Révolution numérique et santé : y a-t-il une prise de pouvoir du patient sur les médecins ?
A l’occasion du Big Bang Santé du Figaro le 26 octobre 2017 à la Maison de la Chimie, un journaliste et des acteurs de santé ont débattu de l’impact de l’utilisation croissante du numérique sur la relation patients/médecins. Les nouvelles technologies donnent-elles aux patients plus de pouvoir ? Comment les acteurs de la santé peuvent-ils eux-mêmes en tirer parti pour améliorer l’expérience et le parcours du patient ? Faut-il redouter le big data et son utilisation par la télémédecine ?
Une ubérisation de la médecine
Conformément au contrat social français qui stipule un accès pour tous à la santé, l’organisation de l’offre de soins, selon le journaliste Nicolas Bouzou, devra abandonner sa verticalité actuelle qui donne tout pouvoir aux organisateurs de soins. Il prédit ainsi l’ubérisation de la médecine, dans la foulée de l’ubérisation des secteurs économiques qui dysfonctionnent. La médecine pâtit en effet à la fois d’une pénurie de médecins et de l’asymétrie de l’information, le médecin étant toujours celui qui la détient, les informations disponibles sur internet étant certes pléthoriques mais de piètre qualité.
Nous devrions donc arriver à une grande autonomie du patient dans la gestion de sa santé. La technologie modifiera les conditions de l’offre et de sa distribution : dans dix ans annonce Nicolas Bouzou, plus de prise de rendez-vous par téléphone, plus d’attente au cabinet du médecin ou à l’hôpital. Le patient fera toutes ses démarches depuis chez lui ou bien en toute autonomie. Ce processus est déjà largement à l’œuvre avec les outils de prise de rendez-vous en ligne, l’affichage du temps d’attente dans les établissements du Groupe Ramsay Générale de Santé ou les bornes d’enregistrement des patients dans le centre COSEM Saint-Lazare. Le marché de la distribution des soins sera colossal, à la fois pour la médecine de ville et la médecine à l’hôpital.
Vers une médecine transhumaniste
Les attentes du patient en faveur de toujours plus de bien-être et de confort vont s’avérer tellement fortes qu’elles vont structurer l’offre et effacer les frontières entre médecine curative et médecine « méliorative ». A ceux qui avancent que la médecine n’est légitime que dans sa version curative, Nicolas Bouzou répond que la médecine esthétique a bien sa place dans le paysage médical et rencontre même un énorme succès. Les patients auront donc un comportement de consommateur de soins allant jusqu’à faire valoir des aspirations transhumanistes.
Le patient plus au cœur du système de santé
L’évolution technologique permettra une meilleure division des tâches, libérant les professionnels de santé des tâches administratives. Mais elle ira plus loin en prenant en charge certains actes techniques. Les soignants pourront alors se recentrer sur le patient et leurs qualités humaines seront mieux utilisées à expliquer, rassurer, accompagner… selon le « colloque singulier » qui les lie aux patients depuis toujours. Il s’agit donc d’un retour à la relation intime et bienveillante du médecin au malade. Lien nécessaire ne serait-ce que pour optimiser l’observance des patients : 50% de ceux qui ne sont pas en contact avec leur médecin ne prennent plus leur médicament.
Les établissements du Groupe Ramsay Générale de Santé se soucient d’ores et déjà de la satisfaction de leurs « clients » à travers des questionnaires de satisfaction explique Pascal Roché, son directeur général. Cette démarche devrait se généraliser pour préserver les pratiques des soignants de toute déshumanisation.
Les médecins face au savoir médical des patients
Cette nécessité affirmée de repositionner le médecin au cœur de sa relation avec le patient a motivé la création de modules obligatoires de formation à l’intelligence relationnelle chez les étudiants de médecine australiens. De quoi inspirer le cursus de médecine français explique Cécile Monteil, médecin à l’Hôpital Robert Debré. Notre propre cursus prépare en effet insuffisamment les étudiants à la relation aux patients, d’autant que cette relation évolue avec la surinformation dont ils bénéficient via internet. Les patients se présentent ainsi de plus en plus avec l’assurance de détenir le diagnostic de leurs symptômes et la solution à leur pathologie, évidemment pas toujours pertinente. Plutôt que de se sentir dépossédé de son savoir et de s’en irriter, le médecin, suggère t-elle, peut considérer que son patient sera d’autant plus impliqué dans les soins qu’il s’intéresse de près à sa maladie. L’accompagnement du médecin consiste alors à l’aider à faire le tri des informations collectées et à lui expliquer sa maladie dans le détail. Cette confiance est importante, la qualité de la relation médecin/patient faisant partie intégrante du soin et représentant une véritable aide à la guérison.
Un pouvoir du patient qui n’est pas un pouvoir de pression
Anne Buisson, directrice adjointe de Afa Crohn-RCH France, et représentant les patients, souhaite corriger le terme "pouvoir du patient" : ce n'est pas un pouvoir de pression mais un savoir acquis, une connaissance différente de celle du médecin. Le patient est finalement la ressource la moins utilisée du système de soin, dont il faudrait pourtant tirer parti dans le cadre d’une démarche d’évaluation objective du système de santé et d'un projet d'alliance thérapeutique avec la médecine et la recherche.
Ethique et collecte de données de santé
Les données de santé sont collectées dans deux cas de figure : pour faire avancer la recherche et pour permettre un suivi des indicateurs de santé à travers des outils numériques, pour des individus en bonne santé ou bien atteints d’une maladie chronique.
La collecte de ces données est encadrée en France par une réglementation qui est plus stricte que dans certains pays et doit le rester : les données collectées ne sont pas utilisées à d’autres fins que l’amélioration du soin. Il y aurait un risque de mauvaise utilisation des données, selon Pascal Roché, s’il y avait porosité entre fabricants des outils connectés et assureurs intéressés par le comportement de leurs assurés. Porosité devenue transparence dans certains pays autorisant une baisse de tarif des assurés en fonction de la qualité de leurs données de santé. Situation impensable à l’heure actuelle en France.
La vertu en revanche des outils numériques de type applications smartphone est leur fonction d’éducation thérapeutique. Ils induisent en effet une meilleure responsabilisation des patients qui peuvent suivre en temps réel leurs indicateurs clés. La télémédecine exploitant ces outils représente ainsi une chance formidable pour le suivi de certains patients chroniques nécessitant un suivi biologique constant, tels que les personnes diabétiques. A l’heure où le temps médical disponible se réduit au fil de la désertification médicale, c’est un progrès déterminant.
Les start up à l’initiative de la création de ces outils devraient en revanche intégrer en amont de leurs recherches médecins et patients suggèrent Anne Buisson et Cécile Monteil.
Le « pouvoir aux patients » n’est pas forcément une bonne idée corrige Nicolas Bouzou : face à la surconsommation de soins d’une société de plus en plus soucieuse de bien-être, il peut mener le système français, très protecteur, à sa perte financière. L’enjeu est donc la responsabilisation à tout prix du patient ou la révision des modalités de prise en charge.
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