« Re-Bonjour, Monsieur ! »
…. a dit le douanier américain, de Mobile, en Alabama, hier, à un ressortissant Belge. Vous allez me dire, ce n’est pas fréquent et je vais vous répondre c’est vrai. Ce qui est plus surprenant, c’est la suite. L’homme, après quelques amabilités s’est retrouvé embarqué illico presto par des agents fédéraux du FBI, et enfermé dans une geôle de Baldwin County. Il risque 20 ans de détention …. Il s’appelait en fait Monsieur, c’est son nom de famille, ce qui explique que la familiarité américaine n’était pas dû à une subite assimilation de la langue française. C’est Jacques Monsieur, en fait, que les américains viennent d’arrêter, un belge résidant en France… et un homme connu depuis des lustres pour avoir été impliqué dans divers trafics d’armes. Cette fois ce que les autorités US lui reprochent, c’est d’avoir voulu vendre des pièces d’avion de chasse et de transport à l’Iran, pays toujours sous embargo américain. Cela faisait six mois qu’il était pisté, paraît-il. Ah bon, première nouvelle.
Monsieur, surnommé partout "The Fox", le renard, en raison de ses capacités à négocier, n’est pas un inconnu. Il avait attiré la curiosité des gendarmes français il y a dix ans déjà, en 1999, qui avait conduit à perquisitionner son haras près Lignières dans le Cher, "aux Amourettes", dans le Berry (acheté en 1993), pour y fouiller un peu ce qu’il en était de sa société Matimco, dont le siège était en île Maurice et dont certains de ses administrateurs s’appelaient François Lasnosky (connu sous le nom de Jean-Bernard Lasnaud), et Patrice Bourges (le propre fils d’Yvon Bourges, l’ancien ministre gaulliste de la Défense). Les pandores avaient déboulé suite à la découverte d’une valise de documents égarée par un dénommé Davis Benelie, alias David Azoulay, qui lui aussi a un curriculum saisissant qui le relie directement au Mossad (il a la double nationalité israelo-sud africaine et son frère est effectivement un agent du Mossad), et a été longtemps au service de Marc Rich, millionnaire sulfureux ami de Bill Clinton, qui lui a sauvé la mise à une époque. Bref, un beau bureau ou plutôt un beau dispositif comme on a pu l’écrire ailleurs… . Un bureau-dispositif où l’on trouve aussi Andreï Izdebtsky : responsable de la firme slovaque Joy Slovakia, ou Pierre Ferrario, qui serait paraît-il son lien avec la DST, ou Claudine Fraiture, la responsable des comptes gérante elle du cabinet North Atlantic Consultant, installé à Bruxelles…. Bref, une belle brochette de trafiquants, d’armes quoi, ayant croisé à plusieurs reprises en Afrique un dénommé Charles Pasqua et son fils.
Joy slovakia est un cas intéressant dans la liste : "En 1996, un à-valoir d’un million de dollars est versé sur un compte suisse contrôlé par la société Joy Slovakia. Ce pactole provenait de Tchétchénie. Les rebelles tchétchènes du général Doudaïev ont été mis en contact avec le réseau des trafiquants d’armes de Monsieur et Marty Cappiau à travers Bernard et Nicolas Courcelle. Le premier a une carrière impressionnante. Ancien parachutiste au 6e RPIM, il passe à la Direction de la protection et de la sécurité de la Défense (DPSD), la structure qui remplace depuis 1981 la sécurité militaire française et qui est également en charge du signalement des trafics d’armes et des recrutements de mercenaires". Cappiau, le mercenaire, se fera descendre en 2001 et Luchaire deviendra après le garde du corps d’une dénommée Anne Pingeot (la mère de Mazarine) avant de devenir le responsable du DPS de JM LePen…. Bref, que du beau linge encore dans l’entourage de "Monsieur"...
A la Celle sur Condé, Il passait inaperçu dans le village pourtant, notre trafiquant d’armes… même s’il ne se présente même pas sur la photo des habitants . La Celle sur Condé ; ce hameau relié à Lignières, où le voisin suicidé de Monsieur (suicidé de bien étrange façon) s’appelait James Andanson… un autre beau cas de figure et un dossier plus que sulfureux…. à un point assez inimaginable, d’ailleurs (lisez, vous en tomberez des nues !)…
Lasnaud étant lui aussi répertorié comme vendeur d’armes, habitant le Sud de la Floride tout en étant recherché "activement" par la France depuis des années et possédant lui-même une société de vente d’armes située aux Caraïbes. L’homme auprès de Monsieur est donc également connu : voici ce que j’en disais en avril 2008 dans mon tout premier "Cargo" : "Lasnaud avait été arrêté lui à la frontière suisse le 25 mai 2002, puis relâché. Au procès de Jacques Monsieur, débuté le 31 mars dernier dans l’indifférence journalistique générale (c’est à huis clos paraît-il !), ce dernier indique avoir livré des hélicoptères MI-24 et MI-8 Modelex à l’ancien président Pascal Lissouba, contre des cargaisons de pétrole. Le tout pour 60 millions de dollars. Payés pas n’importe comment nous dit RFI : "Des munitions fournies par l’Iran. Or, ces livraisons facturées 60 millions de dollars, ont été réglés par les fonds de souveraineté du Congo, fonds gérés par la Fiba, la banque d’Elf. Autrement dit, l’argent du pétrole.".. Ah, voilà qui est intéressant et resitue un peu plus les méandres et les marigots dans lesquels court notre Renard… ceux des services secrets, notamment ici ceux de la DST française (devenue depuis Direction centrale du renseignement intérieur ou DCRI), qui était obligatoirement au courant… Remarquez, c’est comme ça qu’on apprend que l’Iran aussi, vend des armes et ne fait donc pas qu’en acheter….
Il y expliquait en effet sans broncher à des confrères dont l’inusable Bakchich que selon lui il n’avait rien à craindre car il était "couvert" par les services occidentaux (DST, CIA, Mossad). On ne pouvait mieux résumer à quoi s’attende avec notre second bonhomme, ce Jacques Monsieur qui avait donc déjà acheté du matériel iranien (Modelex est iranien, c’est en fait la vitrine de vente à l’export du ministère de la défense du pays) pour le revendre au Congo. Modelex encore, qui avait vendu des obus de 107 "Haseb" à l’Argentine… ce genre d’obus qu’on trouve un peu partout disséminé dans le monde…et que les Iraniens ne se privent pas de monter partout... L’arme favorite des attaques en Irak et en Afghanistan. Selon Bakchich, Monsieur lui aussi n’était donc pas un inconnu des services secrets, et de tous bords : "En Croatie, en Bosnie, au Congo-Brazzaville, en Iran et ailleurs, Jacques Monsieur, un Belge qui fut installé à La Celle Condé, aux Amourettes, exerçait des talents d’intermédiaire et de courtier en armements. A force de fréquenter les agents de la DST, de la CIA ou du Mossad, le service d’espionnage israélien, quand il ne prenait pas le thé avec les dirigeants d’Elf, voire les mollahs iraniens, qui furent longtemps de bons copains, il avait « oublié » de quémander les autorisations nécessaires à son joli métier…" Pour mémoire, Monsieur avait fait deux années de prison en Iran en 2000 pour espionnage… L’Iran, une veille histoire d’amour pour lui en quelque sorte : "Au cœur des investigations belges, l’Iran occupe une place de choix. Dans les années 80, la République islamique utilise les compétences et les relations de Jacques Monsieur pour obtenir des armes, en violation de l’embargo international. Comme les Etats-Unis veulent pouvoir faire pièce à l’Irak, Washington décide de recourir aux services de l’intermédiaire belge. Jacques Monsieur peut donc fournir des missiles américains, fabriqués sous licence belge, avec un certificat "end-user" israélien (autrement dit l’utilisateur final des armes est l’armée israélienne prétendent les certificats). En 1985, les douanes suisses découvriront le pot aux roses, car le circuit de paiement passe par l’ambassade iranienne". Bref, lors de l’affaire des "Contras", et de l’Irangate, de sinistre mémoire, Monsieur a joué un rôle vital, et a donc bien servi les intérêts... américains. De là à en faire un agent de la CIA, il n’y a qu’un pas qu’on franchira aisément... L’Iran avait alors récupéré des missiles antichar TOW de cette façon, via un second intermédiaire marchand d’armes, Manucher Ghorbanifar... grand ami d’un dénommé Hossein Mossavi... oui, le même qui s’est opposé récemment à Mahmoud Amadinejad ! Le monde est bien petit, mon cher monsieur...
Voilà donc celui qu’on a arrêté hier, et dont le cas nous fait furieusement penser à celui de Viktor Bout, qui décrépit depuis en Thaïlande (il a perdu une bonne paire de kilos semble-t-il !). Et cette fois, c’était pour vendre quoi au fait ? Deux petits réacteurs de F-5 et des pièces détachées de C-130 ! A L’Iran, ces anciens geôliers ! Deux types d’appareils de fabrication américaine, mais qui font partie comme les F-14 de l’ossature des forces aériennes iraniennes, des avions achetés aux temps de la splendeur du Shah. L’Iran possède en effet un parc hétéroclite certes, mais un parc assez fourni d’appareils. Notre homme proposait donc des moteurs J85-21 plus récents que ceux d’origine, pouvant servir de remplacement pour les F-5 devenus pour certains de rutilants Sa’eqeh ou Sa’eqeh-80 à deux queues avec des entrées d’air à bords francs et un radar amélioré. Payés 300 000 dollars les deux réacteurs et 100 000 les pièces de C-130. A un envoyé venu des Emirats Arabes Unis et plus exactement de Dubaï…en fait quelqu’un de la CIA infiltré paraît-il. Voilà qui est fort étrange : comment un renard aussi rusé aurait pu aussi facilement mettre le pied sur un tel gros piège, avec un aussi petit appât ? Selon les américains, dans les négociations Monsieur était accompagné d’un ressortissant iranien vivant en France, Dara Fotouhi, 54 ans , qui n’a pas été inculpé à ce jour par les américains... Pourquoi donc ? Mystère.
Quelque chose coince en fait… d’autant plus que questions pièces détachées d’avions iraniens, les services américains n’ont pas vraiment de conseils à donner aux autres…. ils ont ainsi arrêté en 2007 seulement leurs envois de pièces détachées de F-14 à l’Iran… qui en avait acheté 79 sous le Shah, et dont beaucoup sont maintenus en parfait état de vol, et rééquipés de missiles russes ou modifiés maison… leurs missiles AIM-54 ayant été sabotés par les américains dès la vente ! Il en reste environ une cinquantaine, dont environ une trentaine en ordre de vol : l’Iran, possède donc toujours le roi de TopGun... Jusqu’en 2007, donc, les américains auraient pu s’arrêter eux-mêmes, donc…. étrange situation.
Des moteurs et des pièces achetés à qui et comment au fait ? A Trast Aero Space, une division d’une société existante du Kyrgyzstan nous indique l’enquête naissante… or cette société est une de celles interdites de vol depuis au moins deux ans, pour ne pas avoir respecté les règles de sécurité aérienne. Les pièces détachées auraient été achetées aux Etats-Unis via Trast Aero pour y être envoyées en Colombie, d’où elles seraient reparties ensuite vers les Emirats Arabes Unis… et ce d’autant plus que Dubaï, d’où venait l’intermédiaire iranien rencontré à Paris et à Londres, détient la surveillance du port de New-York et de ses containers, ou qu’à l’aéroport de Dulles un petit pavillon à part, au nom discret de Landmark Aviation, appartenant à Carlyle revendu aussi à Dubai sert depuis toujours de plaque tournante aux vols de la CIA…utilisé par tous les avions de ""renditions flights" allant à Guantanamo... Dubaï, encore et toujours Dubaï, où s’est carrément installé Carlyle. La firme qui a racheté Landmark appartient au Sheikh Ahmed bin Saeed ad-Maktoum. Or c’est aussi le président-fondateur de la compagnie Emirates.... l’une des premières à avoir commandé des A-380... Bref, l’homme pèse lourd dans les débats actuels. Et Dubaï revient bien souvent dans les débats depuis le 11 septembre.
Or qu’apprend-on aussi sur les compagnies interdites de vol du Kyrgyzstan dont la liste est visible un peu partout ? qu’outre Trast Aero, il y a aussi Air Manas, Avia Traffic Company, Aerostan, Click Airways, Dames, Eastok Avia, Golden Rule Airlines, Itek Air, Kyrgyz Trans Avia, Kirghizstan, Max Avia, S Group Aviation, Sky Gate International Aviation, Sky Way Air, Tenir Airlines et Valor Air. Or parmi celles-ci, si Sky Gates est en fait jordanienne d’origine, Tenir Airlines, qui a repris en réalité une société appelée "Santa Cruz Imperial" est la plus intéressante : un de ces Il-76 a régulièrement volé de Dubaï vers Kaboul ou vers Bagdad. Là, il n’atterrissait pas à Baghdad International Airport, mais invariablement à Al-Muthanna, le vieil aéroport le plus proche de la Green Zone. Bien plus discret... Que faisaient ces avions ? On s’en doute un peu : Efraîm Diveroli n’est pas très loin... Un de ces trois Illyushins : EX-065 (serial number 53460832), le EX-071 (43452546) et le EX-075 (53463908). Or, en approchant l’aéroport, les trois appareils émettaient aussi invariablement le signal connu d’Air Trans, une des sociétés de Victor Bout….Visiblement, Tenir était à nouveau une des compagnies fantômes du maitre de guerre… Trast Aero est aussi l’une des dernières à faire encore voler les Bac-111, qui ne sont pas loin d’être des avions poubelles volantes comme ceux dans lesquels on avait trouvé des caisses de Kalachnikovs en partance vers le Burkina Faso, le Congo ou le Nigeria… Depuis l’année dernière revole ainsi à son nom un modèle 510ED (EX-215), qui provient justement du Nigeria : l’avion revole, alors qu’il avait été vendu… pour pièces détachées seulement !
Ok, se dit-on, l’homme s’est donc fait bêtement coincer pour une vente illicite pour un montant somme toute dérisoire au regard de ce qu’il a brassé jusqu’ici et fort peu crédible. Mouais : mais à son procès de 2002 , en Belgique, où il avait été condamné à 40 mois avec sursis…à peine sorti de sa prison d’Iran, il avait entonné un tout autre air de violon. Selon Georges Berghezan, spécialiste au GRIP, en effet , notre homme avait réussi en Bosnie à vendre des armes malgré l’embargo de l’ONU car il avait bénéficié d’un coup de pouce bien connu : "il y en a pour des dizaines de milliers de tonnes d’armes aux croates et aux musulmans de Bosnie. Et lui prétend avoir agi sur instruction de la CIA, et qu’il aurait été envoyé à Zagreb. Il a réussi à contourner l’embargo des Nations Unies qui était en fait de surveiller."’lir le dossier du GRIP ici). Exactement le double du système Bout, qui lui, faisait voler ses avions pour l’ONU ou USAID tout en s’en servant comme transports d’armes...
Monsieur aurait été à une époque membre de la CIA, y aurait gagné des millions de dollars, ou en tout cas aurait bénéficié de son aide, pour chuter bêtement aujourd’hui pour 400 000 petits dollars à l’entrée d’un portillon d’aéroport en Alabama ? Après avoir brassé des dizaines de millions de dollars, se faire pincer pour une somme pareille et risquer 20 ans de prison ? La CIA laisserait tomber aussi facilement ceux qui l’ont tant aidée ??? Ou bien Monsieur, tombe aujourd’hui pour appuyer un peu plus sur les négociations actuelles entre les Etats-Unis et l’Iran, dont certaines ont lieu discrètement dans un hôtel à… Paris depuis 2003 ?
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