RELIGIONS, poussez aussi votre gueulante ou vous allez périr
Des hommes indignes du nom de chrétiens égorgeaient les peuples du Nouveau-Monde, et la cour de Rome fulminait des bulles pour prévenir ces atrocités.
Chateaubriand - Le génie du christianisme
Voyez ce Dieu, la kalachnikov en bandoulière
Il y a quelque temps, alors que je regardais une émission intitulée Le choc des religions sur France 5, un téléspectateur émit la sempiternelle question :
Pourquoi ne pas admettre que de tous les temps les religions sont à l'origine des guerres ?
Cette petite phrase me rappela le fameux Un an après, l’assassin court toujours, le titre de CHARLIE HEBDO du 6 janvier 2016. Bien que cela ne soit pas ma tasse de thé, j’avais alors acheté ce numéro spécial anniversaire (N°1224) du journal satirique pour verser mon obole à la liberté de la presse (1). Tel un dévot devant une image pieuse, j’avais observé longuement la caricature de la une représentant un Dieu chrétien kalachnikové.
POURQUOI ?
Au premier abord, je me pris à penser au gouffre infini séparant Riss, l’auteur de la caricature, de ceux qui interdisent la représentation de Dieu (2). Selon Einstein Deux choses sont infinies : l’Univers et la bêtise humaine. Mais, en ce qui concerne l’Univers, je n’en ai pas encore acquis la certitude absolue. La bêtise humaine serait-elle à l’aune de l’insondabilité des béances entre les différentes convictions des hommes ? En d’autres termes, le terrain anxiogène du doute inhérent aux fois humaines, y compris à celles des athées, n’engendrerait-il pas des vertiges que seule une épaisse sottise pourrait conjurer ?
Puis, je repensai à une émission de radio, il y a quelques années, où un auditeur avait mentionné Les millions de morts de l’Inquisition (sic) (3). Le responsable de l’émission n’avait pas tiqué, par inculture sans doute, pour cause de parti pris peut-être… Ce jour-là, j’avais longuement réfléchi à l’importance de l’honnêteté intellectuelle, vraisemblablement notre vertu la plus précieuse. Comment l’humanité pourrait-elle progresser en travestissant son Histoire ? On ne réfléchira jamais assez à la sentence de Marx Celui qui ne connaît pas l'Histoire est condamné à la revivre.
Ensuite, gambergeant toujours, je réalisai que l’angoisse existentielle affecte aussi bien les croyants que les athées. Dans les moments de doute, les chrétiens par exemple, pour peu qu’ils s’en donnent la peine, peuvent trouver moultes consolations dans la Bible (4). Les athées, quant à eux, peuvent tenter de se rasséréner en lisant Comte, Nietzsche, Feuerbach ou Onfray mais il n’est point certain que de telles inhérences suffisent (5). Ainsi, pour les plus sanguins, il n’existe rien de tel qu’un bon blasphème ou qu’une caricature sacrément impie pour se donner de l’âme au ventre. Riposte Laïque nous rappelle que la caricature anticléricale atteint son acmé à partir de 1879 et jusqu’au début du XXème siècle. Cela ne donne pas toujours dans la dentelle : Un anticlérical sur une branche d’arbre déféquant dans la bouche d’un curé qui ronfle en dormant au pied de ce même arbre (6).
Pour en revenir au doute, je pense que celui du croyant n’est pas symétrique de celui de l’athée (7). Le doute du premier le culpabilise alors que celui du second l’inquiète. Dans le doute, le premier craint le péché quand le second se demande s’il ne risque de passer à côté de quelque chose. On rôde ici autour du pari de Pascal mais là n’est pas notre propos. Comment éloigner l’inquiétude ? Par la dérision pardi ! Rien de tel pour se rasséréner que de tourner nos sujets d’inquiétude en dérision. Evidemment, il ne s’agit pas d’une dérision grasse mais d’une dérision grave et insidieuse basée sur des généralisations rassurantes telles que Ils causent les guerres. Nous y voilà ! Une autre manière, politique cette fois, de chasser les religions traditionnelles est ce vouloir créer une religion républicaine comme le préconise l’alchimiste Vincent Peillon qui caresse le rêve de transmuter l’immanence en transcendance. Plus comtiste que ça tu meurs . Côté islam, Abdennour Bidar circumambule jalousement autour des mêmes cornues lorsqu’il rêve de désoccidentaliser la sortie de la religion (8).
Enfin, dernière réflexion mais pas la moindre : parmi les clichés qui confortent les areligieux dans leur attitude, l’un des plus efficaces et des plus tenaces porte l’idée que notre vallée de larmes serait un havre de paix si les religions ne venaient y foutre leur souk (9). Essoufflé, Charlie hebdo se raccroche à ce poncif éculé comme à une Mae West salvatrice. Malgré tout, sa couverture fallacieuse réchauffe la mécréance de plusieurs millions de gens sincères. Pourtant, les religions se passeraient bien de telles entourloupettes par les temps qui courent : à en croire le très sérieux Pew Research Center, le nombre de personnes sans religion croît rapidement aux USA (10).
UN MOYEN DE CONTRECARRER L’OFFENSIVE
Cependant, les voies de la Providence étant impénétrables, cette pouillerie de l’argumentaire de Charlie Hebdo devrait inciter les religions à se défendre car, à bien y regarder, l’hebdomadaire leur tend une perche provocatrice aussi grosse que le grand mât de l’Hermione. Du pain bénit que j’vous dis !
Dans les monastères, on consacre un temps à la prière et un autre au travail. Après la soumission aux énormités des Charlie et autres bouffeurs de religions, l’heure est au boulot : aide-toi, le ciel t’aidera !
Quel boulot ? Tout simplement rédiger, éditer et distribuer un opuscule répertoriant les principaux conflits meurtriers de l’humanité, disons d’Hammurabi à nos jours. Pas question, bien entendu, d’occulter les guerres de religion – expression qui devrait n’être qu’un oxymore quand certains en font un pléonasme – mais plutôt de parvenir à exprimer le ratio :
( nombre de victimes des guerres de religion / nombre de victimes de toutes les guerres )
Ce document devra rester factuel et dépourvu de toute animosité. Pour chaque évènement, on indiquera succinctement la date, les motifs (souvent d’hypocrites prétextes) et le nombre de victimes. Il ne devrait pas excéder une cinquantaine de pages afin de ne pas prendre la tête des lecteurs d’une part, de rester très bon marché d’autre part. Si peu d’espace ne suffirait pas à contenir la liste de tous les conflits connus de l’Histoire ; en conséquence, on s’efforcera d’appliquer la règle dite des « 20/80 » (11). Par exemple, on ne mentionnera que 80% des 231 millions de victimes des guerres du XXème siècle (12). Le tirage devra viser plusieurs centaines de millions d’exemplaires ( versions en mandarin et hindi comprises).
Les rédacteurs ? Un comité international issu des différentes religions (Sikhisme, zoroastrisme, alévisme, jaïnisme, judaïsme, bouddhisme, hindouisme, islam, chrétienté… ) dont les membres seront choisis parmi leurs meilleurs historiens, anthropologues, ethnologues, démographes et psychologues. Ils devront se tenir prêts à répondre aux contestataires, notamment à ceux qui ne manqueront pas de chercher à qualifier de guerres de religion des conflits et des conquêtes qui n’auront strictement rien à voir avec celles-ci.
Jean Rostand jugeait que L'homme est devenu trop puissant pour se permettre de jouer avec le mal. L'excès de sa force le condamne à la vertu. Le célèbre biologiste – Président d’honneur de la Libre Pensée, homme de bonne volonté avant tout – jugeait sans doute que si l’humanité pouvait encore s’octroyer des guerres au temps des armes conventionnelles, l’avènement des armes de destruction massive devait sonner la fin de la partie. Pour la petite histoire, rappelons que huit siècles s’écoulèrent entre l’interdiction de l’usage de l’arbalète (au cours d’un Concile de Latran ) et l’explosion de la bombe d’Hiroshima. Bref, le temps est révolu où chacun se rassurait à bon compte en faisant endosser la responsabilité des guerres aux seules religions. Il serait désormais trop dangereux de circonscrire la problématique des guerres à des boucs émissaires désarmés. Plus généralement, la virulence de la désinformation contemporaine (13) devient telle que l’humanité va devoir trouver le courage d’abandonner des souffre-douleur, des vieilles idées reçues et des malentendus historiques - en matière de médecine, de sexualité, d’écologie, d’économie, de physique, de théologie et, cerise sur le gâteau, de vérité sur la condition humaine - pour déballer des réalités déplaisantes qu’on aura pu cacher jusqu’alors pour notre confort intellectuel. Oui, c’est ainsi : plus l’humanité avance en âge et plus le monde se complexifie au-delà de ce que nous souhaiterions.
CERNER LES GERMES DE LA GUERRE
Le petit livre décrit plus haut se limite quasiment au seul aspect quantitatif de la guerre. Il ne s’agit là que d’une première étape essentiellement destinée à nettoyer l’aire de lancement de la seconde dont le but sera de rechercher, une fois encore, les racines les plus profondes des conflits guerriers et des massacres nés de notre espèce. Au terme des tueries, on se fait toujours le coup de La Der des Ders, ce qui dispense de réfléchir plus avant. Néanmoins, il ne faut pas se décourager et ne pas hésiter à remettre l’ouvrage sur notre métier le plus sophistiqué : l’informatique.
Depuis quelques années, on nous rebat les oreilles avec quantité d’études nous assurant que des algorithmes capables de débrouiller les statistiques les plus touffues permettront bientôt de prédire l’avenir avec précision. Vous devinez sans peine que ces ultimes outils divinatoires donneront la priorité au renforcement de nos addictions consuméristes aliénantes... De grâce, messieurs les informaticiens explorez d’abord le big data des guerres pour nous en extraire les racines. Cela pourrait s’avérer plus utile que de concocter des techniques de marketing ou des cyberguerres.
Où donc se niche(nt) le(s) germe(s) de la guerre ?
S’en approche-t-elle, S. Mukasonga, lorsqu’elle écrit Il y a un monstre qui sommeille en chaque homme ?(14)
Brûle-t-il, H. Laborit, quand il déclare … et que dans le même espace un individu veut utiliser les mêmes objets, les mêmes êtres, dans le même but de renouveler ses actes gratifiants, une compétition entre ces deux individus va naître ? (15)
Hé ! Proudhon ! Tu as écrit La propriété, c’est le vol ! Avec le recul, t’est-il arrivé de penser, comme ça, que ce pourrait aussi être la guerre ?
Enfin, si La guerre est vraiment la continuation de la politique par d’autres moyens comme l’a écrit Carl von Clausewitz, il faut alors changer de politique urgemment, pas nécessairement de religion. Vaste programme hein !
CONCLUSION : MAIS IL SE FAIT DEJA TARD
Charlie Hebdo n’est pas seul à tenter de nous faire accroire que les religions sont la cause principale des guerres. Dans les Grandes Gueules de RMC, par exemple, Claire O’ Petit et Johny Blanc se cramponnent obstinément au même cliché (16). Il est dangereux que des gens racontent régulièrement n’importe quoi devant des centaines de milliers de personnes lesquelles, innocemment, subissent un lavage de cerveau subliminal. Serait-ce donc cela le progrès médiatique au XXIème siècle ? Dans quelques années, le cancer du politiquement correct aura vraisemblablement lancé ses métastases dans tous les organes de l’humanité. Il sera alors incorrect, voire imprudent, de rappeler certains faits historiques avérés. A chacun d’assurer ses arrières avant que ne tombe le couperet. Pour ce qui est du cas particulier de la religion catholique, rappelons qu’elle s’est déjà fait damer le pion par les Lumières au XVIIIème siècle (17).
Le psychiatre et psychanalyste Serge Tisseron écrit Demandons plutôt aux programmeurs de réfléchir à des robots auxquels nous puissions dire " Permets-moi de mieux me connaître, de mieux comprendre mon passé et mon histoire, de mieux communiquer mon présent et, avec toi ou sans toi, de mieux maîtriser mon avenir " (18). La falsification de l’Histoire, directe ou par omission, ce crime contre l’Humanité, a toujours obsédé les totalitarismes. Georges Orwell nous aura pourtant mis en garde contre La mutabilité du passé (19). Trop de gens, plus inconscients ou incultes que méchants, ne se rendent pas compte qu’ils jouent les idiots utiles de dictatures dont les tyrans sont déjà aux aguets.
A bon entendeur, salut !
(1) J’ai aidé à conquérir celle de vos libertés qui les vaut toutes, la liberté de la presse
Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe
(2) La grandeur du judaïsme, comme la grandeur de l'Islam, est précisément de dénoncer l'idolâtrie, de rappeler que Dieu seul est Dieu. Maurice Zundel.
Ou
La parole de Dieu n’arrivait pas encore à trouver un chemin dans des esprits et des cœurs obstrués par l’idolâtrie. Souleymane Bachir Diagne, Comment philosopher en islam ?
(3) Dans le même registre, il m’est arrivé d’entendre Vous oubliez les morts de mai 1968
(4) Comme : Ne vous inquiétez pas pour le lendemain ; le lendemain se souciera de lui-même. A chaque jour suffit sa peine - Matthieu 6 : 34
(5) Nos contemporains déboussolés s’inventent des idoles, des miracles laïques, une nouvelle religion. Les croyants, eux, sont mieux défendus par leur foi. Arnold Munnich, Programmé mais libre les malentendus de la génétique, Plon, 2016.
(6) http://ripostelaique.com/A-bas-la-calotte.html
(7) Chez l’agnostique idéal, les doutes opposés s’équilibrent.
(8) Comment sortir de la religion, La découverte
(9) Désolé pour les oreilles délicates mais il est courant d’entendre cette expression dans ce cas.
Le Pew research center est un think tank US. Bien sûr, la prudence doit toujours rester de mise face aux analyses et synthèses des think tanks. En passant, mentionnons ici que Fenggang Yang, professeur de sociologie et chercheur de l’Université publique de Purdue ( Indiana, USA), prévoit que la Chine est appelée à devenir le plus grand pays chrétien du monde très prochainement. Mao doit se retourner dans sa tombe…
(11) Loi de Pareto
(12) Selon le thin tank hollandais Clingendael
(13) Soit directement via de fausses nouvelles (fake news) soit indirectement et encore plus vicieusement par le truchement du politiquement correct.
(14) Tutsie rescapée du génocide rwandais dans Notre-Dame du Nil
(15) Henri Laborit, découvreur du premier neuroleptique, biologiste comportemental.
Extrait de Dieu ne joue pas aux dés.
(16) Pour ne citer qu’un exemple, ce dernier déclare, le 29 juin 2016 : Dans l’histoire, rien n’a fait autant de morts que la religion (sic).
(17) On oublie trop souvent que les Lumières sont une laïcisation de la pensée chrétienne.
Michel Barat, Grand Maître de la Grande Loge de France de 1990 à 1993 puis de 2001 à 2003, La fin des Lumières
(18) Le jour où mon robot m’aimera, Albin Michel. J’ai souligné.
(19) 1984, Georges Orwell. Paru en 1950 chez Gallimard
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