Rétention de sûreté ou quand la politique s’inspire de la fiction
En 2054 à Washington, le crime a disparu. Les présumés coupables étaient arrêtés et jugés sur la base de visions et Steven Spielberg faisait un tabac au box office.
En 2008 à Paris, le gouvernement français s’inspire de statistiques alarmantes pour exiger que des personnes jugées ayant déjà purgé leur peine soient l’objet d’une rétention de sûreté pour éviter toute récidive.
Si la nécessité de protéger les citoyens est indiscutable, la protection des citoyens ne doit pas être le fruit de l’arbitraire car le citoyen en serait lui-même la première victime.
Le président de la République prétend protéger les victimes contre les criminels, mais la rétention de sûreté rompt avec l’un des principes fondamentaux de l’Etat de droit : la présomption d’innocence. Si ce principe est rompu et que l’autorité peut se permettre d’incarcérer un individu sous prétexte qu’il représente une menace pour la société fut-elle statistiquement prouvée, alors pourquoi ne pas incarcérer définitivement tous les jeunes de banlieue, et ceci dès le CP, s’ils ne se lèvent pas à l’entrée du maître dans la classe ou tous les enfants victimes de viols car statistiquement certains reproduiraient les mêmes schémas ?
Cette approche est aberrante et elle traduit un programme défini par de simples exécutants incapables de réfléchir à une politique pénale d’envergure répondant aux exigences de la société. Sous prétexte que la peine est inadaptée au délit et que la détention ne règle pas les problématiques de réinsertion des détenus au sein de la société, on génère une troisième catégorie plus tout à fait détenue, mais pas tout à fait libre, tout simplement « retenue ».
Malheur à celui qui s’opposerait à ce texte car il aurait sur la conscience tous les actes odieux commis par des récidivistes qui n’auraient pas été « retenus ». L’opposition a tort, « les droits de l’hommiste » aussi ; le Conseil d’Etat, que fichtre. On en est à se demander si Nicolas Sarkozy est bien le garant de la Constitution française et s’il est conscient de cela.
Si, dans le cadre d’un Etat de droit, la solution proposée par le gouvernement n’est pas acceptable, il n’en demeure pas moins que la problématique initiale existe : comment permettre à la société de se protéger contre des pédophiles condamnés dont les statistiques attestent à 80 % qu’ils tenteront de violer des enfants une fois libre ?
Primo, je propose de définir un arsenal juridique adéquat pour les délits futurs avec :
· élargissement de la durée de condamnation maximale et réinstallation éventuelle de la perpétuité pour ce type de crime ;
· aménagement de procédures d’allégement de peine ou de liberté provisoire octroyées sous réserve de suivre un traitement voire de subir, volontairement, une intervention et sur avis médical ;
· mise en place d’un système de suivi des individus en liberté provisoire correspondant au système proposé dans le cadre de la « rétention ».
Secundo, il serait utile de définir un plan d’action concernant les détenus actuels, les juges d’application des peines et les prisons afin d’aménager des procédures voire des cursus incitant les détenus à choisir de subir des traitements ou des interventions.
Tercio, il conviendrait de mettre sous surveillance policière les détenus pédophiles libérés et présentant des risques importants de récidive. Certains affirmeront qu’on ne peut pas mettre un policier derrière chaque citoyen pour le surveiller. Toutefois le gouvernement claironne que la rétention ne concerne qu’un nombre infime d’individus ; il est donc possible de surveiller les détenus libérés et ceci pour une durée limitée car la récidive paraît inévitable. Et si ce n’était pas le cas et que des milliers de policiers soient mobilisés pendant des années sans constater aucun délit de récidive, cela voudrait tout simplement dire que la problématique initiale était fausse. CQFD car « retenir » des individus sans forme de procès et sur la base de statistiques globales est un procédé totalitaire et fondamentalement injuste. Si la protection des victimes est un devoir, il ne doit pas être lui-même à l’origine de nouvelles victimes.
La France est un pays de symboles qui sont à la base de son rayonnement mondial et j’ai l’impression que l’on s’acharne à les détruire. Si la comparaison avec la destruction des statues géantes par les talibans en Afghanistan peut sembler douteuse, il suffit d’imaginer que le gouvernement français brûle sur la place publique le manuscrit original de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen pour s’émouvoir. L’homo « multimédius » réagit, semble-t-il, plus ardemment contre le saccage d’un objet physique patrimoine de l’humanité que contre les atteintes systématiques aux droits de l’homme à l’instar de Dostoïevski dont je vous laisse méditer la citation : « Plus j’aime l’humanité en général, moins j’aime les gens en particulier, comme individus. »
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