Alors que Nicolas Sarkozy vient, comme il en est coutumier, de se répandre en autocongratulations sur « sa » politique étrangère, devant des ambassadeurs trop polis pour quitter la salle, je vous propose ce bref bilan d’une (trop) grosse année de diplomatie made in Sarkozy.
En prologue, je vous confesse mon étonnement devant la confiance totale ou l’orgueil démesuré que sentent nos chefs d’Etat successifs quand ils abordent les dossiers internationaux. Par la simple onction de la majorité des votants, le président, dans nos institutions, se trouve propulsé au rang de stratège en chef et de diplomate émérite, même si, en l’espèce, son expérience d’homme n’a rien à voir. Tant pis s’il est un néophyte en géopolitique. Autre réflexion : dans notre Ve République arthritique, les relations internationales sont l’activité favorite de dirigeants qui ont renoncé à diriger la nation à l’intérieur. En d’autres termes, plus le président se sent impotent à Paris, plus il goûte aux joies de New York, Moscou, Bruxelles et Pékin... On a beau jeu de taper sur le Quai d’Orsay et sur ses évidemment veules et ventripotents ambassadeurs, mais l’un et les autres sont structurellement ce que le patron, qui fait et défait les carrières, veut qu’ils soient.
Et maintenant, voici, par région, ce que m’inspire très synthétiquement la diplomatie sarkozyste :
- Asie : deux traits principaux, avec la Chine et l’Afghanistan. La Chine : jamais la France ne s’est autant brouillée avec Pékin que ces derniers mois. Les Chinois en ont-ils, au moins, vu leur condition juridique et sociale améliorée ? Je n’étais pas un chaud partisan des leçons données en matière de droits de l’homme. C’est cependant la voie que le président avait choisie. Soit. Il a apporté magistralement au monde la démonstration de notre impuissance face aux pressions pékinoises. Si j’étais Chinois aujourd’hui, la France, ce drôle de pays qui a dominé le monde il y a moins d’un siècle, me semblerait aujourd’hui un vague étourneau qui décampe à la première salve d’avertissement. L’Afghanistan. Dix soldats français viennent de mourir, dans des circonstances qui, dans notre pays champion de la liberté d’expression, restent à préciser. Ce n’est bien sûr pas, en tant que tel, une raison de remettre en cause notre engagement. Mais, au-delà de ce tragique dommage de guerre, que propose-t-on, sinon notre allégeance à une stratégie américaine qui consiste à appuyer un régime marginal sans toucher à l’économie souterraine, faite d’exportation d’opium ? Nous sommes en Afghanistan dix fois moins nombreux que les GI’s. Croyons-nous vraiment que Karzaï et ses concessions permanentes à l’islamisme (rappelons-nous cet Afghan condamné à mort par la justice légale afghane parce qu’il s’était converti au christianisme) incarnera la fin des talibans ?
- Europe orientale et Turquie : j’ai voulu croire quelques instants à la saine mesure de notre diplomatie vis-à-vis de la Russie. De fait, plutôt que de condamner automatiquement la Russie lors des récents développements dans le Caucase, la France semblait vouloir se situer en arbitre raisonnable d’une très complexe péripétie géopolitique. Il y avait bien sûr quelque chose de ridicule à voir Sarkozy se prévaloir d’un cessez-le-feu qui ne devait rien à ses talents internationaux, mais on pouvait espérer que notre président saurait faire l’analyse de la légitime frustration russe face à l’ambition de l’Otan en Mitteleuropa et de la manipulation si visible de Saakachvili par quelques lobbies anglo-saxons. Que nenni : là encore, la France est vite rentrée dans le rang après avoir frustré le président géorgien ET énervé Moscou, qui a remis notre pauvre pays à sa place en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire. S’agissant de la Turquie, la belle détermination sarkozyste s’est émoussée au fur et à mesure des habiles coups de boutoir d’un gouvernement remarquable de constance. Nous en sommes à condamner ceux qui, en Turquie, luttent contre l’islamisation rampante de l’AKP.
- Union européenne : ce que N. Sarkozy a qualifié de beau succès, le succédané du traité constitutionnel européen rejeté sans ambiguïté par les Français et les Hollandais, a vécu quelques mois sur un déni de démocratie qui devient la norme dans la construction européenne. Le non irlandais et les réticences claires de la Pologne et de la République tchèque n’y feront sans doute pas grand-chose, et ce traité de Lisbonne vivra jusqu’à la nécessaire implosion de l’usine à gaz construite par les fossoyeurs technocratiques des nations, mais également d’une idée européenne subvertie depuis trop longtemps. A. Merkel s’est plus que jamais imposée comme l’unique chef d’Etat sérieux parmi ceux de ses collègues qui sont présumés compter, parmi lesquels notre Arlequin national.
- Amérique du Nord : c’est ici que N. Sarkozy considère avoir fait la différence ; oui, il a réconcilié Paris et Washington et a tiré un trait sur quarante ans d’un gaullisme qui serait la source de la décadence diplomatique française. OK, then. 700 hommes de plus en Afghanistan et l’avalage du vieux chapeau de 1966 plus tard, qu’a-t-on récupéré en contrepartie de notre allégeance ? C’est un bien mauvais cheval texan qu’a choisi notre président. G. W. est sur le départ et, à tort ou à raison, est totalement discrédité. La place de la France retrouvée dont se gargarise l’UMP en admirant le jabot enflé de son leader ne tient qu’à l’atmosphère de fin de règne qui s’étend à Washington en empêchant les autorités américaines d’occuper la place prépondérante qui leur revient du fait de leur investissement militaire, financier et culturel qui, n’en déplaise à nos concitoyens, légitime totalement le statut de superpuissance dominante des Etats-Unis.
- Amérique latine et Caraïbes : Ingrid Betancourt, prisme unique, obsédant, de l’agenda latino-américain de l’Elysée. La libération d’une obscure politicienne colombienne comme unique paramètre « dimensionnant » comme disent les militaires, de l’action de la France dans la trentaine d’Etats qui, au sud du Rio Grande, forment cet ensemble largement méconnu, caricaturé et négligé par les Français. Du coup, c’est Chavez et Kirchner qui ont eu les faveurs de l’apprenti géopoliticien. Voilà des alliés bien surprenants pour un régime qui se proclame de droite. Choix peu clairvoyant aussi, quand le continent comprend progressivement l’imposture chaviste et quand les Argentins, pourtant peu suspects de conservatisme réactionnaire, rejettent massivement leur présidente bling-bling qui replonge son pays dans la crise. Vis-à-vis de la Colombie, la voie prônée sans tact pendant un an par Sarkozy a été celle de la faiblesse, de l’impensable compromis avec une guérilla autiste qui se moque de toute considération humanitaire ou pacifiste. Aucune rupture avec Villepin ici comme ailleurs : Sarkozy nous a précipités dans la bêtise diplomatique et dans l’injustice coupable à l’égard du peuple colombien. Au total, la France restera comme le hochet des Farc et nos amis latino-américains se demanderont comment nous en sommes arrivés là, nous qui avons formé leurs élites et qui occupons un siège de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU.
- Afrique / Proche et Moyen-Orient : la fin de la Françafrique, objectif martial du coupeur de routes (rupture oblige !) oint par la démocratie française, s’est crashée misérablement sur les injonctions de Bongo, étonné de l’audace du sous-ministre Bockel. Depuis, nous assistons à un retour à l’orthodoxie des dernières années, c’est-à-dire à un savant mélange de compromissions et d’acceptation progressive de notre marginalisation dans ce qui, jadis, fut notre zone d’influence incontestée. Vis-à-vis du Maghreb, l’épisode de la visite de Kadhafi restera comme une tache supplémentaire sur notre honneur, pour des compensations hypothétiques et de toute façon salissantes. M. Sarkozy aura réussi à froisser les très francophiles Marocains tout en assumant une invraisemblable et inutile reculade face au FLN algérien, malgré ses engagements de campagne. Au Proche-Orient, le seul élément nouveau est l’élection du président libanais, qui doit plus à l’intercession de l’émir du Qatar qu’aux mille visites de Kouchner. Nous ne sommes plus fâchés avec les Israéliens, mais la situation sur le terrain avec les Palestiniens reste bloquée. Avec les Syriens, nous développons l’amère jurisprudence libyenne. Au Moyen-Orient, le soleil se passe manifestement des rayons français.
Voilà donc où nous en sommes. Et je précise que je ne suis pas résigné à l’insignifiance diplomatique de mon pays, que je crois que le quai d’Orsay est potentiellement un bel outil et que je suis convaincu de l’efficacité et de la rentabilité d’une action extérieure réfléchie et fuyant les effets d’aubaine.