Retraites : retour sur un projet en train de « carboniser » le pouvoir
Un nouveau système qui s'étalerait entre 2022... et 2037 pour certains régimes spéciaux.
Instaurer un régime de retraite universel unique, regroupant l’ensemble des régimes existants et géré de manière globale, suivant une répartition exclusivement par point, tel fût le projet qu’ils avaient accueilli favorablement en 2017. Mais l’histoire de cette trouvaille de campagne va se transformer en boulet pour Emmanuel Macron.
Prédiction « visionnaire » de Jean-paul Delevoye, ex chargé de la réforme des retraites ?
Proche des partenaires sociaux, qu’il respecte et qui le respectent, Jean-Paul Delevoye va devenir en septembre 2017 la carte maîtresse du président de la République pour vendre la réforme systémique à des syndicats plus que dubitatifs. Seule la CFDT de Laurent Berger milite depuis plus de dix ans pour la mise en œuvre d’un système universel par points, proche de ce que propose Emmanuel Macron.
Jean-Paul Delevoye, un fidèle qui a rallié la cause du candidat Macron très tôt dans la campagne et présidé la commission d’investiture pour les législatives devient le factotum du dossier de la réforme des retraites. Devant sa petite équipe, l’expérimenté Delevoye, fragilisé par ses omissions successives de déclaration d’activités, bénévoles ou rémunérées et désormais démissionnaire avait exposé l’enjeu, sans tourner autour du pot, il déclarait : « On en sortira sanctifiés ou carbonisés ». Aujourd’hui, entre accumulation d’erreurs diverses, la « carbonisation » est en cours et il faudra que le Président et le premier ministre fassent preuve de volonté et de gros efforts pour stopper cette « carbonisation »...
Quels effets négatifs sont mis en évidence par les opposants au système universel unique à points
Jean-Paul Delevoye avait proposé d’instaurer un régime de retraite universel unique, regroupant l’ensemble des régimes existants et géré de manière globale, suivant une répartition exclusivement par point.
Dans ce système, les cotisations versées par un actif (ainsi que celles versées par l’employeur dans le cas des salariés) tout au long de sa carrière, quel que soit son statut (salarié, fonctionnaire, indépendant) sont converties en points.
Lors du départ en retraite, le nombre total des points acquis est multiplié par la valeur du point qui sera alors fixé par le régime universel de retraite.
Mais, d’une part, la valeur du point n’est pas garantie à long terme, car il sera indexé sur les salaires et non, comme depuis la fin des années 1980 sur l’inflation et il n’est, dès lors, pas interdit de penser que la valeur du point sera dévaluée dans une économie où l’emploi sera dégradée ainsi que par voie de conséquence les salaires, du notamment, avec l’émergence de la nouvelle révolution numérique. Cette nouvelle révolution numérique va se traduire de plus en plus par un système interconnecté reliant machines et méthode de gestion par des robots avec une nouvelle forme « d’intelligence artificielle » qui leur fait changer de statut, en particulier avec l’émergence de « l’entreprise 4.0 ». Certaines entreprises de la grande distribution ont déjà inauguré ( à titre expérimental) ce type d’organisation « 4.0 ». Les experts du forum économique mondial de Davos ne prévoient-il pas 5 millions de chômeurs supplémentaires d’ici 2025, par rapport aux effets de ce qu’ils définissent comme « 4 ème révolution industrielle ».
D’autre part, ce nouveau régime pourrait être déficitaire à brève échéance. compte tenu de la situation économique et démographique de la France, où le chômage reste élevé et risque de croître rapidement. Et ce ne sont pas les deux ou trois milliards « chipés » dans les caisses de retraite excédentaires de certains régimes lors de l’instauration du régime universel qui vont pouvoir améliorer la situation. En effet, avec la fusion des 42 régimes de retraites, les réserves des régimes bénéficiaires vont être inévitablement et immédiatement absorbées dans les déficits des autres régimes. Alors qu’elles sont indexées sur l’inflation, selon l’OCDE, en 2017, les pensions se sont montées à 316 milliards d’euros, soit 13,8 % du PIB. Des experts estiment que si elles étaient restées indexées sur les salaires, aujourd’hui leur montant se situerait autour de 17 à 18 % du PIB.
D’un accueil favorable au principe universel par point à son rejet par la majorité de l’opinion que s’est-il passé ?
Quand il a envisagé cette réforme des retraites, ou plus exactement leur refondation, Emmanuel Macron répète alors : » il ne s’agit pas de faire des économies ». Il n’y aura donc pas, promet-il, de nouvelles mesures d’âge (recul âge légal ou nouvelles incitations à travailler plus longtemps).
Au printemps dernier, plusieurs ministres évoquent la possibilité de faire travailler les Français plus longtemps pour financer la prise en charge des personnes dépendantes. Le sujet reste en friche, la présentation du projet de loi sur le grand âge ayant été repoussée au début de l’année prochaine.
Depuis, c’est Edouard Philippe qui a indiqué un âge pivot à 64 ans. Concrètement, il sera toujours possible de partir à la retraite à 62 ans, mais pour avoir un taux plein, il faudra, en principe, atteindre « cet âge d’équilibre », sous peine de se voir appliquer un malus qui pourrait atteindre 5% par an, à partir de 2027. C’est un point qui cristallise l’attention. Le dirigeant de la CFDT Laurent Berger estime même qu’une ligne rouge a été franchie, on connaît la suite…
La question financière peut-elle expliquer le changement de cap du Président de la république ?
Édouard Philippe avance désormais un autre argument : la nécessité d’avoir un régime globalement à l’équilibre au moment de l’entrée en vigueur du nouveau système, c’est à dire en 2025, histoire de « repartir du bon pied ». Pour y parvenir, Edouard Philippe ayant exclu une hausse des cotisations ou une baisse des pensions, reste donc un nouvel allongement de la durée du travail, formule qui va dans le sens des souhaits exprimés par le MEDEF.
D’une réforme pour un régime de retraite idéal sur le papier qui se révèle être une véritable « usine à gaz »
Au fur et à mesure des discussions entre le premier ministre et les partenaires sociaux, de concessions aux uns (cheminots) et de dérogations aux autres (policiers, militaires ) fonctionnaires, chaque fil tiré apporte plus de complications que de solutions. Au final le risque est grand de faire une pseudo-réforme, plus coûteuse que si l’on n’avait rien fait.
Exemple avec des concessions faites aux cheminots et à d’autres : Pour les cheminots, avec une carrière entièrement effectuée dans le régime spécial. Ils n’auront pas de décote sur leur pension s’ils partent à 57,8 ans contre 57 ans avec le régime spécial. On est bien loin de l’âge légal de départ à la retraite pour les salariés du secteur privé (62 ans) et de l’âge pivot envisagé (64 ans) à partir duquel on annule les décotes.
Comme la future loi sur les retraites le prévoit, toutes les primes seront intégrées dans la rémunération servant de base pour calculer la pension. Ce n’était pas le cas dans le régime spécial, où n’était pris en compte que le salaire.
Dernier coup de pouce, la SNCF va mettre en place un Perco, un système qui permet aux salariés de se constituer un bas de laine pour la retraite avec l’aide de l’entreprise. Beaucoup de salariés du secteur privé ou de fonctionnaires aimeraient avoir droit à de telles attentions.
Le cas des enseignants : À partir de 2021 et jusqu’en 2037, les professeurs recevront une augmentation progressive de 8 à 10 milliards d’euros.Selon ce scénario, les retraites des enseignants ne baisseront pas, a promis le gouvernement. Pour plus d’informations : https://www.lefigaro.fr/politique/les-enseignants-seront-les-grands-gagnants-de-la-reforme-des-retraites-20191220
Des cotisations pas identiques pour tous
Alors qu’aujourd’hui, il existe une centaine de règles différentes pour le calcul des cotisations, désormais, tous les salariés cotiseront sur l’intégralité de leur salaire. Les primes seront également prises en compte pour les fonctionnaires (elles représentent aujourd’hui 22% de leur rémunération !) et les salariés des régimes spéciaux concernés. Le taux identique pour tous sera de 28,12% jusqu’à environ 120 000 euros de revenu brut par an (soit 10 000 euros par mois). Au-delà, « une cotisation de solidarité, ne générant pas de droits, s’appliquera à l’intégralité des revenus à un taux de 2,81%. » Si ce dernier mécanisme de solidarité sera mis en place pour les indépendants et les professions libérales, ces derniers bénéficieront d’un taux préférentiel de cotisation de 12,94% entre 40 000 euros et 120 000 euros de revenu, « pour éviter une hausse de leurs charges qui fragiliserait leur équilibre économique ».
A noter que dans le nouveau système, le gouvernement entend garantir que certaines périodes d’inactivité (chômage, de maladie, de maternité, d’invalidité ) ne pénalisent pas les personnes pour le calcul de leur pension. « Contrairement au système actuel, la compensation de ces périodes d’interruption se traduira mécaniquement par une augmentation des droits constitués et une amélioration de la pension versée au moment du départ », précise le texte. Concrètement, « en plus des points acquis par leur cotisation, les Français pourront bénéficier de points financés par la solidarité nationale, au titre de leurs périodes d’inactivité involontaire. »
Mais aussi 64 ans pour une retraite à taux plein, ce qui cristallise l’attention
Edouard Philippe a indiqué un âge pivot à 64 ans. Concrètement, il sera toujours possible de partir à la retraite à 62 ans, mais pour avoir un taux plein, il faudra, en principe, atteindre « cet âge d’équilibre », sous peine de se voir appliquer un malus qui pourrait atteindre 5% par an, à partir de 2027.
Si le sujet doit encore être affiné avec les partenaires sociaux, des aménagements à cette règle sont déjà prévus. Le dispositif « carrières longues » sera maintenu pour permettre à ceux qui ont validé 5 trimestres avant 20 ans, de partir deux ans plus tôt. Les départs anticipés des travailleurs handicapés entre 55 et 59 ans seront conservés et simplifiés. La retraite pour incapacité permanente qui permet un départ à 60 ans sans décote sera étendue aux fonctionnaires et salariés des régimes spéciaux. « Les personnes exerçant des métiers usants pourront partir deux ans plus tôt que les autres », a également détaillé Edouard Philippe.
Des dérogations à l’âge de départ de 62 ans seront maintenues dans le système universel pour les fonctionnaires ayant des missions régaliennes
Sous réserve d’avoir effectivement occupé pendant une durée minimale des fonctions opérationnelles les exposants au danger », les droits à un départ anticipé seront ouverts pour les policiers, les personnels de l’administration pénitentiaire, et les ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne à compter de 52 ans. Pour les sapeurs-pompiers professionnels, la branche surveillance des douanes et les policiers municipaux dès 57 ans. Pour les militaires du rang et les sous-officiers, le droit à un départ à la retraite continuera d’être possible au bout de 17 années de services. Pour les officiers, le droit à une retraite immédiate sera maintenu à 27 ans de services sous réserve d’avoir atteint l’âge de 52 ans.
Bref on est dans un imbroglio total où les dérogations et concessions faites aux un sont contestées par les autres qui en veulent autant, voire plus, et pourquoi pas ?...
Sans revenir au principe d’universalité par points, il serait temps de stopper cette « usine à gaz »
Si le Gouvernement veut sortir de l’imbroglio dans lequel il s’est mis, il lui suffit de suspendre la réforme des retraites qu’il a engagé de façon parfois bien incohérente. Réforme engagée, sans avoir recours préalablement à un simulateur fiable et en faisant au fur et à mesure des discussions des concessions ou des dérogations qui creusent davantage les écarts censés les éliminer.
Il n’y a pas d’urgence financière. Dès lors, il convient de prendre le temps, remettre à plat le dossier, ré-associer les Députés, les responsables syndicaux comme cela avait été fait où 18 propositions s’étaient dégagées. Mais aussi une mission permanente avec les partenaires sociaux, dont l’objectif serait de parvenir à un projet de réforme, avec une majorité la plus consensuelle possible. A noter que s’il y avait réellement un problème financier, à l’instar du gouvernement Espagnol, pourquoi ne pas taxer les banques ?
Pour conclure
Loin de sortir « sanctifié » le pouvoir est en train de vivre un véritable chemin de croix. Il est vraisemblable que les conseils avisés de chers énarques ministériels ne fussent point étrangers à la chose... Désormais, la raison imposerait de stopper et remettre à plus tard cette réforme, en prenant le temps du débat et de la concertation, si le gouvernement veut éviter d’être « carbonisé », selon l’une des hypothèses de Mr. Delevoye.
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