Rachida Dati, du rêve à la réalité
Rachida Dati indispose les magistrats, dont, nous dit-on, cinq cent d’entre eux exigeraient des excuses. Cela fait longtemps que le torchon brûle entre la ministre de la justice et les magistrats. Les rancœurs se sont accumulées au fil des mois, et se concentrent médiatiquement sur la justice pénale. C’est effectivement la plus spectaculaire. Tant de choses ont été dites à ce sujet que je n’y reviendrai pas. Mais, je souhaiterais indiquer que la justice civile ne va pas mieux, et qu’il est tout à fait dommage qu’il n’y ait pas davantage de mobilisation sur cette autre justice moins spectaculaire, mais tout aussi importante pour nos concitoyens. Je regrette pour ma part que les syndicats de magistrats et les syndicats d’avocats ne se mobilisent pas davantage sur cette question, d’autant que la ministre de la justice, afin de tenter de répondre à ses adversaires, met à son actif la réforme de la carte judiciaire et la numérisation des procédures, qui permettraient selon elle une célérité incontestable de la procédure. Or, les professionnels de la justice présents sur le terrain, constatent qu’il n’en est rien.
J’exerce la profession d’avocat au tribunal de grande instance (TGI) de Lille, et j’illustrerai ce propos par un exemple, révélateur de ce qui se passe concrètement, loin des déclarations tonitruantes de nos ministres face aux projecteurs et média parisiens.
La justice civile comprend le droit de la famille. À une époque où celle-ci tour à tour éclate, se brise et se recompose en mille constellations, les juges aux affaires familiales y sont massivement requis d’intervenir par un nombre chaque jour plus croissant de citoyens. Ces juges doivent intervenir dans les procédures de divorce bien sûr, mais également les procédures après divorce ou hors divorce qui sont au moins aussi nombreuses, et probablement même plus nombreuses. Il s’agit à titre d’exemple de concubins qui se séparent, et se disputent la garde des enfants, ou la liquidation de l’indivision de leur immeuble commun ; il s’agit d’ex-divorcés qui remettent en cause le dernier jugement sur la résidence des enfants, ou (et) la pension alimentaire due. Il s’agit d’enfants qui sont perdus, et demandent à vivre avec l’un ou l’autre des parents. Ces conflits qui touchent directement à la personne humaine sont souvent sources de très grandes douleurs morales et affectives. C’est la raison pour laquelle il est apparu à juste titre impératif au législateur de donner dans ce domaine aux Français une justice tout à la fois proche et rapide. Pour ce faire, le législateur a prévu cette procédure dite « en la forme des référés ». L’article 1137 du code de procédure civile (D. n°2004-1158, 29 octobre 2004, art 3, 10, et 15) prévoit expressément que les justiciables peuvent, dans les procédures relevant de la compétence du juge aux affaires familiales, saisir le juge dans les formes prévues pour les référés, ou par simple requête remise au greffe. Des formulaires à cet effet sont même disponibles dans un grand nombre de tribunaux. L’article 1138 du code de procédure civile prévoit que dans les 15 jours de la requête, le greffe convoque le défendeur à l’audience par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. Il lui adresse le même jour par lettre simple, copie de la requête de la convocation. L’article 1139 indique que les parties peuvent se défendre seules, même si elles ont la faculté de se faire assister ou représenter par un avocat. L’article 1140 prévoit que la procédure est orale. Il est donc tout à fait incontestable que le législateur a voulu simplifier au maximum le recours à la justice par les justiciables en matière de droit de la famille. L’avocat n’est pas obligatoire, même s’il est conseillé, la procédure n’est pas écrite et les règles en sont donc beaucoup moins contraignantes. Sur le papier donc, c’est très joli. Mais dans la réalité ?
J’ai eu l’occasion, à titre d’exemple, il y a une quinzaine de jours de solliciter une date d’audience au TGI de Lille. Je défendais, je défends toujours, une femme divorcée, dont l’enfant âgé de 13 ans se refuse désormais catégoriquement d’aller chez son père, qui dispose d’un droit de visite et d’hébergement. Le père habite à une centaine de kilomètres de la ville où réside ma cliente. Le père a eu par son jugement de divorce, un droit de visite et d’hébergement un week-end par mois et la moitié des vacances scolaires. Ma cliente ne s’est jamais opposée à ce droit de visite et d’hébergement, estimant qu’il était de l’intérêt de son enfant d’établir un lien solide et durable avec son père. Mais dernièrement les choses se sont dramatiquement compliquées, puisque ce jeune adolescent a brutalement fait savoir qu’il n’était plus question de se rendre chez son père. Cette décision s’accompagne de troubles psychosomatiques. Il s’en rend malade à l’avance. Sa mère prend les choses très au sérieux, d’autant plus qu’il s’agit d’un jeune garçon très discipliné, excellent élève, qui n’a pas pour habitude de faire des caprices. Interrogé, l’adolescent a alors expliqué qu’il n’en pouvait plus du comportement de son père, car ce dernier l’oblige à dormir dans le même lit que lui, l’insulte copieusement à tout propos, lui pose toutes sortes de questions, dénigre violemment sa mère, et s’il ne répond pas dans le sens qui convient à son père, ce dernier donne de violents coups dans les objets. Il a même indiqué qu’il avait été également victime de violences de sa part dans un passé plus lointain, mais qu’à l’époque, il n’avait pas osé se plaindre. Il a donc écrit dernièrement au juge une lettre très polie, très circonstanciée, très touchante, lui demandant de bien vouloir le recevoir. Le législateur a également prévu que l’audition des enfants par le juge soit désormais de droit. En ma qualité d’avocat de sa maman, qui le représente dans cette procédure, j’ai de mon côté sollicité une date en urgence auprès du greffe. Nous étions au début du mois de novembre. Je m’entends répondre qu’il n’y a pas de date possible avant le mois de février !
Or l’adolescent doit aller dans l’intervalle en droit de visite et d’hébergement chez son père les week-ends et les vacances scolaires, notamment pour noël. S’il ne le fait pas, sa mère va être poursuivie pour délit de non présentation d’enfant, et condamnée à de la prison. Il y a donc urgence. N’admettant pas cette date lointaine de février, alors que les textes prévoient un délai de 15 jours maximum, je tente une autre démarche. Je fais une demande auprès de la présidente en charge de la chambre de la famille, et lui demande de m’autoriser à assigner à jour fixe, c’est-à-dire à me permettre d’engager la procédure à une date plus proche, et en tout état de cause avant le mois de février, à 15 jours comme le prévoit le code. Elle vient de me répondre qu’il n’en était pas question, sans d’ailleurs m’entendre, et encore moins l’enfant. Je viens d’écrire aux autorités judiciaires compétentes, et suis en attente d’une réponse. Mais d’ores et déjà, je sais que ces autorités là ne peuvent pas m’expliquer pourquoi le délai de 15 jours prévu par la loi n’est pas appliqué. La réforme de la carte judiciaire a prévu une refonte des tribunaux de grande instance, mais pas avant 2010 ; en supposant même qu’elle soit efficace, dans l’intervalle, les délais continuent de s’allonger dans de grands tribunaux comme celui de Lille. La question est donc posée : y a-t-il en France une véritable politique, une véritable stratégie judiciaire pour permettre au plus grand nombre de citoyens d’être jugés dans les meilleurs délais ? Beaucoup ne le pensent pas. En tout état de cause, en ce qui me concerne, je ne crois qu’à ce que je vois (comme Saint-Thomas).
Quant à la numérisation des procédures, elle commence tout juste à faire une entrée très timide et hésitante dans les tribunaux. Au TGI de Lille, par exemple, il est possible de correspondre avec les magistrats par voie électronique, mais essentiellement pour avoir les calendriers de procédure. De plus, elle coûte cher, puisqu’elle nécessite une installation informatique spéciale, pour assurer une sécurité maximale dans les échanges d’informations entre avocats et magistrats. Tous les avocats n’ont pas les moyens, et à l’heure actuelle, une pétition apparemment signée massivement par les avocats de Lille circule auprès du bâtonnier pour pouvoir revoir le système imaginé par la chancellerie, grevant trop lourdement les finances des avocats, et notamment celles des plus jeunes. Quant aux justiciables, la question est réglée : ils n’auront pas accès au réseau privé virtuel des avocats et des magistrats, sécurité des informations oblige.
Voilà donc pourquoi madame Rachida Dati agace le monde judiciaire : ce ne sont pas tant ses toilettes, ni même d’ailleurs ses bagues un peu trop bling bling qui en sont la raison ; c’est davantage le fait qu’elle mette à son actif la réussite de la réforme de la carte judiciaire, de la numérisation des procédures, et que nous les professionnels sur le terrain, nous voyons que ces propos sont très exagérés. Je ne discute d’ailleurs pas la bonne volonté de la ministre, Madame Dati, qui a très certainement de bonnes intentions, désire sans doute ardemment améliorer le fonctionnement de la justice, peut-être même en rêve-t-elle ? Mais du rêve à la réalité…
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