Réflexion sur les greffes d’organes
A l’occasion de la journée nationale de réflexion sur le don d’organes qui aura lieu le 22 juin 2007, voici une liste de questions que les lecteurs de mon weblog sur l’éthique et les transplantations d’organes (se) posent fréquemment, notamment en réaction à la lecture d’informations qui les surprennent et les déstabilisent. Je tente d’y répondre, en complétant la liste au fur et à mesure.
Faut-il faire quelque chose si on veut donner ses organes en France ?
La réponse est non, puisque la loi prévoit le consentement par défaut (d’après le principe : qui ne dit rien consent). C’est le principe du "consentement présumé" qui est inscrit dans la loi en France. (Attention ! Dans d’autres pays, comme l’Allemagne, nous nous trouvons dans la situation inverse : le consentement doit être explicite, c’est-à-dire qu’il faut effectuer une démarche pour devenir donneur d’organes ; il ne faut rien faire si on est contre le don d’organes.)
Faut-il faire quelque chose si on ne veut PAS donner ses organes en France ?
Oui, il faut s’inscrire sur le Registre des refus de l’Agence de la biomédecine. Attention, cette même Agence de biomédecine gère aussi les demandes de cartes de donneur d’organes. C’est en quelque sorte un organisme bicéphale. Il faut savoir que même si une personne est en possession d’une carte de donneur d’organes, si cette personne se retrouve un jour en état de mort encéphalique et que la question du don de ses organes se pose, le consentement des proches prévaudra sur la carte de donneur - c’est-à-dire que si un proche s’oppose au prélèvement des organes, le prélèvement ne pourra pas avoir lieu. En effet, les lois de bioéthique (la dernière date d’août 2004) réintroduisent la famille puis les proches comme témoins de la parole du défunt. Si le défunt n’est pas inscrit sur le Registre national des refus, il est présumé avoir consenti au prélèvement, mais il appartient à la famille de confirmer ou d’infirmer cette présomption.
Quel organisme officiel est chargé de la communication grand public sur les transplantations d’organes ?
Question très intéressante, car elle rejoint celle de l’éthique des transplantations. Il s’agit de l’Agence de la biomédecine, dont l’activité est définie et encadrée par la loi de bioéthique d’août 2004. En mars 2007 ont eu lieu les Deuxièmes Journées internationales d’éthique au Palais universitaire de Strasbourg. Ces Journées internationales d’éthique ont été proposées par le Centre européen d’enseignement et de recherche en éthique (CEERE) de Strasbourg et le Centre d’étude, de technique et d’évaluation législatives (CETEL) de Genève (Suisse). Lors de son intervention à cette occasion, Mme Françoise Bayoumeu, de l’Agence de la biomédecine, a dit : "Avoir le réflexe de penser au prélèvement à l’issue de l’échec d’une thérapie est une des missions du personnel hospitalier". L’Agence est chargée de promouvoir le don d’organes auprès du grand public et des personnels médicaux. La loi de bioéthique d’août 2004, qui définit le rôle de l’Agence de la biomédecine, parle toujours de la promotion du don d’organes. Mais d’après Mme Bayoumeu, l’Agence serait "plus dans le domaine de l’information que dans celui de la promotion", et c’est en cela qu’on pourrait qualifier d’éthique la mission de l’Agence de la biomédecine ... Il n’en reste pas moins que la mission inscrite dans la loi de bioéthique de 2004 stipule que l’Agence a pour mission de promouvoir le don d’organes... Entre information et promotion, donc... Ceci appelle une question subsidiaire : le consentement éclairé requis de la part des familles confrontées au don d’organes (inscrit dans la loi de bioéthique d’août 2004) est-il compatible avec une information qui se doit de promouvoir ? La promotion n’a rien d’impartial, contrairement à l’information...
Pourquoi parle-t-on parfois de "vide juridique" ?
Ce terme n’est peut-être pas adéquat. On peut parler des ambiguïtés de la loi. Quelle est-elle ?
La loi Caillavet, qui date de 1976 et qui prévaut actuellement en France, fixe un cadre juridique aux transplantations : le "consentement présumé" : qui ne s’est pas opposé au don de ses organes est réputé être en faveur de ce don. Cette même loi prévoit une information des usagers de la santé, afin qu’ils puissent donner leur consentement éclairé sur la question du don d’organes, le cas échéant. L’information prévue par la loi Caillavet n’est pas de nature juridique ou légale. Il s’agit d’une information médicale qui doit permettre le consentement éclairé. Le "consentement présumé" inscrit dans la loi s’accompagne donc d’une obligation d’informer. Cette obligation se conçoit, étant donné que le consentement éclairé est requis de la part du donneur ou de ses proches. Or l’Agence de la biomédecine est un organisme bicéphale, comme nous l’avons vu plus haut : légalement, l’Agence doit promouvoir le don d’organes. Mais elle s’est également donné une mission d’information. La question est : si le discours public se situe entre promotion et information, en quoi peut-il être le garant d’un consentement éclairé ? Promouvoir n’est pas informer...
Qu’est-ce que le Registre national des refus et quel rôle joue-t-il ?
Un Registre national des refus a été mis en place par les lois de bioéthique de 1994 (presque vingt ans après la loi Caillavet !). Un décret de 1997 a précisé le mode de fonctionnement de ce registre. Il est important de préciser que les lois de bioéthique (la dernière date d’août 2004) réintroduisent la famille puis les proches comme témoins de la parole du défunt. Cela signifie qu’en cas de non inscription du donneur potentiel sur le Registre national des refus, ce donneur potentiel est présumé avoir consenti au prélèvement, mais il appartient à sa famille, ses proches de confirmer ou d’infirmer cette présomption.
Quelles sont les prochaines missions de communication de l’Agence de la biomédecine ?
Les deux prochaines missions d’"information" grand public de l’Agence concernent les prélèvements "à coeur arrêté" (qui se pratiquent depuis mars 2007 dans plusieurs centres hospitaliers en France) et le don d’organes à partir de donneurs vivants.
La technique de prélèvement "à coeur arrêté" permet-elle de prélever le coeur ?
Non. Le coeur ne bat plus, l’échec de la réanimation a conduit le personnel médical à déclarer le décès, le patient est "débranché". Il faut alors décider sans tarder des suites (envisager le prélèvement d’organes).
Quelle est la différence entre donneur vivant et donneur décédé ?
Dans un cas, on parle de don d’organes à partir de donneurs vivants, le plus souvent faisant partie des proches (famille) du patient en attente d’une greffe (lobe de foie, rein principalement). Les conditions sont strictement définies par la loi. Cette forme de don n’est pas privilégiée pour le moment en France, puisqu’on y pratique essentiellement le prélèvement d’organes à partir de donneurs en état de mort encéphalique ou "à coeur arrêté". Dans les pays scandinaves, c’est la situation inverse. En Norvège par exemple, 40 % des prélèvements d’organes se font sur donneurs vivants, au bénéfice d’un proche (famille le plus souvent). En mars 2007 ont eu lieu les Deuxièmes Journées internationales d’éthique : "Donner, recevoir un organe, droit, dû, devoir", au Palais universitaire de Strasbourg. A cette occasion, Mme Anna Varberg, chirurgien néphrologue (Rikshospitalet, Oslo, Norvège) a montré que le pronostic de vie est statistiquement meilleur pour les transplantés ayant bénéficié d’un rein provenant d’un donneur vivant, en comparaison avec ceux ayant bénéficié d’un rein de donneur en état de mort encéphalique.
Un patient qui a bénéficié d’une greffe peut-il faire à son tour un don d’organes à sa mort ?
Non, car il est astreint, entre autres, à un traitement immuno-suppresseur "à vie". Le traitement médical post-opératoire très lourd ne permet pas de le rendre candidat à un don d’organes à sa mort. Cependant, on parle de "don domino" pour le foie ou le coeur. Prenons l’exemple du foie : dans la transplantation ’domino’, le foie greffé est celui d’une personne vivante, souffrant d’une maladie sévère appelée amylose. Ce foie, histologiquement normal, peut à son tour être greffé chez un patient receveur. La survie des patients ayant reçu un greffon domino est comparable à celle des patients ayant bénéficié des autres types de transplantation.
A-t-on une chance d’être inscrit sur la liste des patients en attente de greffe si on est célibataire ? Est-on prioritaire si on est jeune père / mère de famille ?
Cette liste des patients en attente de greffe est gérée par l’Agence de la biomédecine. Il faudrait leur poser la question, car j’avoue ne pas savoir répondre.
Pourquoi parle-t-on de don d’organes ?
La notion de don est très problématique. Dans les années 70, on est parti de l’idée de générosité (don de soi) après la mort, de solidarité humaine. Dans notre société individualiste, qui fait aussi une part plus large à la réflexion sur l’éthique (constat de décès sur le plan de l’éthique, dans le cas d’un "décès" permettant les prélèvements d’organes), la notion de don devient problématique. On a pu entendre exprimer l’opinion selon laquelle le donneur et sa famille sont en quelque sorte les dindons de la farce, car ils sont les seuls à ne rien recevoir en échange du don d’organes. Tous les autres acteurs de la transplantation recoivent un salaire, et le patient en attente de greffe peut bénéficier d’un / des organe(s). On peut aussi se demander si "la notion de don est (...) opérationnelle dans un phénomène où ‘le don est présent comme finalité rendant légitime l’intervention sur le corps, mais nullement comme mode d’expression d’une volonté de se dépouiller d’une partie de soi au bénéfice d’une autre personne’ ?" (Thouvenin, 1997, cité par Claire Boileau : "Prélèvements et transplantations d’organes et de tissus : de la thérapeutique à l’imaginaire social", Université de Bordeaux II, janvier 2000, thèse de doctorat Ethnologie - option Anthropologie sociale et culturelle). Dans la représentation mentale collective, l’image que l’on se fait de la transplantation d’organes oscille entre un miracle de solidarité humaine et un commerce de pièces détachées. Claire Boileau place la problématique du don sous un autre éclairage : la possibilité ou l’impossibilité à concilier des intérêts contradictoires.
Pourquoi la notion de décès est-elle problématique dans le cas du prélèvement d’organes sur patient "décédé" ? Un patient (en état de mort encéphalique ou "à coeur arrêté") que l’on prélève n’est-il pas mort ?!...
Effectivement, le terme de "défunt" employé dans le contexte d’un prélèvement d’organes est problématique, puisque le défunt en question est en fait à considérer comme un mourant : avant le prélèvement de ses organes, il transpire et est hydraté, son corps est encore chaud (c’est inhabituel pour un défunt !), il requiert les soins d’une équipe médicale.
"Le ‘donneur’, avant que l’intervention chirurgicale n’ait lieu, n’est plus du côté de la vie, mais pas encore considéré comme un défunt, encore moins un cadavre. La métamorphose de son statut de personne vivante en ‘donneur’, puis en personne défunte et enfin en cadavre reste coextensive de sa métamorphose physiquement observable, tenant ainsi en échec, peu ou prou, les définitions médico-légales de son statut." (Claire Boileau : "Prélèvements et transplantations d’organes et de tissus : de la thérapeutique à l’imaginaire social", université de Bordeaux II, janvier 2000, thèse de doctorat Ethnologie - option Anthropologie sociale et culturelle.)
Mais alors, si le patient prélevé n’est pas mort, à quel moment peut-on considérer qu’il est mort ?
Il n’est pas aisé de répondre à cette question, car en fait cela dépend de ce qu’on entend par "mort". La définition traditionnelle de la mort recouvre l’arrêt définitif et irréversible de trois fonctions/organes : coeur, poumons, cerveau. Si on se base sur cette définition, un patient en état de mort encéphalique est non-mort. Il est mourant. Lorsque les équipes chirurgicales commenceront leur travail de prélèvement des organes, et notamment "clamperont" l’aorte du patient en état de mort encéphalique, c’est-à-dire couperont la circulation du sang dans l’aorte en pinçant celle-ci, juste avant de commencer à extraire les organes, on pourra considérer que le patient sera décédé "pour de bon", toujours si on considère la mort comme étant définie par l’arrêt irréversible et définitif des fonctions cardiaque, respiratoire et cérébrale (définition traditionnelle de la mort). Le clampage de l’aorte d’un patient en état de mort encéphalique est toujours un moment délicat pour les équipes chirurgicales qui prélèvent les organes des patients en état de mort encéphalique, car dans les équipes médicales qui s’occupent de prélèvement d’organes, bon nombre ressentent ce moment comme étant celui de la mort (véritable) du patient. Pour certains chirurgiens transplanteurs, le patient "décédé" dont il s’agit de prélever les organes est mort avant d’entrer au bloc ; pour d’autres, il s’agit de se résigner à prélever les organes d’un patient mourant, c’est-à-dire pour lequel le processus de mort est largement amorçé et dont la fin est, quoi qu’on fasse, toute proche (donc prévisible), et ce, que les organes de ce patient soient prélevés ou non. Se pose alors la question de l’anesthésie de ce patient donneur d’organes...
Quelle est la différence entre la définition de la mort traditionnelle (celle vieille de quelque deux mille ans), et la définition de la mort qui permet le prélèvement des organes sur patient dit "décédé" ?
Il faut savoir que ce triple arrêt définitif (coeur-poumons-cerveau) que requiert la définition de la mort traditionnelle ne permet aucun prélèvement d’organes. En effet, pour qu’il y ait prélèvement d’organes, il faut qu’un des trois critères de la mort au sens traditionnel du terme ne soit pas rempli : soit le coeur bat encore mais le cerveau est détruit (c’est le cas pour la mort encéphalique), soit le coeur ne bat plus mais on se base uniquement sur ce critère (c’est le cas pour certains patients prélevés "à coeur arrêté"). La technique de prélèvement d’organes dite "à coeur arrêté" a été autorisée depuis mars 2007 en France. Depuis cette date, elle est pratiquée dans plusieurs centres de transplantation en France.
La question est : à quelle mort est-ce que je crois ? A mon sens, c’est la question à se poser avant de répondre à la question : pour ou contre "le don de ses organes après sa mort" ("après" quelle mort ?!)... Il n’en reste pas moins que peu de gens veulent être confrontés à ce genre de question... La question de la mort divise (est dissensuelle), tandis que la question du don rassemble (est consensuelle)...
Pourquoi dit-on parfois qu’on se situe dans une zone grise (un entre-deux) lorsqu’on parle d’éthique des transplantations ?
Sans une connaissance précise de ces formes de mort (décrites plus haut) qui permettent le prélèvement des organes (mort encéphalique et "cœur arrêté"), le consentement éclairé inscrit dans la loi de bioéthique d’août 2004 - consentement éclairé requis de la part des familles confrontées au don d’organes- ne signifie pas grand-chose... Dans son mémoire de Master II, intitulé : "L’adéquation du discours officiel sur la mort encéphalique" (06/2006), le docteur Alexandre Rangel parle de "l’actuel pragmatisme ou silence" du corps médical - silence visant à ne pas décourager les dons d’organes, c’est-à-dire à ne pas décourager les bonnes volontés (il y a tant de gens qui "attendent" des organes). Doit-on considérer ce "silence" comme un acte de non-droit, ou encore le situer dans une zone grise de l’éthique médicale, au sens où les familles confrontées au don d’organes peuvent avoir l’impression a-postériori que tout a été organisé, orchestré pour obtenir leur consentement (selon le principe : la fin justifie les moyens) ? La question se pose de savoir si ce discours officiel pour le moins minimaliste peut porter préjudice à certains (comme les familles confrontées au don d’organes)...
Que pensez-vous de la dernière pub visant les jeunes : "Ne prenez pas de risques pour sauver des gens de votre vivant, attendez d’être mort" ?
Pour moi, il s’agit (une fois de plus) d’un discours grand public crispé sur le "politiquement correct". Ce genre de communication rencontre un intérêt à son image : incons(is)tant, changeant et superficiel. Voir par exemple (ironie du sort) l’explosion du nombre de demandes de cartes de donneur d’organes chez les jeunes, suite à la mort de Grégory Lemarchal (Star Ac’ saison 4) : 33.000 demandes de cartes de donneurs en 3 semaines, contre 54.000 l’an dernier. Un feu de paille qui ne peut qu’embarrasser les acteurs de la transplantation, puisque dans les faits il faudra l’accord de la famille de ces jeunes fans de Grégory si jamais certains d’entre eux venaient à se retrouver un jour en état de mort encéphalique et que se pose réellement la question du don de leurs organes. La carte de donneur d’organes ne remplace pas le consentement des proches, qui prévaut. Ce jour là, le dilemme que connaîtra la famille confrontée au don d’organes, entre volonté d’accompagner le mourant et don de ses organes, fera qu’il y aura loin de la coupe aux lèvres... La carte en question risque donc de rester lettre morte, à l’image de ces belles idées (générosité, don...) qui ponctuent une communication grand public qu’il faut bien se résoudre à qualifier d’anémique ou de minimaliste. Dans ce cas là, les belles idées ressemblent à des dogmes. Il n’est pas sûr que de tels dogmes puissent résoudre le problème de la disponibilité des greffons, qui est un problème de société et d’éthique avant même d’être un problème médical... Il conviendrait, dans un premier temps, de sortir des dogmes, d’instaurer plus de transparence dans le discours public sur le don d’organes, notamment en amenant l’usager de la santé à une réflexion sur la mort. Dans un second temps, il faudrait que la société décide si elle veut des transplantations. Mais ceci est un autre problème...
Si tant est que le problème posé par le consentement éclairé inscrit dans la loi de Bioéthique finit par être résolu, parlera-t-on encore de "don" ? Des notions telles que la solidarité humaine, le don de soi, la générosité, destinées à promouvoir le don d’organes, ne seront-elles pas alors vidées de leur contenu ? La générosité, la glorification de la mort ("sauver" d’autres vies en mourant) n’apparaîtront-elles pas alors comme autant de dogmes correspondant bien moins à la réalité que l’image du commerce de pièces détachées ?
Je pense qu’à la base de ce problème, il y a la question de savoir si l’usager de la santé veut que le médecin s’occupe uniquement du patient qu’il a en face de lui, même quand il ne peut plus rien pour ce patient (le laisser partir tranquillement, dans les meilleures conditions possibles), ou bien le médecin doit-il se préoccuper du bien-être d’autres patients lorsqu’il ne peut plus rien pour le patient qu’il a en face de lui ? La "technicisation de l’agonie" (Dr. Marc Andronikof) peut permettre, dans les cas de mort encéphalique ou de prélèvement "à coeur arrêté", de "sacrifier" un patient au profit du bien-être d’autres patients... (« recueillir des bouts d’hommes pour soigner d’autres hommes » Claire Boileau). A la société de décider si elle veut que cela se passe ainsi...
Dans sa thèse citée plus haut, Claire Boileau se demande "comment une société parvient (...) à mettre en place un dispositif destiné à recueillir des ‘bouts d’hommes’ pour soigner d’autres hommes ? Comment s’organise [cette société] (...) pour que les éléments corporels nécessaires à servir des objectifs thérapeutiques, soient mis à disposition ? A quelles résistances se heurte-t-elle, et de quelles manières les acteurs (soignants et familles) des négociations entreprises dans ce but sont-ils impliqués ?" (cf. thèse de Claire Boileau). C’est là toute la question des transplantations...
Quelle marge de manœuvre la psychanalyse, la psychologie, l’anthropologie, la religion peuvent-elles avoir dans cette affaire des transplantations ? Se trouve-t-on face à un choix inhumain, ou y a-t-il possibilité de "réparation" par un soutien pour les familles confrontées au don d’organes ?
La réponse à cette question ne fait pas l’unanimité, ni dans le corps médical, ni parmi les usagers de la santé. Pour certains, il s’agit d’un choix inhumain demandé à ces familles ; pour d’autres, il s’agit d’accompagner ces familles "sur le chemin difficile du deuil au don" (Professeur Louis Puybasset).
L’éthique, c’est un bien grand mot pour ne désigner, en fin de compte, qu’un conservatisme crispé, un repli sur soi frileux, un refus du progrès...
Le Professeur Claude Huriet a dit que les gens qui s’occupent (se préoccupent) d’éthique médicale sont considérés comme des "emmerdeurs" au lieu d’être considérés comme des "éclaireurs" (mars 2007). Il pense que cette tendance ne fera que s’accentuer, et que les gens qui parlent d’éthique ont de moins en moins de chance d’être entendus. Voici, pour confirmer les dires du professeur, quelques problèmes d’éthique concernant les transplantations d’organes, problèmes non résolus à l’heure actuelle (liste non exhaustive !) :
- "L’actuel pragmatisme ou silence" constaté par le Docteur Alexandre Rangel dans son mémoire intitulé : "L’Adéquation du discours officiel sur la mort encéphalique" (juin 2006) n’incite pas les usagers de la santé à réfléchir sur la mort. Au contraire, le discours officiel, lorsqu’on cherche une réponse sur les formes de mort permettant le prélèvement, répond en parlant de la beauté du don...
- Dans son livre "La Revanche du serpent ou la fin de l’Homo sapiens" (2005), le professeur Bernard Debré parle de la nécessité de ’sortir des dogmes’ et des principes avec lesquels on jongle pour justifier les transplantations d’organes. Ce souhait est resté lettre morte.
- J’ai reçu quelques témoignages d’usagers de la santé qui se disaient stupéfaits d’apprendre que des médecins déclaraient morts des patients dont le cœur battait encore. Dans ces conditions, le consentement éclairé (au don) inscrit dans la loi de Bioéthique d’août 2004 ne signifie pas grand-chose, encore moins pour ce qui est des prélèvements ’à cœur arrêté’, technique validée et pratiquée en France depuis mars 2007, sans qu’aucune communication grand public ait été mise en place à ce sujet.
-Du 29 au 31 mars 2007 ont eu lieu les Deuxièmes Journées internationales d’éthique : "Donner, recevoir un organe, droit, dû, devoir", au Palais universitaire de Strasbourg. Lors de son intervention à cette occasion, Mme Françoise Bayoumeu, de l’Agence de la biomédecine, a affirmé que l’Agence serait "plus dans le domaine de l’information que dans celui de la promotion" concernant le don d’organes, et c’est en cela qu’on pourrait qualifier d’éthique la mission de l’Agence de la biomédecine. Entre information et promotion, donc... Question subsidiaire : le consentement éclairé est-il compatible avec une information qui se doit de promouvoir ?
- A partir du moment où on parle de prélèvement sur donneur mort, il est difficile de parler d’anesthésie... Or cette anesthésie est requise, puisque le donneur prélevé (en état de mort encéphalique ou "à coeur arrêté") n’est pas tout à fait du côté de la mort lorsque le prélèvement des organes commence, comme on l’a vu plus haut. On peut penser qu’il est primordial de rassurer l’usager de la santé sur le confort du mourant qu’il accompagne au cas où il accepterait le prélèvement des organes de ce mourant. Or le discours officiel se garde bien d’évoquer ce problème fort délicat de l’"anesthésie d’un mort" (! ?), car bien sûr cela n’aurait aucun sens. On peut donc déplorer un manque de transparence du discours officiel sur la mort encéphalique, entre information et promotion.
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