Sarko rappe et Ségo dérape
La politique est un art difficile. Je sais, le mot art appliqué à un exercice décrié par tous les bien-pensants risque de choquer et même d’en faire bondir plus d’un, mais je l’assume. Oui, la politique est un art. Ou tout au moins, elle se devrait d’en être un. Pour s’en persuader, un tour du côté du Petit Robert est toujours utile : "art : ensemble de moyens, de procédés réglés qui tendent à une certaine fin". Et dire que Machiavel a eu besoin de noircir des pages pour dire la même chose. Plus près de nous, il n’est qu’à se souvenir de la couverture de Libé (le Libé d’avant le smoking à July), à l’occasion de la seconde élection de Mitterrand. Le journal saluait l’exploit d’un retentissant : "Bravo l’artiste". Bien sûr, le spectacle que donnent nos hommes ou nos femmes politiques aujourd’hui ne reflète pas souvent une quelconque aptitude artistique. Nous sommes loin des grand-messes que mongénéral encostumé donnait à l’Elysée. A l’heure du pschittt politique et de l’abracadabrantesquement futile, nous n’avons plus grand-chose de consistant à accrocher aux cimaises de la République. Nous avons troqué nos artistes politiques pour des artisans besogneux.
Qui plus est, les deux plus mauvais représentants de cette tendance sont en tête dans les sondages. Il n’y a pas de quoi se réjouir.
Sarko joue les artisans éboueurs de banlieue, prêt à kärchériser la faune sauvage qui s’y développe pendant que nous passons notre temps à discutailler doctement la différence sémantique qu’il peut y avoir entre "intégration" et "assimilation". Puis artisan bricoleur du mobilier des cultes (y compris celui de la scientologie), il s’en va se faire applaudir par les gens de l’UOIF et il avale toutes les couleuvres que ces gugusses barbus lui présentent, comme s’il lui fallait se faire pardonner d’avoir un peu trop secoué à la télé le moratorien Ramadan. Artisan de la rupture, chaque fois qu’il est au pied du mur qu’il avait annoncé détruire, au lieu de se coller à la tâche, ne serait-ce que pour être logique envers lui-même et tenir ses engagements, il se fend d’un sourire racoleur, puis il tourne le dos et il se transforme en artisan réparateur.
Ségo, c’est tout le contraire. Pour le moment, elle ne répare rien. Au contraire. Dès qu’elle voit la plus petite brèche, elle tente de l’élargir. Elle agit comme les anatifes qui se posent sur la coque des vieux bateaux. Parfois elle ressemble à un frêle bûcheron perdu dans les bois en costume de ville. Elle pose un coin un peu au hasard, dans la fissure d’un tronc d’arbre qu’elle croit pourri. Elle donne une petite tape dessus, oh ! pas grand chose, juste une pichenette, et tous les médias accourent dans la minute pour s’en extasier comme s’ils étaient à la foire du Trône : "C’est une femme ! C’est une femme ! Rendez-vous compte ! Elle a réussi à fendre l’arbre et elle va donner au bon peuple de gauche tout le bois dont il a besoin pour se chauffer cet hiver..." Dans la belle maison haussmanienne du PS, elle fait pareil. Elle aimerait bien dévisser une ou deux gouttières pour mouiller les éléphants qui barrissent trop fort à son goût dans la cour, mais son problème, c’est qu’elle ne sait pas encore comment on monte un échafaudage pour atteindre la couverture et dévisser les bons chéneaux... Certains la soupçonnent aussi de vouloir scier une marche du grand escalier, comme dans Tintin et Les bijoux de la Castafiore, pour que le marbrier ne puisse venir la réparer qu’au lendemain des élections. Elle serait même prête à équiper un standard téléphonique parallèle tenu par Montebourg, pour détourner tous les appels vers la boucherie Sanzot.
Sarko se surmédiatise avec sa visite aux USA et il se contremédiatise avec Doc Gynéco. Il risque fort de connaître dans peu de temps ce que les jeunes entendent par le mot "gaver" et qui n’a rien à voir avec le foie gras qu’il doit déguster Place Beauveau. De son côté, Ségo s’énerve et ça commence à sentir le roussi pour son image d’icône marque-page. Je m’étonne du reste qu’aucun commentateur n’ait relevé qu’elle n’en est pas à son premier "dérapage médiatique". D’autant que d’habitude ils guettent ça comme des chacals. Je me souviens de la manière cassante (à la façon Juppé des Guignols) avec laquelle elle a répondu, il y a une dizaine de jours, à un journaliste (je ne sais plus lequel) qui lui demandait si elle accepterait un débat interne avec les autres candidats à l’investiture. La voix s’était faite d’un coup haut perchée, le timbre sec et cassant. Du Cresson de la fin Cresson, quand tout était consommé...
Donc Sarko rappe et Ségo dérape. Voilà où nous en sommes. Dans quelque temps, la situation se décantera inévitablement et nous aurons droit à des choses un peu plus sérieuses. Du moins, souhaitons-le. Mais les temps morts, c’est toujours dangereux. Partir trop tôt, c’est s’exposer beaucoup. A l’arrivée, les deux teigneux refoulés de la cravache se transformeront-ils en véritables artistes ? Vu leurs prestations du moment, on peut en douter.
Pour le coup, en toute objectivité, les vrais artistes qui repointent le bout de leur nez, ce sont Jospin et Chirac. L’un montre un réel courage (ou une belle couche d’inconscience pathétique) à vouloir rouvrir la tombe qu’il s’était creusée lui-même, pour dire à chaque homme ou à chaque femme qui a le coeur à gauche, comme le Christ à Saint Thomas : "Mets tes doigts dans mes plaies, entre ta main dans la blessure de mon coeur ; crois en moi et tu seras sauvé !" L’autre est en train de collectionner avec Bernadette des tas de "bons de réduction pour les bêtises anciennes" qu’il a trouvés dans sa boîte à lettres durant la guerre du Liban, et il compte bien s’en servir, après le bonus des fêtes de fin d’année, pour remplir à nouveau le caddy de la confiance avec lequel il errait comme une âme en peine, au rayon des vieilles casseroles d’un supermarché déserté. Sans doute, aucun des deux ne sera président en mai prochain. Je devrais m’en réjouir car je ne les porte dans mon coeur ni l’un ni l’autre (deux sbires de la politique, pas francs du collier pour un sou), mais depuis quelques jours, je ressens comme un malaise en les regardant faire ou ne pas faire... Je dois reconnaître qu’ils montrent un talent certain dans leur dernier rôle de diva poussée derrière le rideau. Et si c’étaient les deux derniers artistes qu’il nous reste... Après ça, sera définitivement venu le temps des artisans boutiquiers.
Décidément la politique est bien un art, et c’est l’art de l’embrouille.
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