Dans la première partie, j’ai abordé les affres d’un jeune chercheur optant pour une thèse et débouchant sur un chômage de longue durée. Préférant le parler vrai, je crois qu’il faut montrer aux jeunes qu’à l’heure actuelle les conditions éthiques, scientifiques et humaines pour faire une carrière de recherche en France sont particulièrement restreintes. L’idéologie de l’excellence qui est prônée a tendance à masquer des conduites morales peu reluisantes… Après une suite de travaux sous-payés et une traversée du désert, une année miraculeuse s’est dessinée (Dix années de précarité : Partie I).
L’espoir. Un laboratoire en 2007 me recruta sur un CDD d’une année, renouvelable. On me fit faire des techniques nouvelles… En très peu de temps, je fus opérationnel et compétitif. C’était une forme de résilience sociale. Je renaissais totalement. J’eu la chance aussi de faire des travaux personnels et surtout de taper dans le mile, profitant du congé maladie de mon N+1… Enfin, soyons sincère, dès que ce dernier fut « hors service », je fus livré à moi même. Je me sentis alors obligé de réagir en cogitant seul. Il faut avouer qu’il n’est pas rare qu’en recherche on sorte du sujet officiel sans trop le dire… alors on fait des expériences personnelles, ce qui fait parti du « job » de chercheur. Le soir, le week-end, tout est propice pour sortir des sentiers battus et du sujet souvent poussif qu’on doit mener. Il faut alors savoir préparer, penser et conduire ses propres expériences, je suis allé très loin dans cette logique, m’achetant des plasmides précis produisant des petits bouts d’ARN ce qui avait amputé près d’un tiers de mon salaire… Grâce à tout cela, j’ai pu trouver un « lien ». Seul, comme un grand et surtout après avoir passé des années au chômage. Mais revenons à nos moutons. Pendant l’année écoulée, on me promit si souvent un renouvellement assuré de mon contrat… on me promit également de trouver d’autres sources de financement si nécessaire de type FRM, ARC ou Ligue… Bref, je me mis à bosser comme quatre, innovant et surmotivé, je m’occupais même d’étudiants peu encadrés pour les « booster » et j’ai surtout trouvé ce « pipeline » dont je parlais précédemment… Un lien suffisamment important pour qu’on écrive une partie d’un dossier de création d’unité, sur la base de travaux que j’avais initiés seul, pensé seul. Une dizaine de pages sur 20 dans un dossier présenté à nouvelle instance de recherche (AERES) qui juge de l’excellence des unités nouvelles en voie de création…Vint alors l’heure du renouvellement… Mon CDD prit fin. On me montra la porte du chômage. Mais, je vous rassure… Evidemment « mon » projet continue. Il permet à plusieurs personnes de bosser… Des chercheurs que j’aimais bien pour la plupart mais qui n’ont pas su me protéger d’une décision « venant d’en haut », ce qu’on m’a dit officiellement. Peu de temps après mon départ, je me suis fait à l’idée que je ne figurerai probablement pas sur les articles s’ils sont écrits ; après tout, aucune des promesses que ce laboratoire avait pu faire n’avaient été tenues. Un exemple précis : le document donné à l’AERES ne montrait pas réellement mon apport stratégique dans l’émergence de la thématique nouvelle mais me mentionnait sur une technique que j’aurai soit disant apporté ce qui n’est pas le cas… J’ai vu ailleurs bien pire et j’ai déjà constaté que dans d’autres laboratoires il était fréquent de profiter du départ d’un chercheur pour s’emparer de ses découvertes, de se les attribuer. Sur ce point, j’ai toujours en mémoire les larmes d’une chercheuse qui avait créé une lignée de souris et qui fut virée de son laboratoire juste après. Dans ce moment délicat, elle m’avoua qu’elle fut également dans l’impossibilité de récupérer son outil murin. Dix ans de sa vie en l’air et pour le bonheur d’un « fat » qui se dit chercheur, génial, brillant et qui étale sa liste de publications pour justifier de sa grande moralité. Un homme plein d’humour qui sait d’ailleurs très bien attirer la sympathie… En recherche comme ailleurs, ce sont les pires.
Le quotidien. Entre temps, la réalité est là… le précaire a apporté la nouveauté, la découverte… pourtant, il pointe au chômage… L’histoire continue et se répète avec des nuances nouvelles… Est venue alors l’heure des propositions. Au bout de quelques semaines, on m’exposa un projet « clef en main » ce que je devais prendre pour une « belle opportunité »… mais comble du comble… alors que j’avais tout de même fait mes preuves, on me parla de « vacations »… Une nouvelle précarité… Un monde ubuesque… D’un coté vous avez permis de faire un « saut » et de l’autre on trouve naturel de vous proposer un statut « hyper précarisant » à la française. J’ai pu discuter avec quelques personnes qui partageaient ce statut de vacataire… là, j’ai commencé à halluciner… ils bossaient mais attendaient leur salaire pendant trois mois, pour des raisons de blocages administratifs… L’un d’entre eux disait avec froideur que les agios n’attendaient pas, il avait en plus deux gamines en bas age et donnait des cours de guitare pour s’assurer une base salariale fixe. Le questionnant il me confia qu’il voyait peu ses enfants et profitait autant qu’il pouvait des week-end… Voilà, cette nouvelle précarité qui s’ouvrait. J’ai alors refusé de m’engager dans cette voie…
Autre chose, j’ai en effet constaté que ceux qui réussissaient avait des parents bien en place dans la société... Cela aide en tout cas. Soit dit en passant, j’ai vu le cas extrême d’une progéniture d’un chef d’unité que l’on a mis systématiquement sur des projets lancés par d’autres chercheurs qui eux-mêmes étaient éjectés du laboratoire au fil du temps… son dossier évidemment fut suffisamment gonflé pour prétendre à l’adoubement de concours nationaux. C’est ce qu’on appelle peut être le mandarinat, qui a toujours existé d’ailleurs. La précarité peut profiter à certains… A mes yeux, la précarité ne doit pas être une variable d’ajustement de la recherche. Un précaire est un chercheur avant tout, il doit être respecté alors qu’il est abusé si souvent…
Synthèse. J’ai parcouru beaucoup de centres de recherche. J’ai vu et revu l’absence du respect des hommes et des femmes qui servent la Science. J’ai vu le harcèlement moral d’hommes, de femmes, de précaires, de statutaires. A chaque fois le mobile du crime était le même… promouvoir un poulain local et détruire la carrière d’un outsider ou l’évincer… J’ai donc vu ce chapelet de destructions humaines… cette femme en congé maternité qui recevait des mails destructeurs à la suite desquels elles ne pouvait plus allaiter car trop stressée, ce jeune papa à qui on annonçait une semaine après la naissance de son enfant que son contrat prenait fin, ce père de deux enfants qu’on vira sans motif alors que sa femme n’avait pas de ressource, ces futures retraitées dont on cassait le moral jusqu’au bout pour qu’elles ne s’éternisent pas de trop, ces mères de familles qu’on poussait à la dépression pour récupérer leur travail, ces jeunes Maîtres de conférences dont on pourrissait la vie sur deux à trois années car dérangeant pour le localisme c’est-à-dire les plans de carrière d’un lambda plus puissant qu’intelligent, ces post-doctorants qu’on cassait même dans leur laboratoire d’accueil à l’étranger afin de les dissuader de postuler sur une offre d’emploi « fléchée »… Il y a eu le cas extrême d’une stagiaire atteinte de sclérose en plaque qui reçut un encadrement déplorable et à qui on empêcha d’avoir une note suffisante pour passer en année supérieure. Que pouvait elle faire avec un projet miteux, un encadrant peu présent et une maladie récurrente… La recherche fut sans pitié… Voilà… Le précaire que je suis a encore le courage de sa mémoire. Il a préservé son éthique et dénonce aujourd’hui cette variable d’ajustement qui permet à des « carrières de se construire » et qui conduit à ce harcèlement moral trop répandu. Ce cocktail aujourd’hui pousse la Science à récompenser parfois des éléments dociles, parfois « bien nés » qu’on qualifiera de brillants au détriment de découvreurs sincères. Aujourd’hui, il est aussi temps de dire Non à ce glissement malsain de chefaillons qui ont méprisé des bases éthiques évidentes pour bâtir leur CV. Il est temps de dénoncer ces aberrations comportementales qui relèvent de la psychiatrie de chefs de laboratoire totipotents… massif constat que révèlent ces harcèlements tellement modernes... Tout cela bien évidemment est à replacer dans une « écologie locale des laboratoires »… En effet, ces travers énoncés sont souvent connus des médecins du travail, des doyens, des éléments représentatifs de la recherche qui servent de bureaux des pleurs. Comble de l’ironie, parfois, ce sont les mêmes gens qui président aux plus hautes marches de la recherche et qui se permettent de marcher sur l’éthique comme sur un paillasson… Aujourd’hui, j’ai décidé de dire ici ce que j’ai vu. C’est un simple principe de réalité. Voilà ma réalité de précaire. Vérité franche et dure. Pas d’amertume, pas d’aigreur car je crois en l’espoir d’améliorer les choses. C’est dans cet Esprit que j’écris.
- Présent : J’ai commencé mon texte par une allusion maternelle, je finirai par un hommage. Ma mère a la chance d’oublier que son fils est chercheur précaire. Elle a déjà oublié son nom et son Alzheimer si « moderne » aura au moins la délicatesse de l’empêcher de réaliser que ses efforts et ses sacrifices « pour pousser » son fils auront été inutiles. Même si elle ne désirait pas que je fasse des études longues, je sais qu’elle était fière que je fasse carrière dans ce métier. C’est sûrement pour cela que je ne changerai pas de cap. Je suis chercheur dans l’âme. Je n’ai pas besoin d’un logo INSERM ou CNRS pour le savoir mais il me parait de plus en plus frappant que l’Amérique d’Obama a plus d’avenir pour des gens qui sont passionnés.
- Epilogue politique. Certains croient qu’il suffit de changer les statuts pour réformer la recherche. C’est inutile. Il faut surtout recadrer l’éthique. Empêcher les localismes, les dérives monarchiques des patrons de laboratoire et faire émaner ce que bien souvent Sauvons la recherche et les syndicats comme le SNTRS, le SNESUP essaient de propulser… une vraie dynamique de recherche dans un esprit d’équité et d’éthique. Il faut aussi convenir que mes dix années de précarité sont concomitantes de la diminution du financement de la recherche en France.
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