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Accueil du site > Tribune Libre > Qui sont les prêteurs finaux ?

Qui sont les prêteurs finaux ?

Après "otages" et "blocage de la circulation", une nouvelle contribution sur le sens des mots : leurs emplois, leurs  employeurs, et le galvaudage organisé.

On serait tenté de dire que ce sont « les marchés », terme mystérieux pour désigner la « main invisible ». On serait corrigé et invité à choisir un terme plus précis comme « les investisseurs ». Et les investisseurs, c’est vous et moi, tous ceux et toutes celles qui ont un peu d’argent placé, de côté, une assurance vie…Et on est invité à chanter : « Je te tiens, tu me tiens, par la barbichette » (même les femmes). Nous serions tous prêteurs, comme agents économiques, et tous emprunteurs, comme assurés sociaux.

On n’est pas forcé d’adopter ce point de vue qui, pour paraître modéré, n’en est pas moins un peu totalitaire. On peut apporter un peu de contradiction, de polémique et de passion. On peut dire que les prêteurs sont les possédants ; et que les emprunteurs sont les possédés (dans les deux sens du terme) et bientôt les dépossédés. Mais ces termes qui fleurent la lutte des classes peuvent faire mal en entrant dans certaines oreilles qui n’entendent que la modération.

On peut aussi pour élucider ce mystère des prêteurs finaux évoquer quelques points de vue, question de changer de perspective tout simplement. Nous en avons sélectionné deux : l’un sur la dette mondiale, l’autre sur l’Etat social.

 

La dette mondiale et les dettes nationales, publiques et privées.

 « De son propre aveu, Yves Simon, professeur à Dauphine, reconnaît qu’il est difficile de faire la part entre les opérations sur produits dérivés ayant pour objet de couvrir des risques de l’économie réelle et celles ne répondant qu’à des stratégies de spéculation. A la vérité, cet aveu ne lui coûte pas cher, cette ignorance est même des plus opportunes. Elle évite notamment de voir ce que tout le monde pressent aisément, à commencer par les opérateurs de ces marchés : l’écrasante part des transactions spéculatives par rapport aux opérations de couverture « réelle, et dont on peut avoir une intuition à simplement mettre en regard les 43 trillions (milliers de milliards) de dollars du PIB mondial et les 676 trillions d’encours de produits dérivés. »

Frédéric Lordon qui signait ces lignes en 2008[1] n’est pas vraiment un économiste consensuel. On peut le trouver cependant sur le net.[2] Le « professeur à Dauphine » avec qui il se montre insolent ferait autorité sur la question des produits dérivés[3].

Notons seulement le rapport entre le PIB mondial et les encours des produits dérivés : de 15 à 16. Il suffit à jeter un regard différent sur les dettes, leurs taux, ceux qui en détiennent les créances, ceux qui doivent rembourser et ce qu’ils doivent rembourser.

 

L’état social et la mondialisation

C’est le titre d’un article de Jean Fabien SPITZ publié par La vie des idées[4] le 2 novembre 2010.

Il y analyse une idée fort répandue : « La seule solution serait donc de couper dans les dépenses sociales, de réduire les déficits publics qu’elles entraînent, et de restaurer par ces moyens douloureux mais indispensables la compétitivité de notre pays sur le marché mondial. Ce raisonnement est simple et les dirigeants de la droite française ne comprennent pas qu’il y ait encore des égarés pour ne pas en admettre la pertinence et pour défendre des « acquis sociaux » dont le coût entraîne sans cesse plus notre pays vers le bas. »

Cette idée est fondée sur le constat suivant : « au milieu des années 1970, la répartition de la richesse produite entre le capital et le travail s’était considérablement modifiée au bénéfice du second. Progressivement, et non sans pleurs et grincements de dents, on revient à une situation « normale » et les pays qui sauront le plus rapidement et le plus énergiquement tailler dans leurs dépenses sociales sont ceux qui retrouveront le plus vite le chemin de la compétitivité et donc de la prospérité. »

Mais, au sujet de cette « normalité », il remarque que « toute structure de la répartition de la richesse – celle qui résulte prétendument du seul jeu des initiatives privées comme celle qui existe lorsque l’État social est en place – sont le produit d’un système institutionnel, d’un ensemble de dispositions législatives et juridiques qui sont un choix politique et qui ont pour effet de dire quelles sont les capacités des différents acteurs économiques et sociaux à attirer à eux une part plus ou moins importante des richesses produites. »

Et que « la répartition des ressources est un effet de la législation, et il n’existe pas de société sans institutions, pas de société qui ne serait rien d’autre qu’une série d’accords privés sans règle collective contraignante qui en impose le respect. La position par défaut n’existe pas : si les dividendes des actionnaires sont indemnes de toute taxation, cette situation n’est pas plus normale ni plus « naturelle » que la situation inverse dans laquelle les bénéfices sont taxés de manière à financer l’état social. »

Il enfonce même le clou en écrivant : « personne n’est le maître de quoi que ce soit sans le secours d’une règle qui le lui attribue, donc sans une décision collective qui statue que telle personne possède un droit exclusif sur tel élément de la richesse produite, et qu’il peut exiger que les autres se soumettent aux conditions qu’il aura lui-même choisies pour leur permettre d’y avoir accès. »

 Et en rappelant que les « biens n’appartiennent pas « naturellement » à ceux qui les ont en mains indépendamment d’une sanction sociale sans laquelle la notion même de propriété n’aurait aucun sens. »

Ce ne sont là que des banalités de base exprimées en leur temps par Adam Smith et Karl Marx (appropriation des biens, lutte de classes, instauration d’un droit sanctionnant une domination, etc…). Mais en ces temps de confusion, notamment intellectuelle, il était bon de les rappeler.

 

Même si, dira-t-on, ce sont là de vieilles lunes. Face à elles, il y a l’innovation, qui fait marcher le monde et qui fait du monde un grand marché. On distingue l’innovation technologique et l’innovation financière, entre autres. Mais on n’a pas assez souligné l’innovation sémantique. Ainsi spéculation  : ce mot du XIV ème siècle était relatif à l’étude, à la recherche abstraite, à la philosophie. Depuis le XVIII ème siècle, il est entré dans le domaine du commerce et de la finance. Ce mot qui avait le sens de perdre son temps en futilités a pris aujourd’hui celui de gagner beaucoup d’argent en un instant. Etonnant, non ?



[1] Jusqu’à quand ? Pour en finir avec les crises financières (Raisons d’agir, 2008)

 


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6 réactions à cet article    


  • Robert GIL ROBERT GIL 7 janvier 2013 16:47

     l’argent créé en dehors de toute vraie production de richesses, s’est émancipé du corps social. Avec les machines qui passent des ordres en quelques microsecondes sans qu’aucun humain n’intervienne, l’argent est devenu asocial au sens où il circule de moins en moins dans le reste du corps social. Il y a alors « sécession » entre les riches et les pauvres ............

    voir :L’ARGENT SANS FOI NI LOI


    • Nuccia Nuccia 7 janvier 2013 18:48

       

           Je ne connais pas cet auteur ( Jean Fabien Spitz ) ; est-il juriste ? 
        Le grand intérêt de ce texte est de rappeler des notions fondamentales sur ce qui relève de la nature d’une part et des lois d’autre part ,décisives dans le débat politique sur la compétition , les inégalités et autres formes de violences attribuées à une prétendue « nature humaine » . D’ailleurs les lois de la nature auraient besoin d’être mieux connues et interprétées par les idolâtres des hiérarchies : on y apprend surtout la complémentarité , l’interdépendance , la solidarité du roc biologique ...
           

      • C.Q.F.D. C.Q.F.D. 8 janvier 2013 08:42

        Oui. Qui est ce Spitz ?


      • foufouille foufouille 7 janvier 2013 20:10

        l’argent reel que l’on peut retirer se limite a 8% (15 pour la nef)


        • Francis, agnotologue JL 8 janvier 2013 11:57

          Bonjour claude bonhomme,

          je trouve cet article aussi intéressant que subtil.

          Je note : « toute structure de la répartition de la richesse ... sont le produit d’un système institutionnel, d’un ensemble de dispositions législatives et juridiques qui sont un choix politique et qui ont pour effet de dire quelles sont les capacités des différents acteurs économiques et sociaux à attirer à eux une part plus ou moins importante des richesses produites. »

          L’expression « Attirer à eux une part des richesses produites » me parait trop connotée pour exprimer la réalité des choses. Plus exactement, c’est l’expression « richesses produites » qui est trop vague, puisqu’il désigne si je ne m’abuse, autant les biens et services que les profits ou plus exactement, les « plus-values ». Encore que, dans le domaine de l’industrie financière, puisqu’il s’agit de spéculation pure dans un jeu à somme nulle on ne peut guère parler de plus-values.

          Ce que je veux dire c’est ceci : par ses prélèvements, l’État ne s’approprie pas une part des richesses produites, mais se réserve le droit de choisir l’affectation de ces richesses. Nuance. Autrement dit, l’Etat est le garant de la collectivité, de la chose commune, de nos biens et propriétés collectifs, par opposition à la privatisation, ce processus rédhibitoire dont le marché est la machine.

          Et puisque vous avez cité Lordon, à mon tour, permettez moi de citer ceci : « De quoi Ubu est-il fondamentalement la figure ? Du despote parasitaire. Avant l’État fiscal, il y a eu la servitude féodale… et après lui il y a la prédation actionnariale. …Quelle est la puissance despotique d’aujourd’hui qui soumet absolument le corps social et le laisse exsangue d’avoir capté la substance de son effort ? Certainement pas l’Etat – dont on rappellera au passage qu’il restitue en prestations collectives l’ensemble de ses prélèvements… – mais le système bancaire-actionnaire qui, lui, conserve unilatéralement le produit intégral de ses captations. » (Frédéric Lordon)


          • claude bonhomme claude bonhomme 8 janvier 2013 16:33

            @JL
            Merci pour votre lecture attentive. Et pour votre citation de Lordon.

            @Nuccia et @CQFD

            Jean Fabien Spitz est un philosophe français 
            http://www.laviedesidees.fr/_Spitz-Jean-Fabien_.html?lang=fr

            http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Fabien_Spitz

            Dans un autre texte, il analyse la notion d’égalité :

            « Faut-il renoncer à défendre l’égalité, sous prétexte qu’elle n’est pas réalisable ? La gauche est tentée de le faire, dans la mesure où elle confond, comme l’a montré G. A. Cohen, ce qui est juste et ce qui est possible. Pour prétendre inspirer l’action et le désir de réforme, la réflexion politique ne doit pas renoncer à l’idéal ou à l’utopie. »

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