Qui était vraiment Perceval ?
Extrait de mon livre Le roi et le graal.
Perceval est le fils de la reine veuve, son père étant mort au combat. Selon les récits, il a parfois une sœur nommée Dandrane et plus rarement deux frères, morts eux aussi en combattant. Au tout début du roman, Chrétien de Troyes, nous raconte que la reine veuve s’est exilée dans une forêt pour que son fils échappe au monde des chevaliers de crainte qu’il ne meure lui aussi. Et surtout, Perceval est au cœur d’un drame : celui de la succession du roi pêcheur, dont le royaume est devenu gaste, en absence d’héritier. Et bien sûr, nous savons qu’en ne posant aucune question lors de la cérémonie du graal, il échouera à succéder au roi.
Si Chrétien de Troyes ne précise pas les liens de parenté avec d’autres personnages, pour Wolfram d’Eschenbach, Parzival est le fils d’Herzéloïde, une des sœurs d’Amfortas, le roi blessé. Historiquement, cela signifierait qu’il pourrait s’agir d’un neveu du roi Thorismond. Mais il faut bien reconnaitre que pour le coup celui-ci nous demeure inconnu et que pour une fois la piste généalogique ne nous mène nulle part. Il nous faut donc tenter une autre approche : rechercher si parmi les reines gothes, nous en trouvons une qui aurait été veuve avec un jeune enfant. Et il ne faut pas longtemps pour s’intéresser à la reine Amalasonthe qui posséde plusieurs caractéristiques de la reine veuve. Voilà ce qu’en dit Bruno Dumézil dans son livre Les barbares :
Fille de Théodoric, roi des Ostrogoths en Italie, et d’Audoflède, sœur de Clovis, roi des Francs, Amalasonthe est probablement né autour de 493, après la conquête de l’Italie par Théodoric. Au contraire de ses deux sœurs, Ostrogotho Areagni et Theodogotha, qui avaient été mariées à Sigismond, fils du roi des Burgondes, et à Alaric II, roi des Wisigoths, Amalasonthe fut gardée par son père à Ravenne et autour d’elle Théodoric essaya de construire une ligne de descendance amale en Italie. Elle fut en effet mariée au Wisigoth Eutharic Cillica en 515, en qui Théodoric avait probablement pensé voir son successeur : Eutharic fut même célébré comme consul en l’an 519 quand il fut adopté per arma par l’empereur d’Orient, Justin. Cette procédure montre que, parmi les possibilités de succession que les royaumes barbares pouvaient essayer d’expérimenter après la première génération de rois soldats, il y avait tout à fait la possibilité de transférer la royauté par le mariage avec une femme royale. Amalasonthe eut, pendant cette union, deux enfants, Athalaric (né en 516 ou 518) et Matasonthe (née en 518 ou 520). Mais Eutharic mourut en 522, avant Théodoric lui-même (526), et ce plan soigneusement projeté fut annulé. Il n‘est pas clair dans les sources, si la décision de nommer comme son successeur le mineur Athalaric (avec sa mère Amalasonthe comme invisible régente) était la seule possibilité explorée. Il serait bien possible que Théodoric aurait aussi pensé à Tuluin, un des plus prestigieux fonctionnaires et soldats de sa cour puisque le roi lui avait donné en mariage une femme amale, comme nous le dit Cassiodore dans ses Variae. A la mort de Théodoric, en 526, en effet Athalaric fut choisi comme roi en Italie, sous la surveillance informelle de sa mère veuve, et Tuluin reçut la charge prestigieuse de Patricius Praesentalis, c’est-à-dire de chef de l’armée.
Donc pour résumer : Amalasonthe était veuve, elle avait un fils et une fille, et son défunt mari ayant été pressenti pour succéder à Théodoric le grand, c’est finalement son fils qui fut choisi pour devenir roi. Nous nous trouvons donc dans une situation critique de succession royale, à l’identique de celle racontée dans le roman. Chrétien s’est donc inspiré d’un fait historique réel pour créer le ressort dramatique de son œuvre : en l’occurrence, celle des difficultés de la dynastie sacrée des Amales à trouver un successeur au roi des Ostrogoths Théodoric le grand. Et effectivement, les Amales disparurent à tout jamais dix ans plus tard, en 536 après l’assassinat de son neveu, le roi Théodat.
Mais, ce n’est pas tout, car dans le même ouvrage, une précision importante est apportée :
Amalasonthe régna donc au nom de son fils, jusqu’à sa mort en 534. La période du règne d’Athalaric est marquée, dans l’historiographie, par le récit de Procope, qui insiste sur le conflit culturel qui aurait opposé Amalasonthe et les Goths : la première voulait pour son fils une éducation littéraire, fondée sur les valeurs romaines, tandis que les chefs goths auraient voulu que le jeune roi maitrise les armes et la culture guerrière.
Ainsi, il se trouve qu’Amalasonthe, à l’identique de la reine veuve du roman de Chrétien de Troyes souhaitait que son fils échappât au monde des chevaliers ! C’est donc ce que révèle Procope de Césaré dans son livre Les guerres de Justinien. Et comme nous l’avons vu, les Goths étaient visiblement partagées en deux camps : d’une part, ceux qui souhaitaient se fondre dans la civilisation romaine et ceux qui désiraient conserver leur identité. On sait d’ailleurs que cette divergence de point de vue coutât la vie à certaines personnes dont le roi Athaulf et son jeune fils. Même si Amalasonthe ne se réfugia sans doute jamais dans une forêt, on peut considérer que Chrétien s’est inspiré d’une problématique historique pour construire une des intrigues de son roman, à savoir que la reine voulait donner à son fils une éducation romaine loin de celle qu’aurait pu lui dispenser les cavaliers Goths.
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