarante ans avant que les grilles salariales du privé ne soient indexées sur le SMIC… Ce monde du salariat, qui a fait le constat que le ni gauche, ni droite était une escroquerie aurait tendance aujourd’hui (au nom du « on n’a pas encore essayé ») à alimenter les troupes des partis populistes ce qui donnera en fait un délai supplémentaire pour parfaire l’influence du monde économique et financier sur la marche du pays.
3 - Autre catégorie très clivante, qui fait office de repoussoir (plus dans le camp des salariés que dans celui de l’entreprise qui sait s’en accommoder), celles des « assistés » qui vivent grassement, bien sûr, sur le dos des autres, à savoir les chômeurs, les malades, les handicapés qui perçoivent des allocations « à rien foutre », auxquels on peut ajouter, selon le discours les qualificatifs de fraudeurs, le summum étant atteint lorsqu’il s’agit d’un immigré.
Voilà pour les « forces en présence » mais le tableau serait incomplet si nous ne parlions pas d’une autre catégorie très importante et dont le rôle est injustement méconnu, la classe politique qui met en scène le récit qui précède, légifère, adopte les normes qui plaisent aux industriels, et vote tout ce que le gouvernement propose en matière de restriction sociale entre deux lois dites « sociétales ». On a déjà vu que les clivages entre politiques étaient déjà gommés ce qui a grandement facilité les reniements et donc les transferts entre partis pour participer à un gouvernement « ni gauche, ni droite » et favorisé la montée en gamme de partis populistes qui ne tarderons pas à faire leur « coming-out » pro patronal après être arrivés au pouvoir.
Pour que le système puisse s’implanter durablement, le monde politique a déployé un immense paravent basé sur l’électoralisme, avec des collectivités locales nombreuses, au point de rendre le dispositif illisible pour le citoyen moyen, et des « opérateurs de l’Etat » chargés de préserver le pouvoir central,
On imagine bien que tout ce dispositif favorise la déresponsabilisation, créé de faux débats qui entretiennent l’illusion populaire d’une vie démocratique riche, illusion construite par un lobby peut visible mais très actif, celui des élus et des partis politiques.
Il serait injuste de ne pas parler également des corps de hauts fonctionnaires de l’Etat et des Collectivités territoriale qui s’opposeront le moment venu à toute réforme qui pourrait nuire à leur prestige et au déroulement de leur carrière et feront bloc avec des élus qui pourraient être concerné par la suppression d’un niveau de collectivité territoriale.
Pour conclure, quelques citations qui vont bien avec cet article :
- Le suffrage universel peut conduire à la dictature des imbéciles lorsqu’il n’est pas assorti d’une instruction publique éclairant les esprits (Condorcet)
- « Le système ne choisit pas les meilleurs, il choisit les plus conformes, et c’est dangereux ». (Albert Jacquard)
- Rien n’est plus difficile à prendre en main, rien n’est plus délicat à guider, rien n’est plus incertain dans ses résultats que de chercher à promouvoir le changement, l’introduction d’un nouvel ordre des choses. Ceci s’explique par le fait que ceux qui pourraient gagner au change en identifient mal les bénéfices, alors que ceux qui ont à y perdre en connaissent exactement les conséquences et sont prêts à tout pour les éviter. (Machiavel)
100 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON