Sarko : populo ou aristo ?
C’est un fait, le style de Sarkozy est populaire, et lui-même se veut sensible aux douleurs des humbles. Bien que tout ne soit pas négatif dans cette démarche, son érection en pièce centrale de son rapport avec les Français pose la question de sa sincérité. Et si cette façon de communiquer n’était que le nouveau déguisement de la méfiance qu’éprouvent, depuis des années, les « élites » pour ledit « peuple » ?
Le succès de Nicolas Sarkozy repose en bonne partie - mais pas seulement - sur le fait qu’il a réussi à "faire peuple", et donc à capter les suffrages de nombre d’électeurs modestes (chômeurs, smicards, employés, etc.). Cette revendication du "populaire", qui se retrouve symboliquement dans le nom du parti présidentiel, "UMP" ayant fini par être traduit par "Union pour une majorité populaire", se veut une réaction contre la coupure élite-peuple qui a connu son apogée avec le rejet sans appel de la Constitution européenne en mai 2005. Manifestation éclatante de ce phénomène, le fameux "Je ne vous comprends pas", qu’avait lancé Jacques Chirac à un panel de "jeunes" lors de la campagne référendaire. Pour combler ce fossé, Nicolas Sarkozy, donc, a érigé le "parler peuple" en système de gouvernement dès son accession au ministère de l’Intérieur[1].
Constitué de mots ou d’adjectifs forts, porteurs de jugements définitifs ("racailles", "assassins", "voyous", puis "patrons voyous"...), d’images terre à terre évoquant la vie quotidienne ("la France qui se lève tôt", "nettoyer au kärcher"...), jouant fréquemment la carte de l’émotion, ce langage "populaire" en dit finalement plus sur la façon dont Sarkozy perçoit son auditoire que sur le public auquel il est destiné.
Entendons-nous bien. Il n’est évidemment pas interdit aux politiques d’utiliser ce style, et Lionel Jospin paya fort cher cette lacune en n’offrant aucune réponse forte, ne fut-ce qu’en paroles, à l’emballement médiatique sur le thème de l’insécurité en 2002. De même la présidence effacée de Jacques Chirac, y compris hors cohabitation, a pu laisser penser que le pilote laissait les passagers se débrouiller tout seuls : il fallut ainsi plusieurs semaines de violences en banlieues, en novembre 2005, pour que le président consentît à s’adresser au pays et à dire ce qu’il en pensait. Depuis longtemps on sait que dire c’est (un peu) faire, surtout en politique.
Mais, si l’on ne prend que le plus célèbre fait d’arme du sarkozysme, le "On va vous en débarrasser de ces racailles" qui a déclenché les violences déjà évoquées, ce qui choque, ce n’est pas, bien sûr, "l’insulte" faite aux intéressés (qui d’ailleurs se qualifient eux-mêmes ainsi). C’est, d’une part, le fait qu’un homme d’État se rabaisse au niveau de ceux qu’il prétend combattre. Et, d’autre part, le fait qu’il a nettement montré, en faisant ainsi une mise en scène martiale avec moult caméras, qu’il se préoccupait plus de son image d’homme à poigne que des populations concernées par l’insécurité.
Au fond, avec ce langage "populaire" employé systématiquement, le peuple comme démos, ensemble de citoyens - éclairés - censés participer à la vie de la République, est évacué au profit d’une sorte de masse instinctive plus ou moins menaçante, qu’il s’agit de dompter plutôt que de tirer vers le haut. En parlant avec "les mots du peuple", N. Sarkozy tend donc à ce dernier un miroir déformant et anesthésiant, manière de le laisser à sa place - en bas - en lui disant "Faites-moi confiance, je vous ressemble, je suis vous". Le pessimisme et la crainte, dans le meilleur des cas, ou le mépris, dans le pire, qui sous-tendent ce discours politique ne sont finalement pas moindres (à moins que l’on ne croie aux pouvoirs de l’auto-persuasion) que chez les adeptes de "la pensée unique" qui prétendent "qu’il n’y a qu’une solution possible", "qu’il faut se résigner", que "les politiques doivent abdiquer", etc. "Pensée unique" qui s’était un temps incarnée en la personne d’Édouard Balladur.
Est-ce un hasard si, depuis 2002, Nicolas Sarkozy s’est attiré la sympathie de nombre de commentateurs grâce à ses piques répétées contre Chirac, prenant ainsi la suite de Jospin et du même Balladur ? De sorte que le quinquennat 2002-2007 fut largement présenté comme l’irrésistible marche victorieuse de Sarkozy sur l’Élysée, hormis l’intermède Villepin qui lui fit si peur, en vue de bouter le chiraquisme hors du pouvoir.
Comme si le souvenir de l’ancien président, finalement peu aimé des milieux autorisés (sauf entre le 21 avril et le 5 mai 2002), devait être évacué au plus vite, lui qui mit si souvent en porte-à-faux le peuple et ses élites, fût-ce par intérêt ou par erreur à défaut de l’être par conviction. Se faisant élire sur "la fracture sociale" en 1995, dissolvant l’Assemblée en 1997 (mesure "tactique" qui a précipité le retour de la gauche au pouvoir), refusant la guerre en Irak en 2003 (ce qui rencontra l’appui quasi unanime de "l’opinion", mais pas des élites plutôt atlantistes), et organisant un référendum sur le TCE en 2005, la barque de l’ancien président était devenue beaucoup trop chargée. Pour certains, ces états de service étaient donc à expier dès que possible, et l’élection de N. Sarkozy en fut l’instrument. Avec lui, en effet, les risques "d’erreurs" sont limités au maximum.
Raison de plus pour exalter un "peuple", confiné à l’émotion et au terre-à-terre, à qui on ne fait guère confiance pour les affaires sérieuses.
[1] Ségolène Royal, elle, a choisi "l’expertise citoyenne" ou les "débats participatifs" pour réduire cette fracture.
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