Qui se souvient de Monsieur Bill ?
Voici un bon exemple d'un fait divers hyper-médiatisé puis tombé dans l'oubli. Monsieur Bill est pourtant l'illustration parfaite de la transposition de la fiction à la réalité, ou comment un jeune bourgeois du 16ème arrondissement s'est cru en pleine série noire et tua deux personnes.
Qui se souvient de Monsieur Bill, star des médias dans les années 60, guillotiné pour le meurtre d'une prostituée et d'un pompiste à 22 ans ? Je l'ai découvert dans le livre d'Alphonse BOUDARD "les grands criminels", puis j'ai acheté le livre de Marcel HAEDRICH "le vrai procès de Monsieur Bill". Le mieux serait de posséder les innombrables revues dont il a fait la couverture. Si quelqu'un les a, qu'il veuille bien m'envoyer des infos sur cette histoire. Françoise SAGAN, CLOUZOT, BUFFET étaient présents à son procès. Pour HAEDRICH, pas de doute, Georges RAPIN était fou, retardé mental, et son livre est également un pamphlet contre les journaux, accusés de rendre la justice à la place des tribunaux. Comme quoi, cela ne date pas d'hier.
Une photo du film "Touchez pas au Grisbi" ne saurait mieux illustrer l'histoire de Bill. Celui-ci rêvait à coup sûr de ressembler au beau Monsieur Max, joué par Jean GABIN. Il a même copié son nom. Mais Monsieur Bill tient plus de Riton, le copain boulet qui se fait emballer comme un cave.
Le personnage de Georges RAPIN n'est pas si monolithique, puisqu'il sait se dédoubler pour séduire Nadine LEDESQUE, modeste apprentie-coiffeuse de 16 ans dont les parents sont concierges. Pour elle, il est un honorable professeur au Lycée BUFFON. L'argent coule à flots, et Nadine n'est pas difficile à éblouir. Dans son autre vie, il achète également un deuxième bar, le Porto, qui sera fermé du jour au lendemain. Georges RAPIN disparait alors pendant un mois et revient le jour de la fête des mères chez ses parents. Il semble vouloir se ranger et prend des cours de comédie chez Madame BAUER-THEROND.
Le 30 mai 1959, Monsieur Bill entraine Dominique en forêt de FONTAINEBLEAU sous un faux prétexte. Il lui tire dessus à plusieurs reprises, asperge son corps d'essence et met le feu, en prenant bien soin de verser de l'essence sur le bas-ventre et les pieds, car la malheureuse avait dit qu'elle avait été opérée d'un ovaire et qu'elle avait un cors aux pied. Il se rend ensuite chez Nadine, à qui il confie sa chemise pour la nettoyer et couper les poignets ensanglantés. Nadine nettoie le revolver et la valise qui sent l'essence. Il demande à Nadine de lui fournir un alibi et passe la nuit avec elle.
Nadine LEDESQUE et Mme RAPIN
Les policiers retrouvent la trace de Dominique grâce à ses escarpins, des talons aiguilles vendus à PIGALLE. Du SANS-SOUCI à Monsieur Bill, il n'y a qu'un pas, et Georges RAPIN est retrouvé avec son immatriculation. Le commissaire CHAUMEIL n'est pourtant pas convaincu quand il débarque Boulevard St GERMAIN, et que la domestique lui ouvre la porte. En garde à vue, RAPIN se tait, il pense que les policiers n'ont rien, mais a oublié son cher ami GRANIER, à qui il a trouvé malin non seulement de lui faire part de ses projets de liquider une fille, mais aussi de lui confier son flingue et le couteau à cran d'arrêt de Dominique.
GRANIER, entendant la découverte du corps de Dominique en forêt, apporte les objets au commissariat. Monsieur Bill balance tout. Nadine est incarcéré pour faux témoignage. Reçu par le Juge d'Instruction, RAPIN confesse sans qu'on ne lui demande rien le meurtre d'un pompiste en 1958 à VILLEJUIF. Celui-ci, nommé Roger ADAM, ancien déporté, a eu le malheur de traiter de petit con Monsieur Bill. Il lui a demandé de s'excuser sous la menace d'un revolver et lui a tiré dessus. En prison, RAPIN se vante d'avoir tué 11 personnes à un maton. d'où la couverture de DETECTIVE, sur les 13 crimes de Monsieur Bill :
C'est l'heure de gloire de Monsieur Bill, la presse se déchaine, et RAPIN leur en donne pour son argent en prenant des poses que même Alain DELON n'aurait pas osé, l'air impassible et les menottes bien voyantes. Et pourtant, au procès, sans doute lassé du confort spartiate de la prison, Monsieur Bill n'existe plus. Georges RAPIN renie ses aveux et se présente en jeune homme de bonne famille, perverti par PIGALLE et injustement accusé. Ses parents ont les moyens de le faire défendre par Maître FLORIOT qui est obligé de plaider l'innoncence.
Pour ce qui est du pompiste ADAM, RAPIN accuse quatre algériens, clients de son bar, de lui avoir volé son colt alors qu'ils étaient en voiture avec lui. Au président, il dira pour se justifier de s'être accusé du meurtre : "un patron de bar ne dénonce jamais ses clients !". Signe des temps, au procès, seule la mère du pompiste est présente. La compagne du pompiste, mère de leurs trois enfants, n'est pas légitime et n'a pas été invitée.
Pour Dominique, RAPIN accuse un souteneur prénommé ROBERT. Dominique le faisait chanter, et il l'a tuée sous ses yeux. Les deux compères auraient convenu que RAPIN s'accuse du crime le temps pour ROBERT de se mettre au vert. Le scénario classique. La faune de Pigalle défile à la barre et ne se rappelle évidemment de rien. Marcel RAPIN, le père, lui croit son fils innocent, et ergote sur les talents de comédien et les notes de classe de Georges. Il excuse tous les errements de son fils par les ennuis de santé.
Maître FLORIOT s'est réservé son petit effet de surprise lors de l'audition des psychiatres, qui ont eu le malheur de fonder en partie leurs conclusions sur une lettre de RAPIN, entièrement pompée dans le livre "l'ange du suicide" de Maurice ROSTAND. Les experts diront que cela ne change rien et décrivent RAPIN, comme quelqu'un d'in-émotif, à la recherche d'émotions violentes et nourrissant un complexe d'infériorité.
Il faudra une demi-heure aux jurés pour condamner à mort Georges RAPIN. La légende veut qu'il ait refusé la grâce présidentielle de Charles DE GAULLE. Ce qui est sûr, c'est qu'il écrit au Président pour désavouer les démarches de Maître FLORIOT qui essaie d'obtenir sa commutation de peine. Je ne sais pas par contre si la grâce lui a été accordée. Je doute qu'il l'ait refusé, ou alors il était vraiment cintré.
Alors incarcéré, le 26 juillet 1960, lorsque la radio annonce l'exécution de RAPIN, Alphonse BOUDARD rapporte une anecdote :
"J'étais ce matin-là au sanatorium pénitentiaire de Liancourt dans l'Oise. Avec des détenus de toutes sortes....assassins, voleurs, violeurs, escrocs.. dans de grands dortoirs de vingt lits. Innovations pour l'époque, un haut-parleur qui nous diffusait la radio nous annonça l'exécution de Georges RAPIN...mort courageusement précisait l'information. Sitôt, les réactions se firent entendre..."le sale con, il ne l'a pas volé" "une ordure de moins" "bien fait pour sa gueule"etc.Il y avait parmi nous un certain Antoine R..un caïd marseillais qui purgeait une peine de vingt ans de travaux forcés pour le meurtre d'un truand dans un règlement de comptes. Brusquement, il est intervenu avec autorité :
- Taisez-vous.. Y a plus rien à dire. Il est mort en homme !"
Comme épitaphe, il ne pouvait pas souhaiter mieux monsieur Bill."
A lire : - les grand criminels d'alphonse Boudard, le pré aux clercs
- le vrai procès de Monsieur Bill de Marcel Haedrich, grasset
Le SANS-SOUCI existe toujours, à l'angle des rues Pigalle et Douai.
13 crimes selon la couverture de Détective, pas vraiment non. Deux victimes, parce que Georges RAPIN a voulu transposé jusqu'au tragique sa vie rêvée de truand. Né dans une famille bourgeoise dans le 16ème arrondissement, couvé en raison du décès prématuré de son grand frère, son père Marcel RAPIN est sorti major de l'Ecole des Mines, et a été exfiltré en Espagne durant la seconde guerre mondiale, pour le soustraire à l'occupant. Georges RAPIN souffre d'un problème de croissance qui le fait plafonner à 1m45 à 14 ans, âge auquel sa passion pour les armes grandit, à tel point qu'il en ramène à l'école. Le maître-mot de son enfance est de ne pas le contrarier. A 5 ans, au théatre avec sa mère, il la force à partir à l'entracte car il n'y a pas de bonbons. A 17 ans, viré de plusieurs lycées, il commence à travailler. Ses parents essaient de le caser dans des librairies, dont GILBERT JOSEPH, d'où il sera licencié pour avoir été surpris en train de manipuler une arme. Après son service millitaire, il demande à son père de lui acheter un bar, à PIGALLE. Le père cède.
Dans les années 50, l'imagerie truand fonctionne à plein que ce soit par les romans "Série Noire" ou le cinéma, où le film policier règne en maître. PIGALLE est le royaume des vrais hommes, le julot, le micheton en costard qui roule en décapotable, et partage ses journées entre les parties de cartes et les maîtresses. Georges RAPIN a décidé de vivre cette vie. Il achète donc un bar, renommé le bill's bar, se prétend corse, roule en gordini, se promène avec un 7,65 avec la ceinture, et se fait le look adéquat, costard bien coupé, houpette à la zazou, lunettes fumées. Sur les photos d'époque, il est plutôt classieux, n'hésitant pas à prendre la pose l'air impassible, tirant sur une cigarette de ses mains menottées. A tel point qu'il est le sosie d'un autre truand, un nommé VIVIER, guillotiné dans les années 50 pour le meurtre des amoureux du Parc St Cloud, jugez plutôt, Bill est sur les deux photos à droite :
Le Bill's bar ne marche pas, et Georges RAPIN le revend à Georges GRANIER pour 600.000 francs comptant, plus le solde à crédit. Rebaptisé le SANS-SOUCI, le bar devient le port d'attache de Bill, qui fait de GRANIER son confident. C'est là qu'il rencontre Dominique THIREL, Muguette dans le civil, entraineuse de son état, qui devient la maîtresse de RAPIN. Ce dernier décide bien évidemment qu'elle va travailler pour lui, et qu'elle devra cravacher. Sauf que Dominique est déjà maqué à Stello, corse emprisonné à la prison de la Santé pour projection de films pornographiques en appartement. Alphonse BOUDARD émet l'hypothèse dans son livre que RAPIN s'est fait arnaqué. Trop voyant, il a perdu aux cartes près de deux millions de francs, trop caricatural, le cave a attiré les appétits. On lui met Dominique dans les pattes, mais pour qu'elle travaille pour lui, il faut qu'il paye la dîme à l'ancien julot de Dominique, ce que RAPIN fait sans sourciller. Quand Dominique lui signifie son congé, RAPIN comprend qu'on l'a pris pour un cave, et n'a plus qu'à se référer à sa mythologie pour savoir comment punir Dominique. Elle lui a manqué, et le vrai truand sait ce qu'il a à faire.
48 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON