Rousseau : urgence absolue !
"Rousseau urgence absolue" : il ne s'agit ni de Sandrine Rousseau député écologiste, ni de Arnaud Rousseau président de la FNSEA, ni de Aurélien Rousseau ex ministre de la Santé, mais bien de l'immense Jean-Jacques Rousseau philosophe du 18 ème siècle qui requiert notre attention, dans cette période trouble et dangereuse qui voit le retour de la guerre sur le sol européen et les menaces sur notre civilisation européenne des Lumières.
Pourquoi les écrits de Jean-Jacques Rousseau sont-ils dans notre actualité ?
D'abord une constatation : ses oeuvres sont encore largement étudiées dans les lycées et les universités et pas seulement en France. "Contrat social", "Confessions", "Discours sur l'origine de l'inégalité", "Emile ou de l'Education", "Discours sur l'économie politique"...
L'écrivain prolifique a depuis longtemps été inspirant pour de nombreux courants de pensée et d'action. L'écologie l'a lu, s'est inspiré de son "état de nature". L'extrême-gauche l'a lu, les révolutionnaires de 1793 l'ont cité dans leur action quotidienne. Robespierre et Rousseau. Lénine et Rousseau.Castro et Rousseau.... La recherche historique a souvent rattaché le "Contrat social" au totalitarisme, à la Terreur des révolutions. Chacun a voulu le mettre "à sa sauce" en simplifiant, émasculant, travestissant sa pensée pour avoir une base savante et littéraire à sa propre doctrine ou démarche.
Dans une toute autre démarche, tout récemment Alain Finkielkraut dans son dernier ouvrage "Pêcheur de perles" fait largement référence à Jean-Jacques Rousseau philosophe du 18ème siècle, de ce siècle des Lumières plein de promesses : "Dans le monde dont Rousseau a la révélation soudaine, la politique a les coudées franches... Le citoyen de Genève ne regarde le passé que pour ouvrir l'avenir... La servitude étant la source de tous les maux du genre humain, ces maux disparaitront avec l'abolition de la servitude... Rousseau confère à l'homme le pouvoir de régénération".
Ou encore Rousseau qui s'exprime sur l'abandon de ses enfants : "J'ai mis mes enfants aux Enfants trouvés... Si ma misère et mes maux m'ôtent le pouvoir de remplir un soin si cher, c''est un malheur dont il faut me plaindre et non pas un crime à me reprocher... La nature veut qu'on fasse des enfants puisque la terre produit de quoi nourrir tout le monde, mais c'est l'état des riches... qui vole au mien le pain de mes enfants".
Et Alain Finkelkraut d'ajouter : " Avec Mai 68... nous avons décidé d'en finir avec l'aliénation déjà dénoncée par Rousseau dans son " Discours sur les sciences et les arts". Sans cesse la politesse exige, la bienséance ordonne, sans cesse on suit les usages, jamais son propre génie. On n'ose plus paraitre ce qu'on est".
Alors, que nous dit l'écrivain politique J-J Rousseau et quelle peut être son influence dans ce premier quart du 21ème siècle ? Pour cela nous nous réfèrerons dans l'éthique et la probité à ce qu'on écrivait à propos d'Alfred Grosser l'éminent chercheur franco-allemand qui vient de mourir : "Il s'efforça par ses activités d'historien de remplacer les préjugés par les connaissances".
Rousseau n'est pas Voltaire ou Montesquieu. Il n'a pas de bibliothèque privée, il n'a pas étudié dans les collèges. Il est autodidacte, envoyé en pension à l'âge de 10 ans. Il y a pour lui absence d'une éducation officielle et son apprentissage fut solitaire. Très jeune il lit avec son père artisan et citoyen de Genève, les " Vies des hommes illustres" de Plutarque qui vécut aux 1er et 2ème siècles de notre ère. Il se formera quand il sera recueilli jeune garçon chez Mme de Warens, aux Charmettes, qui fera son éducation, ou comme secrétaire de Mme Dupin auprès de laquelle il acquiert une culture juridique et politique très solide. Il a pour elle un projet d'ouvrage sur les femmes. Son érudition est sans borne. Quand il sera précepteur chez les de Mably, secrétaire de l'ambassadeur de France à Venise, son savoir fera sa renommée.
Grand lecteur de Tacite, Tite-Live, Platon, Aristote, Cicéron, Virgile, Salluste, on le verra sur les sites romains de France, le Pont du Gard, les Arènes de Nimes. "Etudier l'histoire permet de se corriger par les exemples". Passionné par l'antiquité grecque et romaine, il va s'enthousiasmer pour l'abnégation patriotique, le civisme, la souveraineté populaire, le droit du peuple à légiférer, ce peuple qui n'a pas besoin d'intermédiaire, ce peuple qui anime les assemblées populaires. Il y verra "des hommes élevés par de sublimes institutions au plus haut degré de grandeur et de vertus où puisse atteindre la sagesse humaine". Il aime les grands hommes de l'antiquité et leurs actions héroïques. Brutus le magistrat, Caton le commandant en chef qui hait la tyrannie, feront partie de son panthéon d'hommes illustres. Il associe peuples et gouvernements. La morale, les devoirs civiques et sociaux comptent beaucoup pour lui. Les exemples moraux de l'histoire lui sont essentiels.
En 1762 "l'Emile" son livre sur l'éducation, sera condamné à être brûlé, en cause son admiration pour l'antiquité. Voltaire, Diderot passeront, dans ce 18ème siècle des Lumières, pour des penseurs du progrès, alors que Rousseau est vu comme tourné vers l'Antiquité.
Rousseau vit dans un temps très inégalitaire, très injuste. Dans la France monarchique qu'il a sous les yeux, il oppose la monarchie éclairée d'un Henri IV à la pratique absolutiste d'un Louis XIV. Tout en affirmant que le caractère monarchique ou non du gouvernement compte moins que la cohésion civique. Il va chercher quel gouvernement est le plus apte à "former un peuple le plus vertueux, le plus éclairé, le plus sage". "Les institutions sociales se trouvent à la racine de la formation des idées, des passions et des valeurs des individus qui les composent". "Vous voulez qu'on obéisse aux lois, faites qu'on les aime". "La justesse des lois doit se mesurer à leur capacité à améliorer le caractère des citoyens".
La communauté politique est une structure permettant l'exercice individuel de la vertu. "Dans un état bien gouverné, il y a peu de punitions, non parce qu'on y fait beaucoup de grâces, mais parce qu'il y a peu de criminels".
Sparte et ses actions héroïques, Athènes malgré la mort ignominieuse de Socrate, Rome et sa simplicité (la Rome de la République), Genève ( sa ville natale) sont des références et modèles politiques. Avec une idée simple : les peuples pauvres sont vainqueurs des peuples riches. Les peuples brillants mais corrompus sont vaincus par les peuples libres et austères. Dans le "Discours sur les sciences et les arts" il fait parler depuis l'au-delà Fabricius personnage de Plutarque, consul romain incorruptible et pauvre. Restaurer l'austérité des vieux romains aurait dû être une nécessité. Il est bon de se rappeler qu'à 7 ans Rousseau a essayé de se brûler la main comme Mucius Scaevola héros de la République romaine.
Les armées anciennes sont supérieures aux armées modernes qui se battent pour un dictateur ou pour de l'argent, alors que les premières se battent pour la cité, l'intégrité du peuple. Car la cité permet l'épanouissement du peuple et son accomplissement. Seules les républiques éloignées de la corruption peuvent ne pas être conquises. Athènes a été vaincue par Philippe de Macédoine pour n'avoir pas su défendre son mode de gouvernement avec la passion nécessaire. A Rome le premier modèle fait de civisme et d'austérité a été suivi de la soumission au pouvoir impérial et du développement des sciences et des arts. D'où l'échec.
La modernité subordonne le politique à l'économie et nie le collectif au profit de l'individualisme. Et Rousseau de comparer l'ancien temps au siècle dans lequel il vit : "Les anciens politiques parlaient sans cesse de moeurs et de vertu, les nôtres ne parlent que de commerce et d'argent". "En cas de guerre de quelle utilité peut être un citoyen habitué au luxe". "De quel oeil, pense-t-on que puissent envisager la faim, la soif, les fatigues, les dangers et la mort, des hommes que le moindre besoin accable, et que la moindre peine rebute". "Il y a opposition entre le consommateur et le citoyen, entre le volume des échanges et la liberté politique".
Constatation éplorée de Rousseau : "Nous avons des physiciens, des géomètres, des chimistes, des astronomes, des poètes, des musiciens, des peintres, nous n'avons plus de citoyens". Or il faut "faire" des citoyens. L'intérêt commun doit permettre de satisfaire aussi l'intérêt particulier du citoyen. Le modèle solide c'est la République romaine qui, avec une constitution cohérente, a garanti l'exercice de la souveraineté populaire malgré les nombreux écueils du développement de l'histoire. Car, sinon l'intérêt du plus fort s'exerce contre la défense de l'intérêt commun de la cité. Le riche proposant un système pour son intérêt particulier, alors que la loi doit être au service de l'intérêt commun. D'ailleurs l'intérêt privé ne doit pas résider dans le plaisir et le profit.
Rousseau, qui a pu écrire :"Vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous et que la terre n'est à personne", a trouvé dans les Comices centuriates romains une bonne institution. Donc une préférence pour ce système électoral même s'il favorise les classes aisées mais avec le principe de souveraineté populaire et de volonté générale. La cité associe naturellement l'ensemble des citoyens dans le processus législatif avec une vraie souveraineté démocratique. Les valeurs collectives permettent de régler le problème de la domination des plus aisés en faisant jouer l'opinion publique.
Ainsi donc, après avoir relu tout ou partie des oeuvres de Jean-Jacques Rousseau, on peut donc conclure avec Flora Champy autrice d'une formidable thèse "L'Antiquité politique de Jean-Jacques Rousseau" :" Dans le contexte d'une contemporanéité naviguant entre les Charybde et Scylla de l'utopie et de l'idéologie, tiraillée entre plusieurs tentatives de faire table rase du passé, reconsidérer les modèles antiques de l'auteur du "Contrat social" pourrait contribuer à donner une nouvelle vie à la promesse de liberté léguée par les Lumières... Echapper au tragique re-jeu du passé".
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