Rappel du 18 juin 2010

Je me voyais déjà en De Gaulle de la pensée, en visionnaire de l’avenir, manier la rhétorique, pilonner l’ennemi nommé de toute la verve de l’allégorie qui surfe sur les époques. Qui donc occupe la France et l’Europe ? Le parti sécuritaire, la crise, la finance ? Euréka, nous sommes occupés par les ultra-libéraux, une caste dont l’arme est l’argent, et dont les faits sont connus de tous. Des gens expulsés de leurs logements, des Français privés d’emploi, des tas de jeunes errants, des usines détruites. Les chômeurs en déroute, fuyant dans le paysage comme naguère les Français partis sur les chemins de campagne après les bombardements. La guerre économique a détruit nos emplois, nos entreprises, pillé les biens de l’Etat, mis à la place des serviteurs de la République des sous-fifres décidant des lois sur le travail obligatoire à 60 ans, le Medef a aboli le programme du Conseil National de la Résistance et sous les ponts, les gens se débrouillent et font du marché noir, et puis… et puis… Zut, ça sonne faux, ça ne tient pas. Il faut que j’aille me reposer. L’ivresse d’une improbable gloire en tant que BHL des déshérités m’a monté à la tête et je vais prendre quelque temps pour méditer et ne pas faire de ce rappel un numéro de guignol.
Je reprends mes esprits. En 1940, il était légitime de vouloir combattre et expulser des hommes vêtus d’un uniforme siglé d’une croix gammée et venus chez nous pour commander. La donne était simple. Il y avait la France légitime opposée à une France faussement légale du maréchal Pétain. Il y avait un ennemi et quand on se déplaçait, on pouvait savoir qui était l’ennemi, souvent affublé d’un casque et s’exprimant en Allemand. Et chaque résistant savait contre qui il se battait en élaborant des stratégies et des tactiques en fonction de sa situation.
En 2010, comme en 2000 ou en 1990, en supposant qu’on admette qu’il faille combattre et repousser ceux qui ont le pouvoir, il existe une seule méthode, parfaitement légale et même considéré avec la plus haute bienveillance par les autorités philosophiques et morales, c’est le débat démocratique. Mais l’Etat ne peut pas satisfaire toutes les demandes. Alors les partis font ce qu’ils peuvent en favorisant un peu leurs électeurs mais rien n’est simple. Il y a tant de choses à améliorer. Je me souviens, il y a quinze ans, une conversation avec mon père alors que, titulaire de trois diplômes de haut niveau dans trois spécialités distinctes, j’étais boudé par les universitaires, tandis que les politiques que j’avais alertés sur ma situation ne daignaient pas intervenir. Mon père, assez remonté du sort qui m’était fait, m’avait dit que pendant la résistance, c’était plus simple. On savait qui était l’ennemi et ce qu’il fallait faire pour peu qu’on dispose d’un flingue. Il avait raison, comme du reste De Gaulle qui réservait deux balles dans la tronche à Touvier. Mais la France de maintenant n’est pas occupée alors, autant mettre à la poubelle les comparaisons outrancières entre deux époques distinctes, dont le seul point commun réside dans une atteinte à la civilisation et aux valeurs républicaines fondamentales. On conviendra néanmoins que toutes les époques ont été marquées par des élans progressistes, des innovations, des réalisations vertueuses, mais aussi des atteintes à la civilisation, qu’on les nomme déclin ou décadence. Comme disait De Gaulle, chaque peuple a la légitimité à être le sujet de l’Histoire. Et donc, si la France décline ou devient décadente ou se saborde, autant que ce soit une affaire intérieure car en vertu du droit des peuples à s’autodéterminer, il n’est pas acceptable qu’un pays soit sabordé par un autre peuple. Voilà ce qu’il faut retenir, tout en admirant la figure de De Gaulle et en louant tous les résistants. Les symboles sont précieux. Surtout cet appel qui, de part sa résonance historique, recèle un chiffre métaphysique qu’un Jünger aurait décrypté comme la marque du mur du temps percé lorsque le chaos de l’Histoire oblige tous les acteurs à abattre leurs cartes en l’espace de quelques semaines.
Nicolas Sarkozy est arrivé au pouvoir et les agités de la conscience idéologique se sont sitôt lancés dans un dessein de résistance, comme si Sarkozy c’était Pétain. Autant que je sache, Sarkozy n’était pas président, ni même à l’Intérieur, ni même au Budget, mais simple maire de Neuilly, quand je fus salement fauché par une commission de spécialistes pour avoir osé innover et aller contre la logique d’une technoscience au service des carrières de professeurs. Alors, résistance, ce mot me fait bien marrer lorsqu’il est employé pour désigner l’attitude à adopter en ces temps de crise. D’abord, il n’y a pas d’ennemi extérieur et si la France est menacée c’est de l’intérieur. Et depuis cette position intériorisée, il est impossible, honnêtement parlant, de désigner des ennemis, des coupables, des responsables. La menace est en effet intérieure mais cette intériorité est celle du psychisme, de l’âme, du fond spirituel de chacun, tourné vers la lumière ou l’ombre.
Résistance face à quoi ? Sarkozy n’a pas autant de pouvoir qu’on ne lui prête. Diaboliser Sarkozy sert la carrière des humoristes ou booste les ventes des journaux mais ne fait pas avancer le débat. Le roi est nu ! La défense du bouclier fiscal par Sarkozy n’est que son hochet symbolique lui donnant quelque raison de combattre, comme faire sauter le symbole de la retraite à 60 ans. En face, la gauche joue dans le même niveau des hochets symboliques, elle se piège elle-même, ne sachant pas quel dessein proposer à des Français qui n’ont aucun but si ce n’est de protéger leur situation et pour les autres de se faire une situation. Le monde a bien changé. Le débat sur les retraites montre à quel point le champ des finalités s’est déplacé, autant que celui des valeurs. Si l’on extrapole le fond de l’affaire, l’individu ne serait préoccupé que par l’idéal de quitter l’enfer du travail pour accéder à 60 ans à la vie rêvée. Rarement, un tel non sens aura travaillé les esprits. Qui a fait du travail un enfer ? Pourquoi les forçats du travail ne se révoltent-ils pas ? Il y a ceux qui veulent partir pour être soulagés et ceux qui, lotis d’un dispositif avantageux, veulent partir pour réaliser un dernier tour de piste hédoniste. La philosophie prisée avant De Gaulle était le stoïcisme, la philosophie qui plaît actuellement, c’est cet hédonisme de dernier homme bricolé par Onfray.
Alors résister face à qui ? face à ces deux pouvoirs de droite et de gauche qui, accrochés à quelques symboles tels des arapèdes sur un rocher, dévoilent en vérité leurs grandes faiblesses pour ce qui est des valeurs alors qu’ils sont forts pour manager les Français à coup de think tanks et de communicants. Le PS comme l’UMP ont capitulé face aux exigences de la civilisation. Ils ont capitulé face à un ennemi invisible qui se nomme opportunisme, vénalité, cupidité, arnaque, intérêt factieux, lobby, décadence, nihilisme. Cet ennemi n’est pas déclaré, ni visible, excepté de ceux qui ont l’œil aiguisé de l’aigle intuitif. Alors, à chacun ses valeurs et sa résistance et c’est ainsi qu’il faut adapter l’appel du général à notre époque. Résister, avec tempérance et résilience, ne rien lâcher, aller de l’avant, c’est ce que je fais avec mes modestes moyens. Des valeurs à défendre, ce n’est pas ce qui manque, j’en ai à revendre ! J’irai au bout de mon dessein philosophique, advienne que pourra. Je ne lâcherai rien ! Même s’il est envisageable que je ne sois pas à la hauteur. Ce qui est possible. Relisant ce billet, je ne l’ai pas trouvé fulgurant. Mais je me dis, mission accomplie !
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