Rédigez-moi le décret d’application
Lorsqu’en mai 68, Guy Braibant suggéra de voter une loi pour instituer la Liberté sexuelle, Marceau Long lui répondit par un célèbre : Rédigez-moi le décret d’application. Aujourd’hui la loi Macron se propose, par l’amendement 808, d’instituer le Principe d’innovation. A ce qui pourrait apparaître comme la Révolution du quinquennat, certains opposent aujourd’hui la même réplique.
La crise qui agite la France, et une grande part de l’Europe, a souvent été analysée comme une crise de l’investissement. L’avenir ne serait plus suffisamment valorisé par la société pour que les entreprises investissent.
C’est ce qui a amené Arnaud Montebourg, puis Emmanuel Macron a proposer une Loi pour la croissance. En présence d’une très forte demande de la volonté générale, il y a de bonnes chances pour que l’économie redémarre.
Une dynamique a ainsi été lancée. Toute une série d’idées novatrices ont vu le jour. La plus extraordinaire d’entre elles est contenue dans l’amendement 808 qui dispose :
Art. L. 130‑1. – Dans l’exercice de leurs attributions respectives et, en particulier, par la définition de leur politique d’achat, les personnes publiques et personnes privées chargées d’une mission de service public promeuvent, mettent en œuvre pour l’exercice de leurs missions et appuient toute forme d’innovation, entendue comme l’ensemble des solutions nouvelles en termes de fourniture de biens, services ou de travaux propres à répondre à des besoins auxquelles ne peuvent répondre des solutions déjà disponibles sur le marché. Elles s’attachent à ce titre à exercer une veille sur les formes contemporaines d’innovation, y compris celles émanant des petites et moyennes entreprises.
Cet amendement pourrait devenir la Révolution du quinquennat. Il ajoute aux trois principes qui régissent l’organisation et le fonctionnement des services publics : égalité, neutralité, précaution ; un quatrième principe : le Principe d’innovation, qui prendrait la place du principe d’adaptation. Selon les termes de l’amendement 808, il deviendrait obligatoire pour les services publics d’organiser une veille des formes contemporaines d’innovation, d’acquérir ou de favoriser la solution nouvelle dans la mesure où celle-ci permet de remplir des besoins auxquelles ne peuvent répondre les solutions déjà disponibles sur le marché. Autrement dit, les organismes chargés d’une mission de service public, c’est-à-dire la part principale de la demande économique, devraient désormais favoriser, par principe, l’innovation et la croissance.
Ceci introduit un changement majeur dans notre ordre juridique, souvent conservateur par nature, qui soulève un nombre élevé de questions importantes.
S’agit-il de toute innovation ? Comment le service public va-t-il s’y prendre pour favoriser une innovation dont la faisabilité ne serait pas démontrée ? Le service public qui utilise des solutions obsolètes doit-il obligatoirement remplacer celles-ci par les plus innovantes ? Selon quels processus la veille et le choix des services publics seront-ils s’organisés ? Quid des innovations dont les risques pour les êtres humains ou pour l’environnement ne peuvent, faute d’expérience suffisante, être garantis ? Le changement trop brutal et la croissance trop rapide ne vont-ils pas causer des dégâts d’une gravité insupportable pour l’ordre public ? Le propriétaire, auteur de l’innovation, va-t-il disposer de certains privilèges dans les marchés publics ? La collectivité peut-elle tirer des avantages en contrepartie de ces privilèges ? Comment sera sanctionnée l’administration récalcitrante ?
Toutes ces questions n’ont-elles pas déjà trouvé des solutions dans la jurisprudence et le droit comparé ? Voilà quelques-uns des premiers problèmes qui se posent à nos concitoyens, lecteurs d’Agoravox et premiers intéressés par cet amendement.
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