Qui sera digne de vivre ?

Nous épuisons nos ressources d’énergies fossiles. La France de 1789 peut représenter une image crédible de notre futur sans charbon, gaz ou pétrole. Elle avait 28 millions d’habitants, dont environ 80% d’agriculteurs. La noblesse comptait 400 000 personnes (soit un peu plus de 1% de la population). Le clergé, la bourgeoisie, les ouvriers, les artisans et les miséreux fournissaient le reste de la population. Le pain représentait 90% du budget des travailleurs. En ces temps, la famine survenait régulièrement et les disettes étaient presque constantes.
Aucune solution scientifique ou technologique ne résoudra le problème de la raréfaction des ressources. En conséquence, quels sont les devenirs possibles ?
Le plus ‘naturel’ des avenirs découle de la possibilité qu’une fraction infime de la population s’empare du pouvoir et des ressources encore disponibles en faisant plier le reste de la population sous son joug. L’élite, avec ses vastes demeures, ses piscines à vagues, ses parcours de golf, ses jets privés qu’elle doit à ses immenses responsabilités, cette élite fera travailler une très nombreuse domesticité. Absorbée par les règles du paraître, elle passe son temps en réceptions, en séminaires, en conventions, elle va d’exposition en exposition admirer ce qu’elle n’est pas capable de faire. Telle est la manière de vivre noblement, faire des travaux manuels la ferait déroger. Un être ne peut pas vivre au-dessus des autres sans les mépriser. Pour se protéger, pour se donner bonne conscience ! Les inégalités doivent être justifiées dans l’esprit des dominants par un sentiment légitime de supériorité. Les inégalités doivent provenir du mérite, d’une intelligence supérieure, de qualités humaines et non de quelque privilège. « Les Seigneurs adresseront alors leurs commandements aux grands, les grands aux médiocres, les médiocres aux petits, et les petits au peuple. »… et le peuple acceptera son sort convaincu lui aussi de ne pas posséder les dons qu’ont leurs maîtres. Le basculement au tout numérique permettra en plus de bâtir un nouveau monde qui aura en commun avec l’ancien une soif inextinguible de dominer, d’asservir.
Il faut encore déterminer quel sera le type d’Homme le plus digne de vivre, à quoi ressemblera la race des maîtres ?
Les ‘übermenschen’ auront la seule particularité d’avoir réussi. Les surHommes en puissance doivent donc tabler sur des facteurs prosaïques plutôt que sur ceux liés à une quelconque transcendance.
- La naissance. Les lignées familiales garderont longtemps leur importance, ne serait-ce que parce que l’envol initial des plus jeunes est grandement facilité si le nid se situe en hauteur. Toutefois la seule transmission génétique naturelle ne permet pas parfaitement de se mettre à l’abri d’un rejeton ordinaire, médiocre voire dégénéré. L’analyse en laboratoire du matériel génétique est en premier pas pour éviter cet aléa. Mais une collection de gamètes issus d’hommes ou de femmes illustres par leurs performances sportives ou/et intellectuelles sera très vite disponible, mettant à disposition des SurHommes sur mesure. Certains rêveraient de recueillir un fragment de semence d’Einstein ou quelques ovocytes d’Ornella Muti, ils devront se contenter de ce qui est dans le stock… gamètes déjà coûteux toutefois lorsqu’ils sont issus de célèbrités.
- La connaissance. La transmission de maître à élève a toujours constitué le moyen privilégié pour acquérir érudition (et domination). Il était de bon ton de citer de mémoire les sages antiques et de forger un jargon accessible seulement à quelques initiés, quelques privilégiés. Les sciences dites exactes furent longtemps épargnées par ce travers avant d’y succomber devenues plus préoccupées de faire-faire que de faire. Les encyclopédies libres et gratuites (pour l’instant) accompagnées d’une multitude de publications bien documentées permettent de remettre en cause cette façon de faire. N’importe qui muni d’un ordinateur a un nombre d’informations précises infiniment plus grand que n’importe quel lettré. Il n’acquiert pas le savoir mais la puissance. La compréhension des phénomènes demandent du temps et doit laisser place au hasard, à l’intuition. Mais cet aspect n’a aucune importance pour celui qui ne souhaite que gravir le plus rapidement possible les marches de la réussite sociale : pianoter sur un clavier suffit largement pour impressionner le plus grand nombre.
Le mérite. Pour obtenir des saints, il est indispensable de dessiner l’auréole avant de savoir qui va la porter. L’aura c’est cette exhalaison subtile s’élevant d'un corps, une atmosphère immatérielle entourant un être, une institution, une université exceptionnelles, toute manifestation irréelle mais à laquelle on croit, que l’on croit suffisamment pour provoquer, même passagèrement, une bouffée délirante. Pour obtenir cette aura qui attirera l’admiration des foules, il suffit de suivre le mode d’emploi porté au plus haut degré d’achèvement par le PSG : acheter quelques savants — si c’est le domaine de la recherche scientifique qui est visé — mettez des droits d’entrée exorbitants à votre université pour écarter le vulgum pecus, créez des fondations qui distribuent des prix, des nominations, des décorations. Ainsi, vous obtiendrez alors une flopée de génies tous ceints de la divine auréole… et vous pourrez lever des fonds !
La fonction élective. Un dirigeant est normalement en charge de prendre les mesures difficiles mais nécessaires pour le bien commun. Les responsables des démocraties font l’inverse : ils cherchent des compromis boiteux réunissant des égoïsmes catégoriels ou communautaires. L’indécision qui s’installe permet le glissement vers des états privés : un PDG médiatique à sa tête, des directeurs sectoriels compétents, une capitalisation boursière qui jauge la bonne santé du groupe, des emprunts auprès d’investisseurs internationaux pour financer quelques dizaines ou centaines de milliers d’employés répartis dans le monde entier, une monnaie d’échange personnelle. La capacité à réunir des fonds est la pierre angulaire de la création des structures sociétales, les nouveaux dirigeants se passant de l’avis de la multitude.
Bien entendu, une toute autre structure de société peut être envisagée même sans vouloir changer l’espèce humaine pour qu’elle se conforme à ses rêves, la plus crédible est celle associée à la fonction publique. Le travail n’est pas seulement un moyen d’obtenir un salaire, c’est aussi marquer une appartenance sociale avec ses valeurs, ses codes, son système hiérarchique, ses modes d‘évaluation, ses objectifs de vie. La cupidité ne peut pas mener à une quelconque sobriété heureuse. Par contre, des entreprises publiques (La Poste, la SNCF, la RATP, EDF, GDF…) ont montré qu’elles étaient capables d’égaler les meilleurs de leur secteur tout en offrant un cadre respectueux des individus, une stabilité de l’emploi, une préoccupation constante d’un cadre fourni par l’intérêt général. Il en est évidemment de même de la fonction publique hospitalière, de l’éducation nationale, des organismes de recherche... La frénésie associée au démantèlement de tous ces fleurons par une tranche de la population fascinée par une idéologie qui conduit au pire ne peut s’expliquer que par un désir névrotique de dominer plutôt que de servir. Pourtant, la fonction publique permettrait (peut-être) d’offrir un avenir convenable à tous, loin du mépris des nantis pour les démunis qui s’affiche chaque jour davantage.
Mais plus important que tout, qui de la fonction publique ou du secteur privé peut conduire la transition écologique absolument nécessaire ? Poser la question c’est y répondre ! Si votre secret désir c’est d’accumuler, d’inciter à consommer jusqu’à la nausée, de dédaigner l’artisanat (hors celui qui concerne le luxe), comment guider une population vers une consommation responsable et respectueuse de l’environnement ? Jamais depuis les premières secousses qui ont ébranlé le système lors du premier choc pétrolier du début des années 1970 le secteur privé n’a démontré son savoir faire pour gérer l’incontournable raréfaction des ressources.
Alors qu’il laisse la place à plus compétents.
53 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON