Radicalisme révolutionnaire, la nouvelle opposition ?
Actuellement, la vie politique et intellectuelle semble en panne de doctrine. Seul le pragmatisme semble tenir la corde parmi les politiciens, surtout ceux du camp des vainqueurs du 6 mai 2007. Comment définir cette doctrine ? Au risque de simplifier, le pragmatisme est la doctrine qui colle de près aux tendances d’un système mu par l’économie, le marché, la production, la technique, la satisfaction la plus efficace des désirs. Le pragmatisme explique ce qu’il faut faire ou, à défaut, explique ce qui a été décidé au nom de la gouvernance convenable. Le pragmatisme est-il plus de droite que de gauche ? Difficile de répondre. Mais une chose est sûre, Nicolas Sarkozy a emporté les élections présidentielles en se réclamant du pragmatisme tout en prononçant des discours franchement de droite. Si on admet que Tony Blair est de gauche, alors on conviendra qu’un pragmatisme de gauche est concevable. Mais honnêtement, je pense que le fond réunissant Blair et Sarkozy est bien plus substantiel que la teinte politique, si bien que la droite et la gauche semblent n’être qu’un habillage du pragmatisme, du moins, chez nous en France, si on considère la majorité actuelle et le PS entre relookage à la Royal et rénovation à la DSK-Rocard. Le cas du MoDem de Bayrou n’est pas classé puisque c’est une nouvelle formation construite sur une UDF elle aussi pragmatique. Qui n’est pas dans le pragmatisme ? Sans doute la gauche dogmatique.
Le véritable enjeu politique pour ces prochaines années se déterminera non pas sur la base des politiciens, programmes, partis, prestations médiatiques, mais sur un travail de la pensée. Il appartient aux intellectuels de clarifier le cours du monde, d’en expliciter les tendances et pas qu’en surface, carrément dans le champ métaphysique où apparaît la logique essentielle sous-tendant cette domination du pragmatisme. Quels sont les individus qui servent le système, ou s’en servent, alors que nombreux sont desservis ? Pourquoi cette évolution depuis trente ans ? Et la seule question qui vaille : il y a-t-il une alternative au pragmatisme qui ne relève pas du dogmatisme ? Il est sans doute acquis qu’en ces temps de crise idéologique, le dogmatisme n’est qu’une forme, les uns diront déviée, les autres d’opposition, de pragmatisme.
L’arrivée au pouvoir de Sarkozy s’est faite dans un contexte politique tendu où les lignes ont bougé. Il faudra attendre le résultat des législatives mais, d’ores et déjà, on pressent la crise interne au PS largué par Bernard Kouchner, la fragilité d’un MoDem qui devrait peiner à trouver sa place dans la campagne qui arrive. La fébrilité d’un Jean-Michel Baylet, responsable des Radicaux de gauche délestés de Bernard Tapie, traduit cette recomposition politique. Signe de retours historiques où le mur du temps se lézarde pour laisser ressurgir de vieille doctrines trouvant dans les secousses sismiques actuelles la brèche pour ressurgir. Quelle est l’actualité du radicalisme, mouvance politique prenant racine dans les siècles passés, dont les idées se retrouvent chez Voltaire et Condorcet ?
A ce stade de réflexion, d’aucuns feront remarquer que le pragmatisme n’est pas condamnable. On pourrait très bien concevoir un pragmatisme au service de la déconsommation et la décroissance. En vérité, le pragmatisme est une doctrine de l’efficace, du faire. Tout dépend ensuite pourquoi on veut faire, on veut agir, gouverner, vivre, travailler. Peut-on penser que des choix peuvent être proposés ? Entre le développement des puissances de travail supposant celles des formations techniques dans un contexte de pression économique et un développement des facultés humaines, spirituelles, liées aux savoirs non seulement techniques mais aussi philosophiques, littéraires, esthétiques ? La grande question anthropolitique est la suivante : Y a-t-il antagonisme entre le choix pragmatique actuel (incarné par Bush et Sarkozy) et le développement de l’humain dans un sens spirituel ?
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Un court détour sur l’histoire politique s’impose. Au moment où le centre a tenté de bouger les lignes, alors que le mouvement démocrate s’apprête à faire une fausse couche, soyons attentif aux signes, au positionnement, plus qu’aux partis. Le radicalisme a été à l’origine de pratiques politiques alliant le sens de l’initiative privée, la garantie de la propriété et la solidarité nationale. Il a construit un ensemble de dispositifs, notamment fiscaux, pour rééquilibrer la répartition des revenus et faire en sorte que celui qui donne à la société par son activité et ne reçoit pas assez puisse recevoir un peu plus, et inversement pour celui qui reçoit trop relativement à ce qu’il donne (c’est d’ailleurs la base du solidarisme de Bourgeois, alternative à la lutte des classes marxiste). Bien évidemment, ces préceptes peuvent sembler naïfs à notre époque où le marché régule le travail et les revenus. Pourtant, on peut y voir le principe d’une opposition face à la rudesse du pragmatisme qui arrive.
Sur le plan symbolique, on rappelle que Léon Bourgeois, président du Conseil en 1895, démissionna face à l’opposition du Sénat à son projet d’impôt sur le revenu, mesure emblématique du solidarisme. Or, avec les mesures voulues par Sarkozy, visant à réduire la progressivité de l’impôt et d’instituer un bouclier fiscal, c’est le principe du solidarisme qui est mis en cause. Tous les politiciens ancrés dans le radicalisme l’ont remarqué, notamment au centre. Le résultat du 22 avril et les 19 points de Bayrou en sont le résultat pour partie.
Une question sur le radicalisme. A-t-il un avenir ou bien son retour n’est-il qu’une dernière sortie historique avant que le pragmatisme capitaliste n’enterre définitivement les anciennes doctrines pour cause d’obsolescence ?
En un coup d’œil sur l’axe des temps, nous pouvons comprendre ce qui s’est passé récemment. La France a écrit entre 1940 et 2007 une période de son histoire. Cette prestigieuse nation s’est trouvée face à un destin de résistance face à un système totalitaire à la puissance meurtrière jamais égalée dans l’Histoire de l’humanité. Après la Libération, deux mouvances se sont opposées, le gaullisme et le communisme, les deux se revendiquant de l’héritage de la Résistance. Du coup, le socialisme français a péché par excès de collectivisme à ses débuts, puis après 1981, un chassé-croisé entre droite et gauche sous la présidence de deux personnalités assumant cet héritage, Mitterrand et Chirac. Evidemment, d’autres nations ayant une histoire différente n’ont pas vécu ce schème politique unique au monde et dès la chute du mur, l’Europe et le monde ont pris le plis du pragmatisme économique. Sarkozy assume la sortie de cette Histoire (1940-2007), bien qu’il s’en réclame pour un usage cosmétique.
Une formule dit que les vainqueurs écrivent l’Histoire. Ne pourrait-on inverser cette formule, un peu comme Foucault renversa celle de Clausewitz, et dire que ceux qui parviennent à écrire l’Histoire deviennent les vainqueurs, à l’âge démocratique. Mitterrand et de Gaulle, des écrivains. Sarkozy ? Non, mais un habile scénariste, un merveilleux acteur qui a fait rêver les Français et une équipe de seconds rôles correcte, avec de bons metteurs en scène et des cadreurs impeccables. Le scénario socialiste, plutôt flou, n’a pas été bien reçu par les figurants de l’Histoire que sont les électeurs.
Voilà donc une conclusion qui se dessine peu à peu, prenant en compte la toute-puissance du national-capitalisme géré par Sarkozy et un entourage UMP allié aux affairistes. Le national-capitalisme, c’est la concentration des richesses par une caste qui peut s’affranchir pour partie des règles du travail et vivre une vie démente alors que pour une vie décente, les plus précarisés doivent opter pour le tout-travail. Prenant acte de l’éclatement d’un PS explosé par les tendances économiste et pragmatique des puissants (système dont il ont bien profité, eux et leurs amis de gauche), et d’un MoDem en voie de collapse congénital faute de positionnement clair et substantiel, quelques intellectuels en ce pays se demandent si une autre Histoire est possible en convoquant une réactualisation, voire une transfiguration du radicalisme, qui pourrait insérer les aspirations de Mai 68 et des années suivantes. Il est en effet de notoriété presque publique que les loges maçonniques, héritières des doctrines humanistes, n’ont pas su intégrer les promesses de cette nouvelle société, ni saisir les richesses spirituelles en germes parmi les gens. L’amour du pouvoir, du confort, et l’affairisme ont semble-t-il emporté cette vénérable institution. Les prochains maçons n’ont pas besoin de tablier.
Les lignes ont bougé parce que les frontières étaient brouillées. Cet affrontement gaullistes-communistes, puis PS-RPR, puis PS-UMP, a clarifié les choix électoraux pendant trente ans, mais cette clarification a été accompagnée de brouillages. Sarkozy a tenté de débrouiller la situation. Il a donné l’impression de le faire. Son appareil œuvre pour une certaine idée de la société. En face, il n’y a pas d’alternative radicale. Alors s’il n’y en a pas, à nous, citoyens épris de liberté, de spiritualité, d’humanisme, de solidarité, d’inventer ce radicalisme révolutionnaire du XXIe siècle.
Oui, la solution de cette alternative repose autant sur l’état des consciences que l’aptitude des écrivains à faire bouger les lignes intérieures des âmes, puisque les lignes objectives ont tremblé et que la tectonique des recompositions est amorcée. Il manque au radicalisme révolutionnaire une doctrine. C’est la seule alternative authentique au pragmatisme de Sarkozy décliné selon les principes du national-capitalisme visant à l’asservissement du peuple au profit d’oligarques et de stars.
Ce n’est pas simple, en effet, que d’être radical révolutionnaire, car il faut construire, s’investir, trouver les failles du systèmes et servir la lumière qui filtre des consciences affranchies, des âmes nobles et vertueuses capables de s’opposer à ce système apparemment moral mais véritablement sans vergogne, incarné par le pouvoir en place. Il faut aussi prendre en considération la nouvelle donne technique, celle des hypertechnologies, celle du XXIe siècle, si bien que le principal obstacle au destin affranchi de l’homme, c’est cette technique et ceux qui en jouent pour asservir le genre humain et en profiter. Sans prendre note de cette conjoncture, il est certain que toute aspiration humaniste risque de rester lettre morte.
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